La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/01/2018 | FRANCE | N°416398

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 janvier 2018, 416398


Vu la procédure suivante :

L'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 novembre 2017 par lequel le préfet des Yvelines a ordonné, sur le fondement de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la fermeture pour une durée de six mois de la mosquée " Salle des Indes " située 3, rue Maurice Audin à Sartrouville, et d'autre part, d'enjoindr

e au préfet des Yvelines de mettre en oeuvre toutes les diligences de na...

Vu la procédure suivante :

L'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 novembre 2017 par lequel le préfet des Yvelines a ordonné, sur le fondement de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la fermeture pour une durée de six mois de la mosquée " Salle des Indes " située 3, rue Maurice Audin à Sartrouville, et d'autre part, d'enjoindre au préfet des Yvelines de mettre en oeuvre toutes les diligences de nature à assurer le respect de la liberté d'aller et venir et d'expression. Par une ordonnance n° 1708063 du 22 novembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a, d'une part, transmis au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure et, d'autre part, rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 10 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'arrêté litigieux et d'enjoindre au préfet des Yvelines de rendre effective la liberté de culte au sein de la mosquée " Salle des Indes " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés de réunion, de culte, de manifestation, d'association, d'expression et de communication, au droit d'expression collective des idées et des opinions et à la liberté religieuse ;

- la vidéo protection a été mise en place à la seule initiative de l'association qui avait, à l'issue d'une réunion tenue le 9 novembre 2017 avec le préfet, proposé de prendre plusieurs mesures de nature à concilier impératif de sécurité et respect des libertés fondamentales ;

- l'imam litigieux a été remercié et elle a modifié son bureau de telle sorte que son président n'est plus celui qui conteste les accusations qui sont formulées à son encontre et reprises dans les notes blanches.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2017, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes ", d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 19 décembre 2017 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " ;

- les représentants de l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " ;

- la représentante du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au jeudi 4 janvier à 12 heures puis, après en avoir informé les parties, au vendredi 5 janvier à 12 heures ;

Vu les mémoires, enregistrés les 3 et 5 janvier 2018, par lesquels l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " persiste dans ses précédentes écritures. Elle soutient que lors du rendez-vous en préfecture du 29 décembre 2017, la réalité des modifications apportées au fonctionnement de l'association a été établie et que rien ne s'oppose désormais à la réouverture du lieu de culte ;

Vu les mémoires, enregistrés les 3 et 4 janvier 2018, par lesquels le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur persiste dans ses précédentes écritures ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la décision n° 415434-415697 du 28 décembre 2017 du Conseil d'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. L'association " Communauté musulmane de la Cité des Indes " relève appel de l'ordonnance du 22 novembre 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension des effets de l'arrêté du 17 novembre 2017 du préfet des Yvelines prononçant la fermeture de la mosquée dite " Salle des Indes " pour une durée de six mois.

3. Par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a également transmis au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionalité soulevée devant lui par l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " relative à la conformité à la Constitution de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure ; en outre, par une décision n° 415434-415697 du 28 décembre 2017 le Conseil d'Etat a transmis au Conseil constitutionnel la question de la conformité de ces dispositions à la Constitution. Dans de telles conditions, il appartient au juge des référés du Conseil d'Etat, sans attendre la décision du Conseil constitutionnel, d'apprécier s'il y a lieu de prendre immédiatement, compte tenu de l'urgence et en l'état de l'instruction, des mesures de sauvegarde sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la demande en référé devant être examinée au regard et compte tenu des dispositions du code de la sécurité intérieure en vigueur à la date de la présente décision.

4. Aux termes de l'article L. 227-1 de ce code : " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut prononcer la fermeture des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou font l'apologie de tels actes. / Cette fermeture, dont la durée doit être proportionnée aux circonstances qui l'ont motivée et qui ne peut excéder six mois, est prononcée par arrêté motivé et précédée d'une procédure contradictoire dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l'administration. / L'arrêté de fermeture est assorti d'un délai d'exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l'expiration duquel la mesure peut faire l'objet d'une exécution d'office. Toutefois, si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d'office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience publique en application du deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d'une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande. ". Aux termes de l'article L. 227-2 du même code : " La violation d'une mesure de fermeture d'un lieu de culte prise en application de l'article L. 227-1 est punie d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 7 500 € d'amende ".

5. La liberté du culte a le caractère d'une liberté fondamentale or, telle qu'elle est régie par la loi, cette liberté ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public, elle a également pour composante la libre disposition des biens nécessaires à l'exercice d'un culte. Aussi, un arrêté prescrivant la fermeture d'un lieu de culte est susceptible de porter atteinte à cette liberté fondamentale, il est également susceptible de porter atteinte au droit de propriété.

6. Il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le lieu de culte ou dans la détermination des modalités de la fermeture.

7. Par un premier arrêté du 2 octobre 2017 pris sur le fondement de la loi du 3 avril 1955, le préfet des Yvelines avait prononcé la fermeture, jusqu'à la fin de l'état d'urgence, de la mosquée " Salle des Indes " située au 3, rue Maurice Audin à Sartrouville, dont l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " assure la gestion. Puis, par l'arrêté litigieux du 7 novembre 2017, pris sur le fondement de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, il a ordonné, pour une durée de six mois, la fermeture de cette mosquée. Pour prendre la mesure de fermeture contestée, le préfet s'est fondé sur la circonstance que, par une dérive radicale que l'association gestionnaire n'avait pas su empêcher, cette mosquée était devenue un lieu où étaient tenus des propos, organisée la diffusion d'idées et réalisées des activités incitant à la haine et la discrimination, provoquant la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie du terrorisme.

8. Il résulte de l'instruction et notamment de deux notes blanches, précises et circonstanciées qui ont été versées au contradictoire, qui ne sont pas sérieusement contestées par l'association requérante et sont ainsi susceptibles d'être prises en considération par le juge administratif, que l'imam principal et les imams invités de ce lieu de culte tenaient des propos radicaux incitant notamment à la haine envers les fidèles d'autres religions et au rejet des valeurs de la République, que compte tenu de son orientation, la mosquée était fréquentée, de manière habituelle, tant pour les prières que pour les enseignements qui y étaient dispensés, par des personnes radicalisées venant de différents départements voisins, en particuliers des jeunes femmes dont plusieurs portant le voile intégral et dont l'une a rejoint la Syrie, ainsi que des individus en lien avec des filières terroristes, que dans la salle de prière se trouvait en juillet 2017 un tableau évoquant l'organisation de sports de combat surmonté de l'inscription " guerre sainte des jeunes musulmans " et que l'influence radicale de ce lieu de culte s'étendait à l'ensemble de la vie locale, en particulier sur les plus jeunes.

9. Lors de l'audience de référé et dans les écritures produites après la réunion qui s'est tenue le 29 décembre à la préfecture des Yvelines, l'association a fait valoir que la mosquée était désormais dotée d'un règlement intérieur encadrant le comportement des fidèles et rappelant la nécessité de se conformer aux valeurs de la République, que différentes mesures de surveillance, tant du contenu des prêches que des entrées des fidèles dans le lieu de culte et des interventions pendant les cultes, avaient été décidées et allaient être mises en oeuvre dans le respect de la réglementation applicable, que le bureau avait été intégralement renouvelé lors d'une assemblée générale tenue le 10 décembre 2017 et que les nouveaux membres du bureau, choisis pour leur modération et leur maturité et désireux de s'éloigner des orientations données par le précédent président, avaient mis fin aux fonctions de l'imam qui officiait avant la fermeture et avaient proposé que certains d'entre eux exercent eux-mêmes, en tant que de besoin, le rôle d'imam. L'association a en outre fait état de sa volonté d'établir une relation constructive avec l'administration et souligné l'urgence d'une réouverture dès lors que plusieurs fidèles âgés ou handicapés ne peuvent pas se rendre à l'autre mosquée de la commune.

10. Les mesures correctrices que les nouveaux dirigeants de l'association indiquent avoir prises sont, comme l'avait d'ailleurs relevé le représentant du ministre lors de l'audience de référé, de la nature de celles qui pourraient permettre de fonder une demande d'abrogation de la mesure. Toutefois, elles ne sont intervenues que très récemment et les modalités de mise en oeuvre de plusieurs d'entre elles, en particulier la désignation de l'imam ou des personnes autorisées à intervenir dans la mosquée et les mesures de surveillance, tant du contenu des prêches que des personnes se rendant dans ce lieu, ne sont pas précisées. Dans ces conditions, l'association n'établit pas qu'elle serait en mesure d'éviter la réitération des graves dérives constatées dans un passé récent et la menace à l'ordre et la sécurité publics qui en était résultée.

11. Eu égard à l'ensemble des éléments recueillis, et alors qu'il est constant que la très grande majorité des fidèles habitant dans le quartier de la cité des Indes peuvent se rendre dans l'autre mosquée de la commune, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que le préfet des Yvelines aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu pour le Conseil d'Etat statuant en référé de prendre, en l'état de l'instruction et dans l'attente de la décision à intervenir du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été transmise par la décision précitée du 28 décembre 2017, des mesures de sauvegarde sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu, en l'état, d'ordonner des mesures conservatoires de sauvegarde.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur le surplus de la requête de l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes ".

Article 3: La présente ordonnance sera notifiée à l'association " Communauté musulmane de la cité des Indes " et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 416398
Date de la décision : 11/01/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jan. 2018, n° 416398
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:416398.20180111
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award