Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 10 mai et 16 novembre 2016 et le 24 juillet 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ateliers de construction mécanique de Marigny (ACMM) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 février 2016 par laquelle le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a refusé de donner suite à la demande de sanction qu'elle avait formée à l'encontre des sociétés Electricité Réseau Distribution France (ERDF) et Electricité de France (EDF) ;
2°) d'enjoindre à ERDF de communiquer à EDF le dossier de demande de raccordement, cristallisée au 31 août 2010, et d'enjoindre à EDF de régulariser et d'exécuter un contrat d'achat d'électricité au tarif en vigueur au 31 août 2010, avec copie à son intention et au Conseil d'Etat ;
3°) à titre subsidiaire, de renvoyer l'examen de la demande devant le CoRDiS ;
4°) de mettre à la charge d'EDF la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;
- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;
- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;
- l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;
- la délibération du CoRDiS du 2 juillet 2012 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Yohann Bénard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Ateliers de Construction Mécanique (ACMM) et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Electricité de France (EDF).
Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 janvier 2018, présentée par EDF ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er février 2018, présentée par la société Ateliers de Construction Mécanique de Marigny (ACMM) ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dont les dispositions sont aujourd'hui reprises à l'article L. 314-1 du code de l'énergie : " Sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Electricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : / (...) / 2° Les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables (...). Un décret en Conseil d'Etat fixe les limites de puissance installée des installations de production qui peuvent bénéficier de l'obligation d'achat ". Aux termes du quatorzième alinéa du même article, aujourd'hui repris à l'article L. 314-6 du code de l'énergie : " Sous réserve du maintien des contrats en cours (...), l'obligation de conclure un contrat d'achat prévu au présent article peut être partiellement ou totalement suspendue par décret, pour une durée qui ne peut excéder dix ans, si cette obligation ne répond plus aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements ". Par le décret du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil, le Premier ministre a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 10 décembre 2010, l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations, d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant l'énergie radiative du soleil (article 1er), à l'exception, d'une part, des installations pour lesquelles la somme des puissances crêtes situées sur la même toiture ou la même parcelle est inférieure ou égale à 3 kilowatts (article 2) et, d'autre part, de celles dont le producteur avait notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau (article 3), sous réserve, pour ces dernières installations, qu'elles soient mises en service dans des délais qu'il a précisés (article 4). Il a prévu qu'à l'issue de la période de suspension, les pétitionnaires dont la demande avait fait l'objet d'une suspension devraient présenter une nouvelle demande complète de raccordement au réseau pour bénéficier d'un contrat d'obligation d'achat (article 5).
2. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 134-30 du code de l'énergie : " Pour chaque affaire, le président du comité de règlement des différends et des sanctions désigne un membre de ce comité chargé, avec le concours des agents de la Commission de régulation de l'énergie, de l'instruction. Le cas échéant, ce membre adresse la mise en demeure prévue à l'article L. 134-26 et notifie les griefs. Il peut ne pas donner suite à la saisine ". Aux termes de l'article R. 134-33 du même code : " Le membre du comité de règlement des différends et des sanctions désigné en application de l'article R. 134-30, s'il décide au vu de l'instruction qu'il n'y a pas lieu à mise en demeure ou à notification de griefs, notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception à la personne mise en cause et, le cas échéant, à l'auteur de la demande ainsi qu'à leurs conseils s'il en a été désigné, dans le respect des informations confidentielles protégées par la loi. / Il informe de sa décision le président du comité ".
3. Par une demande du 30 août 2010, la société Solareo, agissant pour le compte de la société Ateliers de construction mécanique de Marigny (ACMM), a sollicité auprès de la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF), désormais dénommée Enedis, son raccordement au réseau public de distribution d'électricité dans le cadre d'un projet de centrale photovoltaïque. Après avoir informé la société ACMM du caractère complet de sa demande le 31 août et accusé réception de sa demande le 3 septembre, ERDF lui a communiqué, le 18 novembre suivant, une offre de raccordement composée d'une convention de raccordement et d'une convention d'exploitation. La société ACMM a renvoyé le 3 décembre 2010 un exemplaire signé de ces conventions, accompagné de l'acompte exigé. Par une décision du 2 juillet 2012, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 19 septembre 2013, le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), saisi par la société ACMM du différend l'opposant à ERDF, a décidé que cette dernière ne pouvait invoquer le décret précité du 9 décembre 2010 suspendant l'obligation d'achat de l'électricité produite par certaines installations utilisant l'énergie radiative du soleil pour s'opposer à l'exécution de la convention de raccordement signée et notifiée par la société ACMM et qu'elle devait réaliser les travaux de raccordement dans un délai de quatorze semaines à compter de la notification de sa décision. Les travaux de raccordement ont été achevés les 29 et 30 octobre 2012 et l'installation a été mise en service le 8 février 2013. Par décisions des 12 mars et 13 mai 2013, la société Electricité de France (EDF) a toutefois refusé de conclure avec la société ACMM un contrat d'achat d'électricité, au motif que le moratoire prévu par le décret du 9 décembre 2010 lui était applicable, et a invité la société à déposer une nouvelle demande de raccordement auprès d'ERDF. La société ACMM a alors saisi le CoRDiS d'une demande de sanction à l'encontre d'ERDF et d'EDF en application de l'article L. 134-25 du code de l'énergie. Elle demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 février 2016 par laquelle le membre désigné par le CoRDiS, en application de l'article R. 134-30 du code de l'énergie, a refusé de donner suite à sa demande de sanction dans les conditions fixées par l'article R. 134-33 du même code.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision attaquée :
En ce qui concerne la demande de sanction formée par la société ACMM à l'encontre de la société ERDF :
4. Pour écarter la demande de sanction formée par la société ACMM à l'encontre de la société ERDF, le membre désigné par le CoRDiS a notamment relevé qu'" il résulte nécessairement de la lettre du 13 mai 2013 adressée par la société EDF à la société ACMM que la société ERDF a transmis le dossier de raccordement de la société ACMM à la société EDF ". Contrairement à ce que soutient la société requérante, il a, ce faisant, suffisamment motivé sa décision. Si la société ACMM persiste à contester la réalité de cette transmission, il ressort des pièces du dossier, notamment de la lettre du 13 mai 2013, que l'auteur de la décision attaquée n'a pas commis, sur ce point, d'erreur de fait. Enfin, le moyen tiré de ce que, par cette mention, il aurait méconnu l'obligation d'indépendance des sociétés gestionnaires de réseau, énoncée à l'article L. 111-11 du code de l'énergie, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
En ce qui concerne la demande de sanction formée par la société ACMM à l'encontre de la société EDF :
5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 134-25 du code de l'énergie : " Le comité de règlement des différends et des sanctions peut (...) sanctionner les manquements mentionnés aux titres Ier et II du présent livre et aux livres III et IV qu'il constate de la part des gestionnaires de réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité, des gestionnaires de réseaux fermés de distribution d'électricité, des opérateurs des ouvrages de transport ou de distribution de gaz naturel ou des exploitants des installations de stockage de gaz naturel ou des installations de gaz naturel liquéfié ou des exploitants de réseaux de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone ou des utilisateurs de ces réseaux, ouvrages et installations, y compris les fournisseurs d'électricité ou de gaz naturel, dans les conditions fixées aux articles suivants ". Il résulte de ces dispositions que, contrairement à ce que soutient la société EDF, le CoRDiS était compétent pour examiner la demande de sanction formée par la société ACMM à raison du non-respect par la société EDF, utilisateur du réseau en sa qualité de fournisseur d'électricité, de l'obligation d'achat à laquelle cette dernière est tenue en application de l'article L. 314-1 du code de l'énergie, qu'aurait traduit son refus de prendre en compte la convention de raccordement signée et notifiée à la société ERDF, l'obligeant à déposer une nouvelle demande complète de raccordement pour bénéficier d'un contrat d'achat d'électricité.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 134-19 du code de l'énergie : " Le comité de règlement des différends et des sanctions peut être saisi en cas de différend : / 1° Entre les gestionnaires et les utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité ; / (...) Ces différends portent sur l'accès auxdits réseaux, ouvrages et installations ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats mentionnés aux articles L. 111-91 à L. 111-94, L. 321-11 et L. 321-12 (...). / La saisine du comité est à l'initiative de l'une ou l'autre des parties. / (...) ".
7. Par la décision du 2 juillet 2012 mentionnée au point 1, le CoRDiS s'est prononcé, en application de ces dispositions, sur le différend, opposant la société ACMM à la société ERDF, relatif aux conditions de raccordement de l'installation de production photovoltaïque de la société ACMM au réseau public de distribution d'électricité. Par suite, et alors même que le raccordement constitue un préalable nécessaire à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité, le membre désigné du CoRDiS n'a pas commis d'erreur de droit en se fondant, pour refuser de donner suite à la demande de sanction à l'encontre de la société EDF s'agissant de l'opposition à la décision du 2 juillet 2012 invoquée par la société ACMM, sur ce que la société EDF était un tiers au regard de cette décision.
8. En troisième lieu, comme il est dit au point 1, il résulte des dispositions des articles 1er et 3 du décret du 9 décembre 2010 que l'obligation de conclure un contrat d'achat prévue par l'article 10 de la loi du 10 février 2000 a été suspendue pour une durée de trois mois à compter du 10 décembre 2010 et qu'ont notamment été exclues du champ de cette suspension les installations pour lesquelles l'acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010. Il découle également de ces dispositions que la suspension instituée par le décret ne saurait davantage s'appliquer au cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d'une proposition technique et financière et où cette convention a été signée et notifiée au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010.
9. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la société ERDF n'a pas adressé de proposition technique et financière à la société ACMM mais lui a adressé directement une convention de raccordement, comme le prévoit le point 9.1.2 de la procédure de traitement des demandes de raccordement " lorsque le montant de la contribution au coût du raccordement est déterminé de façon définitive au moment de l'établissement de l'offre de raccordement et que les délais de réalisation des travaux de raccordement sont maîtrisés ", et que la société ACMM a renvoyé, le 3 décembre 2010, un exemplaire signé de cette convention, accompagnant cet envoi de l'acompte exigé. La convention de raccordement ayant ainsi été notifiée après le 2 décembre 2010, il découle de ce qui est dit au point 8 que le membre désigné du CoRDiS n'a pas commis d'erreur de droit en estimant, pour refuser de donner suite à la demande de sanction formée par la société ACMM à l'encontre de la société EDF, s'agissant de l'opposition à la convention de raccordement régulièrement notifiée à la société ERDF, que la suspension de l'obligation d'achat d'électricité prévue par le décret du 9 décembre 2010 était applicable à la société ACMM.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 : " La date de demande complète de raccordement au réseau public par le producteur détermine les tarifs applicables à une installation ".
11. Les moyens tiré de la méconnaissance de ces dispositions et d'une erreur de fait quant à la date de demande complète de raccordement de la société ACMM sont inopérants, dès lors que le membre désigné par le CoRDiS s'est uniquement prononcé, dans la décision attaquée, sur l'applicabilité de la suspension de l'obligation d'achat d'électricité prévue par le décret du 9 décembre 2010 et, par suite, sur le bien-fondé du refus de la société EDF de prendre en compte la convention de raccordement régulièrement notifiée par la société ACMM à la société ERDF, sans indiquer la date de demande complète de raccordement à retenir, ni les tarifs qui seraient applicables.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société ACMM n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 24 février 2016 par laquelle le membre désigné par le CoRDiS a refusé de donner suite à sa demande de sanction.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. La présente décision n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la société ACMM soit mise à la charge de la société EDF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société ACMM la somme demandée par la société EDF au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société ACMM est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ateliers de construction mécanique de Marigny, à la Commission de régulation de l'énergie ainsi qu'aux sociétés Enedis et Electricité de France.
Copie en sera adressée, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaie.