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02/02/2018 | FRANCE | N°417079

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 02 février 2018, 417079


Vu la procédure suivante :



Mme B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures de nature à la remettre dans ses conditions normales et initiales de travail et ainsi d'ordonner au centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin, en premier lieu, de la restituer dans son poste et sa qualité de directeur du système d'information, en deuxième lieu, d'annuler la décision n° DG-207-07 portant délégation de signature

pour les actes qu'elle doit accomplir concernant le système d'informatio...

Vu la procédure suivante :

Mme B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures de nature à la remettre dans ses conditions normales et initiales de travail et ainsi d'ordonner au centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin, en premier lieu, de la restituer dans son poste et sa qualité de directeur du système d'information, en deuxième lieu, d'annuler la décision n° DG-207-07 portant délégation de signature pour les actes qu'elle doit accomplir concernant le système d'information et de lui permettre de continuer d'effectuer les astreintes administratives, en troisième lieu, d'ordonner le maintien de sa rémunération au titre des astreintes administratives, soit la somme de 1 257 euros par mois s'ajoutant à son revenu mensuel, en quatrième lieu, d'ordonner sa convocation à toutes les réunions d'orientations stratégiques du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin, à savoir notamment les conseils de direction hebdomadaires et les directoires élargis mensuels, en cinquième lieu, d'ordonner son rétablissement dans l'encadrement de ses équipes, et notamment s'agissant du suivi des ressources humaines et des éventuelles procédures d'embauche ou de rupture de contrats concernant son service, et, en dernier lieu, de réserver les dommages et intérêts qu'elle sollicitera sur le fond de la réparation de son préjudice. Par une ordonnance n° 1702272 du 20 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint au centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin, d'une part, de cesser tout acte assimilable à du harcèlement moral en direction de Mme C... et, d'autre part, de la remettre, dans les 48 heures suivant la notification de la présente ordonnance, dans ses fonctions de directrice fonctionnelle des systèmes d'information avec l'ensemble des droits et obligations qui en découlent.

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 4 et 24 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme C... devant le juge des référés du tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme C... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Clermont Ferrand a commis une erreur de droit et, à tout le moins, insuffisamment motivé son ordonnance en considérant, d'une part, que la condition d'urgence était remplie dès lors que la présomption d'urgence n'existe pas, qu'il ne peut être déduit une " présomption de harcèlement " et que l'ordonnance se fonde sur des constatations de faits anciennes et dépourvues de tout caractère de contemporanéité avec la saisine du juge des référés et, d'autre part, en considérant qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de ne pas être soumis à une situation de harcèlement moral, dès lors que les faits retenus par le juge des référés ne caractérisent pas une situation de harcèlement ;

- il a estimé, à tort, que Mme C... lui avait soumis des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

- il a commis une erreur de fait en retenant l'existence d'un harcèlement moral sans avoir tenu compte de la situation administrative de Mme C..., des délégations de signature, de la participation au comité de direction et des explications produites par le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin pour expliquer les éléments en cause.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2018, Mme C... conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 4 000 euros soit mis à la charge du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin. Elle fait valoir que les moyens soulevés par le centre hospitalier requérant ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin, d'autre part, Mme C... ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 janvier 2018 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Waquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin ;

- les représentants du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin ;

- Me Poupet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme C... ;

- la représentante de Mme C... ;

- Mme C... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au vendredi 26 janvier 2018 à 18 heures ;

Vu les deux mémoires complémentaires, enregistrés le 26 janvier 2018 avant la clôture de l'instruction et produits l'un par Mme C... et l'autre par le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin dans lesquels chaque partie persiste dans ses précédentes écritures ;

Vu la note en délibéré enregistrée le 29 janvier 2018, produite par le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un agent une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

3. D'une part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissements. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis.

4. Mme C..., ingénieur hospitalier, a obtenu sa mutation pour le centre hospitalier de Vichy à compter du 8 septembre 2014 afin d'occuper le poste de directrice du système d'information, après avoir rencontré des difficultés relationnelles avec Mme A... D..., sa responsable hiérarchique, dans sa précédente affectation au centre hospitalier de Jonzac. Estimant qu'à la suite de la nomination de Jérôme Trapeaux en qualité de directeur du centre hospitalier de Vichy en janvier 2017 et surtout de la nomination de son épouse, Mme A... D..., en qualité de directrice des affaires financières de ce centre hospitalier en septembre 2017, ses conditions de travail se sont dégradées, notamment en ce qui concerne ses attributions et rémunérations et que cette dégradation est largement imputable à l'arrivée de ce nouveau directeur et de son épouse, elle a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en invoquant son droit à ne pas être soumise à un harcèlement moral. Par une ordonnance du 20 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a enjoint au centre hospitalier de Vichy, d'une part, de cesser tout acte assimilable à du harcèlement moral en direction de Mme C... et, d'autre part, de la remettre, dans les 48 heures suivant la notification de la présente ordonnance, dans ses fonctions de directrice fonctionnelle des systèmes d'information avec l'ensemble des droits et obligations qui en découlent. Par la présente requête, le centre hospitalier de Vichy relève appel de cette ordonnance.

5. Mme C... invoque plusieurs décisions et agissements pour soutenir faire l'objet d'un harcèlement moral. Elle indique tout d'abord que la direction du système d'information qu'elle dirigeait a été détachée de la direction des affaires financières à laquelle elle était jusque là rattachée, comme dans la plupart des centres hospitaliers, pour être directement placée sous l'autorité du secrétaire général. Elle souligne que cette réorganisation, qui a eu lieu sans concertation ni information préalables avec elle, s'est ensuite accompagnée du fait que, dans différents documents dont la décision de délégation de signature DG 2017-07 du 28 août 2017, le secrétaire général apparaît désormais comme étant aussi directeur du système d'information alors qu'elle n'apparaît plus que comme étant ingénieur hospitalier. Elle fait également valoir qu'alors qu'en sa qualité de directrice fonctionnelle des systèmes d'information et non en raison d'un quelconque intérim, elle participait sans discontinuer depuis son arrivée au centre hospitalier à tous les conseils de direction hebdomadaires et aux directoires élargis mensuels, son invitation aux réunions hebdomadaires avait été moins régulière à compter du mois d'avril 2017 et avait cessé à compter du mois de septembre 2017. Elle produit divers documents qui attestent de l'ancienneté de cette participation et fait valoir que cette participation est essentielle au bon accomplissement de ses missions. Elle reproche également à la direction du centre hospitalier d'avoir subitement cessé de l'inscrire sur le tableau des gardes, sur lequel elle n'avait cessé de figurer depuis le mois de juillet 2015, sans l'en informer au préalable et alors que cette décision la prive brutalement de l'indemnisation qu'elle perçoit au titre de ces gardes, soit 1 257 euros par mois, qui s'ajoute à son traitement et représente un pourcentage significatif de sa rémunération totale. Elle souligne que ce tableau ne comporte plus que sept personnes et soutient que raisonnablement, neuf personnes devraient participer à ces gardes. Enfin, elle relève qu'alors que son entretien d'évaluation a eu lieu au mois de septembre 2017, l'évaluation correspondante ne lui avait toujours pas été remise trois mois après, lorsqu'elle a saisi le juge des référés et qu'elle était la seule agent du centre hospitalier dans cette situation. Elle précise que ces mesures ont engendré chez elle un état dépressif et des perturbations dans sa vie personnelle. Or, plusieurs de ces éléments, s'ils sont établis, sont de nature à caractériser une situation de harcèlement.

6. Dans ses écritures d'appel et lors de l'audience de référé, le centre hospitalier de Vichy rappelle que Mme C... n'est pas statutairement directeur d'hôpital et ne peut donc invoquer aucun droit à participer aux réunions restreintes de direction ni aux gardes. Il explique que le transfert de la direction du système d'information sous l'autorité directe du secrétaire général répond à une volonté de meilleures organisation des services et allocation des ressources, que Mme C... n'avait été conviée aux réunions de direction hebdomadaires que pour pallier le départ de plusieurs directeurs et qu'elle a cessé d'y être conviée lorsque l'équipe de direction de l'hôpital a été à nouveau intégralement reconstituée, qu'enfin, la politique de réduction des dépenses explique la décision de restreindre aux six directeurs et à la personne cadre de santé le nombre de participants aux gardes. Il convient cependant de relever qu'à aucun moment dans ses écritures ni lors de l'audience, le centre hospitalier ne formule la moindre critique sur la façon dont Mme C... exerce ses fonctions et assurait les gardes. Il a au contraire abondamment insisté lors de l'audience sur le fait que la façon de servir de l'intéressée donne pleine satisfaction et que, sous réserve de la modification apportée à la délégation de signature, elle continue en pratique d'exercer les pleines responsabilités qui incombent à un directeur fonctionnel des systèmes d'information et ne fait d'ailleurs l'objet d'aucune mesure d'isolement à l'égard de ses collègues ni de retrait de dossiers. Il n'avance toutefois aucune explication quant au retard dans l'évaluation de Mme C....

7. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la décision du centre hospitalier de Vichy de désigner le secrétaire général comme étant aussi le directeur en titre du système d'information et de ne plus faire apparaître Mme C... comme assurant la direction fonctionnelle de ce service mais seulement comme ingénieur hospitalier ne traduit pas la réalité des fonctions qu'elle exerce en pratique, ne trouve aucune explication dans la façon de servir de l'intéressée et ne paraît dès lors pas justifiée par un motif d'intérêt général. De plus, s'il est exact que l'inscription de Mme C... sur le tableau des gardes ne constitue pas un droit pour l'intéressée, il résulte aussi des échanges lors de l'audience et des documents produits que la réduction à sept du nombre de personnes participant aux gardes à compter du début de l'année 2018, soit plus de cinquante gardes à assurer pour chacun des participants, alors que le tableau des gardes pour la période du 11 septembre 2017 au 8 janvier 2018 comporte onze noms, s'explique pour deux des personnes retirées de ce tableau par la fin de l'intérim qu'elles assuraient et pour la troisième par sa demande de ne plus y figurer. L'affirmation de Mme C... selon laquelle il est habituel, lorsque ce n'est pas matériellement impossible, d'inscrire neuf personnes sur ce tableau dans les centres hospitaliers d'une taille comparable à celui de Vichy n'a pas été démentie. Dans ces conditions et dès lors qu'aucun reproche n'a été formulé quant à la façon dont elle les assurait, la radiation de l'intéressée de ce tableau, dont elle n'a pas été préalablement informée, ne peut s'expliquer que par la volonté de la priver brutalement de la rémunération correspondante. Par suite, ces mesures traduisent une volonté de faire pression sur l'intéressée et font présumer l'existence d'un harcèlement moral à son égard.

8. Au regard de ces circonstances particulières et de la gravité des conséquences en résultant pour Mme C..., c'est à bon droit que le juge des référés de première instance, qui a suffisamment motivé son ordonnance, a estimé qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et que la condition particulière d'urgence requise par les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative était remplie et a fait usage des pouvoirs qu'il tient de ces dispositions pour ordonner au centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin de cesser tout acte assimilable à du harcèlement moral en direction de Mme C... et de la remettre, dans les 48 heures suivant la notification de son ordonnance, dans ses fonctions de directrice fonctionnelle des systèmes d'information avec l'ensemble des droits et prérogatives qui en découlent.

9. La requête du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin doit, dès lors, être rejetée, y compris ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin le versement à Mme C... de la somme de 2 000 euros au titre de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin est rejetée.

Article 2 : Le centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin versera à Mme C... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au centre hospitalier de Vichy Jacques Lacarin et

à Mme C....

Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé Auvergne-Rhônes-Alpes et au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 417079
Date de la décision : 02/02/2018
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 02 fév. 2018, n° 417079
Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP DE NERVO, POUPET ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:417079.20180202
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