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28/12/2017 | FRANCE | N°414484

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 28 décembre 2017, 414484


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 414484, par un mémoire distinct et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 octobre, 12 et 20 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... B...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la circulaire JUSB1719538C du 17 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Con

stitution de l'article 94 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 414484, par un mémoire distinct et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 4 octobre, 12 et 20 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A... B...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la circulaire JUSB1719538C du 17 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 94 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 en tant qu'il ajoute un troisième alinéa à l'article L. 723-7 du code de commerce.

2° Sous le n° 414789, par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés les 9 octobre et 18 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. D... C...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 précité et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la même circulaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 94 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 en tant qu'il ajoute un troisième alinéa à l'article L. 723-7 du code de commerce et du XII de l'article 114 de la même loi.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la demande présentée par M. B...en application de l'article R. 733-3 du code de justice administrative ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 3, 61-1 et 64 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le code de commerce ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vivien David, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. D...C...et après en avoir délibéré hors de la présence du rapporteur public.

1. Considérant que les requérants soulèvent, à l'appui des recours pour excès de pouvoir qu'ils ont formés contre la circulaire du 17 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, relative à l'organisation de l'élection annuelle 2017 des juges des tribunaux de commerce, des questions prioritaires de constitutionnalité semblables ; qu'il y a lieu de joindre ces questions pour y statuer par une seule décision ;

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

3. Considérant que le d du 3° du I de l'article 95 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ajoute à l'article L. 723-7 du code de commerce l'alinéa suivant : " Les juges des tribunaux de commerce ne peuvent siéger au-delà de l'année civile au cours de laquelle ils ont atteint l'âge de soixante-quinze ans. " ; qu'aux termes du XII de l'article 114 de la même loi : " Le d du 3° du I de l'article 95 entre en vigueur le 31 décembre 2017 " ; que M. B...et autre soutiennent que ces dispositions méconnaissent le principe de non-rétroactivité de la loi, le droit au suffrage et l'égalité du suffrage garantis par l'article 3 de la Constitution, le principe d'inamovibilité des magistrats du siège prévu par son article 64, ainsi que les principes d'égalité devant la loi et d'égal accès aux emplois publics, garantis par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et d'indépendance de la justice, qui découle de son article 16 ;

4. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution : " La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. / Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. / Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. / Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. " ; que les dispositions contestées, relatives au mandat des juges des tribunaux de commerce, élus en vertu des articles L. 713-7 et L. 723-1 du code de commerce par un collège composé des membres et anciens membres de ces tribunaux ainsi que des délégués consulaires représentant les dirigeants d'entreprises, n'affectent pas le droit au suffrage universel exercé lors d'élections politiques ; que, par suite, l'article 3 de la Constitution et les principes de droit au suffrage et d'égalité du suffrage qui en découlent ne sauraient être utilement invoqués à leur encontre ;

5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ;

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de cette disposition que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions, et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle ni principe de valeur constitutionnelle, à moins que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie ;

7. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions contestées de la loi du 18 novembre 2016, qui fixent une limite d'âge au-delà de laquelle les juges des tribunaux de commerce ne peuvent siéger et prévoient que cette limite entre en vigueur au 31 décembre 2017, n'ont pas de caractère rétroactif, alors même qu'elles s'appliqueront aux mandats en cours ; qu'elles ne méconnaissent pas, par suite, les principes rappelés plus haut relatifs à la modification rétroactive d'une règle de droit ;

8. Considérant, d'autre part, que l'indépendance des juges non professionnels est garantie non par l'article 64 de la Constitution, dont l'invocation est dès lors inopérante, mais par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précité, en vertu duquel les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles ; que la fixation d'une limite d'âge à l'exercice de telles fonctions n'est pas en elle-même contraire à ces principes ; qu'eu égard au caractère général de la limite fixée par les dispositions contestées, à l'âge maximal de soixante-quinze ans qu'elles retiennent et à leur entrée en vigueur différée de plus d'un an, ces dispositions ne peuvent être regardées comme ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à l'indépendance des juges des tribunaux de commerce ;

9. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents " ; que les dispositions contestées, qui participent d'un rapprochement entre le statut des membres des tribunaux de commerce et celui des magistrats judiciaires, pour les fonctions desquels une limite d'âge est prévue par l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, poursuivent l'objectif d'intérêt général de favoriser le renouvellement des juges consulaires ; qu'elles créent ainsi une différence de traitement entre les personnes âgées de plus et de moins de soixante-quinze ans en lien direct avec l'objet de la loi et qui n'est pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article 95 de la loi du 18 novembre 2016 précitée, en tant qu'il ajoute un troisième alinéa à l'article L. 723-7 du code de commerce, et du XII de l'article 114 de la même loi, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par MM. A...B...et D...C....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM.A... B... et D...C...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 414484
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 28 déc. 2017, n° 414484
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vivien David
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 16/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:414484.20171228
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