Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 février, 2 mai et 28 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1851 du 23 décembre 2016 relatif à la désignation des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires dans certaines procédures relatives aux entreprises en difficulté et modifiant le code de commerce ;
2°) de mettre à la charge de l'État une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;
- l'ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;
- le décret n° 73-541 du 19 juin 1973 ;
- le décret n° 75-770 du 14 août 1975 ;
- la décision du 12 juillet 2017 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Chavanat, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.
1. Considérant que l'article 64 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour : " 1° Permettre la désignation en justice, à titre habituel, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires en qualité de liquidateur dans le cadre des procédures de liquidation judiciaire prévues au titre IV du livre VI du code de commerce, ou d'assistant du juge commis dans le cadre des procédures de rétablissement professionnel prévues au même titre IV, lorsque ces procédures sont ouvertes à l'encontre de débiteurs n'employant aucun salarié et réalisant un chiffre d'affaires annuel hors taxes inférieur ou égal à 100 000 € " et " 2° Déterminer les modalités de rémunération des fonctions mentionnées au 1° et d'application aux huissiers de justice et aux commissaires-priseurs judiciaires les exerçant des dispositions du livre VIII du code de commerce relatives à la discipline, au contrôle et à la comptabilité des mandataires judiciaires, ainsi que de celles relatives à la représentation des fonds " ; que, sur le fondement de ces dispositions, le Gouvernement a pris l'ordonnance du 2 juin 2016 relative à la désignation en justice, à titre habituel, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge commis dans certaines procédures prévues au titre IV du livre VI du code de commerce dont le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires demande l'annulation pour excès de pouvoir ; que l'ordonnance a été ratifiée par l'article 99 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ; que le décret du 23 décembre 2016 relatif à la désignation des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires dans certaines procédures relatives aux entreprises en difficulté et modifiant le code de commerce a été pris pour l'application de l'ordonnance du 2 juin 2016 ; que le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 23 décembre 2016 ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du III de l'article L. 812-2 du code de commerce : " Le tribunal peut en outre désigner à titre habituel des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires en qualité de liquidateur dans les procédures de liquidation lorsque ces procédures sont ouvertes à l'encontre de débiteurs n'employant aucun salarié et réalisant un chiffre d'affaires annuel hors taxes inférieur ou égal à 100 000 €, ou d'assistant du juge commis dans le cadre des procédures de rétablissement professionnel. (...) " ; que le II de l'article L. 814-10-1 du même code dispose que les personnes désignées dans les conditions prévues au III de l'article L. 812-2 " sont soumises au contrôle de cette activité professionnelle. Ce contrôle est confié au conseil national mentionné à l'article L. 814-2. Elles sont tenues, sans pouvoir opposer le secret professionnel, de déférer aux demandes des personnes chargées du contrôle tendant à la communication de tous renseignements ou documents utiles. / L'organisation et les modalités de ce contrôle sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. "
3. Considérant qu'en application du premier alinéa de l'article R. 814-42 du code de commerce, chaque mandataire judiciaire ou administrateur judiciaire est soumis tous les trois ans à un contrôle qui porte sur l'ensemble de son activité ; que l'article 20 du décret attaqué prévoit que, par dérogation à cette disposition, l'huissier de justice ou le commissaire-priseur judiciaire mentionné au III de l'article L. 812-2 est soumis à un contrôle, qui porte sur l'activité pour laquelle il a été désigné, lorsque le nombre des mandats ainsi exercés est supérieur à dix, sans que le délai entre deux contrôles puisse être inférieur à trois ans ; que le troisième alinéa de l'article R. 814-42, dans sa rédaction issue du décret attaqué, prévoit, par ailleurs, que les professionnels et les huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires mentionnés au III de l'article L. 812-2 peuvent, à tout moment, être soumis à un contrôle occasionnel qui porte soit sur une question particulière, soit sur l'ensemble de leur activité ;
4. Considérant que l'article L. 814-10-1 du code de commerce a confié au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les modalités propres du contrôle, par le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, de l'activité des huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires désignés en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge dans certaines procédures ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il résulte des termes mêmes de l'article L. 814-10-1 que le législateur n'a pas entendu imposer au pouvoir réglementaire de prévoir des modalités de contrôle identiques à celles qui sont prévues pour les mandataires judiciaires ; que les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires doivent consacrer leur activité professionnelle à l'accomplissement du service public dont ils ont la charge ; que s'ils peuvent être désignés à titre habituel en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge dans certaines procédures, une telle activité ne peut présenter par rapport à l'ensemble de leur activité qu'un caractère accessoire ; qu'ils se trouvent, par suite, dans une situation différente de celle des personnes qui exercent la profession de mandataire judiciaire ; qu'ainsi, en adoptant des modalités de contrôle propres aux huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires tenant compte du nombre de mandats exercés, le pouvoir réglementaire n'a méconnu ni l'article L. 814-10-1 du code de commerce, ni, eu égard à l'objectif poursuivi, le principe d'égalité ;
5. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 814-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 22 du décret attaqué : " I. - Avant la fin du troisième trimestre de chaque année, le président du Conseil national soumet à l'agrément du garde des sceaux, ministre de la justice, une liste des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires susceptibles de procéder aux contrôles au cours de l'année suivante. Cette liste comprend au moins vingt administrateurs judiciaires et au moins quarante mandataires judiciaires. / II. - Le président de la Chambre nationale des huissiers de justice et celui de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires soumettent, selon les mêmes modalités, une liste des membres de leur profession respective susceptibles de procéder aux contrôles au cours de l'année suivante, à l'agrément du garde des sceaux, ministre de la justice. Cette liste comprend au moins quarante huissiers de justice et au moins vingt commissaires-priseurs judiciaires. / (...) / IV. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, agrée par arrêté les autres personnes spécialement habilitées à procéder à des contrôles occasionnels, dont les noms lui sont soumis par le président du Conseil national, celui de la Chambre nationale des huissiers de justice et celui de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judicaires. " ; que l'article R. 814-45 du même code, dans sa rédaction issue de la même disposition du décret attaqué, précise que " le contrôle est effectué par trois contrôleurs : / 1° Deux administrateurs judiciaires ou mandataires judiciaires figurant sur la liste prévue à l'article R. 814-44 et n'exerçant pas leur activité dans le même ressort de cour d'appel que le professionnel contrôlé, dont l'un peut être remplacé, dans le cas d'un contrôle occasionnel, par l'une des personnes spécialement habilitées à cette fin ; / 2° Un commissaire aux comptes (...) ; / 3° Lorsque le contrôle porte sur une personne mentionnée au III de l'article L. 812-2, le second mandataire judiciaire mentionné au 1° est remplacé, selon le cas, par un huissier de justice ou un commissaire-priseur judiciaire n'exerçant pas son activité dans le même ressort de cour d'appel que le professionnel contrôlé. / (...) " ;
6. Considérant, d'une part, que les contrôles réalisés par les mandataires judiciaires ne visent pas l'ensemble des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires susceptibles d'être désignés à titre habituel en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge dans certaines procédures mais seulement ceux d'entre eux qui ont exercé plus de dix mandats ; que le délai entre deux contrôles ne peut, par ailleurs, être inférieur à trois ans ; que le décret attaqué a porté le nombre de mandataires judiciaires susceptibles de procéder aux contrôles de trente à quarante au moins ; que le Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires est ainsi habilité à proposer un nombre de mandataires judiciaires supérieur à quarante si les nécessités du contrôle l'exigent ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que de telles modalités ne permettraient pas d'assurer le contrôle de l'activité des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires susceptibles d'être désignés à titre habituel en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge dans certaines procédures ;
7. Considérant, d'autre part, qu'eu égard aux compétences juridiques et aptitudes professionnelles exigées des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires et à la portée limitée des procédures visées à l'article L. 812-2 du code de commerce, le législateur a permis leur désignation en justice à titre habituel en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge dans lesdites procédures ; qu'à l'instar des mandataires judiciaires appelés à procéder aux contrôles, pour lesquels aucune condition supplémentaire n'est requise, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires sont en mesure de contrôler la manière dont leurs confrères exercent les mandats qui leur sont confiés dans les procédures visées à l'article L. 812-2 ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 qu'en déterminant les professionnels chargés de réaliser les contrôles des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires visés à l'article L. 812-2 du code de commerce, le décret attaqué ne méconnaît pas l'article L. 814-10-1 du même code et n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
9. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 814-9 du code de commerce : " Les personnes mentionnées au III de l'article L. 812-2 sont également tenues de suivre une formation continue leur permettant d'entretenir et de perfectionner leurs connaissances des procédures dans lesquelles elles peuvent être désignées à titre habituel. Cette formation est organisée selon les modalités prévues par leur statut. " ; que l'article 21 du décret du 14 août 1975 relatif aux conditions d'accès à la profession d'huissier de justice ainsi qu'aux modalités des créations, transferts et suppressions d'offices d'huissiers de justice et concernant certains officiers ministériels et auxiliaires de justice et l'article 7 du décret du 19 juin 1973 relatif à la formation professionnelle des commissaires-priseurs judiciaires et aux conditions d'accès à cette profession, dans leur rédaction issue du décret attaqué, disposent que l'huissier de justice et le commissaire-priseur judiciaire qui exercent les activités mentionnées au III de l'article L. 812-2 du code de commerce consacrent à la formation continue prévue au second alinéa de l'article L. 814-9 au moins le quart des vingt heures annuelles de formation continue qu'ils sont astreints à suivre dans le cadre de leur profession ; que ces dispositions prévoient également qu'au cours de la première année d'exercice des activités, la formation continue inclut dix heures au moins portant sur les procédures relatives à ces activités ;
10. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la durée de la formation continue des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires relative aux activités mentionnées au III de l'article L. 812-2 du code de commerce au cours de la première année d'activité puis des années suivantes méconnaîtrait, compte tenu de la portée des procédures concernées, l'objectif fixé par l'article L. 814-9 et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
11. Considérant, en dernier lieu, que, dans l'exécution des mandats confiés par l'autorité judiciaire, les huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires sont soumis, conformément à l'article L. 812-2 du même code, aux règles d'incompatibilité prévues par leur statut ; qu'eu égard à l'ensemble des obligations et mécanismes de prévention des conflits d'intérêts prévus par la loi à l'occasion de leur désignation en qualité de liquidateur ou d'assesseur du juge, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le décret serait entaché d'illégalité faute d'avoir prévu des dispositions de nature à prévenir les conflits d'intérêts auxquels les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires pourraient être exposés lorsqu'ils sont désignés en qualité de liquidateur ou d'assistant du juge commis dans certaines procédures prévues au titre IV du livre VI du code de commerce ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires n'est pas fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque ; qu'il suit de là que ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.