Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 404636, par une requête, enregistrée le 21 octobre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société E-Labo France et la société Smakq développement demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1139 du 22 août 2016 complétant les dispositions relatives à la fabrication, à la présentation, à la vente et à l'usage des produits du tabac, des produits du vapotage et des produits à fumer à base de plantes autres que le tabac et de constater, par voie de conséquence, l'illégalité de l'arrêté du 22 août 2016 relatifs aux produits du tabac, du vapotage, et à fumer à base de plantes autres que le tabac ainsi qu'au papier à rouler les cigarettes ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir les articles 6 et 7 de ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 406352, par une requête, enregistrée le 27 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société E-Labo France et la société Smakq développement demandent au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1708 du 12 décembre 2016 modifiant le décret n° 2016-1139 du 22 août 2016 complétant les dispositions relatives à la fabrication, à la présentation, à la vente et à l'usage des produits du tabac, des produits du vapotage et des produits à fumer à base de plantes autres que le tabac ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2 et 3 de ce décret ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 ;
- le code de la santé publique ;
- l'ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Florence Marguerite, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
- Vu la note en délibéré, enregistrée sous les n° 404636 et n° 406352 le 20 décembre 2017, présentée par le ministre des solidarités et de la santé ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 3513-10 inséré dans le code de la santé publique par l'ordonnance du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes : " Six mois avant la mise sur le marché de produits du vapotage contenant de la nicotine, les fabricants et importateurs soumettent à l'établissement public désigné par arrêté, un dossier de notification par marque et par type de produit. / Ce dossier porte notamment sur les responsables de cette mise sur le marché, sur la composition, les émissions, les données toxicologiques des ingrédients et des émissions, les composants et le processus de fabrication du produit ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 3513-12, inséré dans ce code par la même ordonnance : " Toute notification mentionnée à l'article L. 3513-10 donne lieu au versement, au profit de l'établissement public mentionné par cet article, d'un droit pour la réception, le stockage, le traitement, et l'analyse des informations, dont le montant est fixé par décret (...) ". Pour l'application de ces dispositions, le décret du 22 août 2016 a inséré dans ce code un article D. 3513-10 qui fixe le montant des droits correspondants à 550 euros par produit figurant dans toute notification ou modification substantielle de notification, prévues à l'article L. 3513-10, et à 120 euros par produit et par an pour le stockage, le traitement et l'analyse des notifications mentionnées à ce même article. Le décret du 12 décembre 2016 a modifié ces dispositions pour abaisser à 295 euros, au lieu de 550 euros, le montant des droits par produit figurant dans toute notification ou modification substantielle de notification. Par deux requêtes, qu'il y a lieu de joindre, la société E-Labo France et société Smakq développement demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir ces deux décrets et de constater, par voie de conséquence, l'illégalité de l'arrêté du 22 août 2016 relatif aux produits du tabac, du vapotage et à fumer à base de plantes autres que le tabac ainsi qu'au papier à rouler les cigarettes.
Sur les dispositions du II de l'article D. 3513-10 du code de la santé publique dans leur rédaction issue du décret du 12 décembre 2016 :
En ce qui concerne l'absence d'étude d'impact :
2. Les sociétés requérantes ne peuvent utilement invoquer à l'encontre des dispositions réglementaires attaquées la méconnaissance de la circulaire du 17 février 2011 relative à la simplification des normes concernant les entreprises et les collectivités territoriales, adressée par le Premier ministre aux ministres, qui se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental. Par suite, elles ne sont pas fondées à soutenir que ces dispositions auraient été prises à l'issue d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédées de l'étude d'impact prévue par cette circulaire.
En ce qui concerne la base légale des dispositions attaquées :
3. Le paragraphe 2 de l'article 20 de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes prévoit, pour permettre aux Etats membres d'exercer leur contrôle sur les produits de vapotage, que : " Les fabricants et les importateurs de cigarettes électroniques et de flacons de recharge soumettent une notification aux autorités compétentes des États membres concernant tout produit de ce type (...) six mois avant la date prévue de mise sur le marché (...) ", notification qui comporte notamment la liste de tous les ingrédients contenus dans le produit, assortie de données toxicologiques. Aux termes du dernier alinéa de ce paragraphe 2 de l'article 20 : " Les États membres peuvent percevoir des redevances proportionnelles auprès des fabricants et des importateurs pour la réception, le stockage, le traitement et l'analyse des informations qui leur sont soumises ".
4. L'obligation faite aux fabricants et importateurs de notifier les produits du vapotage contenant de la nicotine répond, ainsi que le mentionne le considérant 36 de la directive du 3 avril 2014, au souci d'assurer " un degré élevé de protection de la santé publique ". En conséquence, le contrôle des produits soumis à l'obligation de notification, qui vise à la fois à permettre aux Etats membres de veiller au respect des exigences de la directive relatives notamment à la teneur maximale des produits en nicotine et à l'innocuité des autres ingrédients, à mieux informer le consommateur sur la composition et les risques de ces produits et à améliorer les connaissances scientifiques des administrations nationales et européennes en vue de faire évoluer, le cas échéant, la réglementation, ne constitue pas un service rendu pouvant donner lieu à la perception d'une redevance. Dans ces conditions, les droits prévus à l'article L. 3513-12 du code de la santé publique revêtent, ainsi qu'il est soutenu, la nature d'un prélèvement fiscal.
5. Si le 2 de l'article 20 de la directive du 3 avril 2014 autorise seulement les Etats membres à percevoir des " redevances proportionnelles " auprès des fabricants et des importateurs, pour la réception, le stockage, le traitement et l'analyse des informations qui leur sont soumises au titre de l'obligation de notification, le Gouvernement pouvait faire usage de cette faculté en instaurant un prélèvement ayant, au regard du droit national, une nature fiscale, dès lors que les taux de ce prélèvement respectaient l'exigence de proportionnalité au coût des tâches incombant à l'administration du fait de cette notification. Par sa décision n°s 401536, 401561, 401611, 401632, 401668 du 10 mai 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé, au motif que le plafond de 7 600 euros qu'il prévoyait méconnaissait cette exigence de proportionnalité, l'article 1er de l'ordonnance du 19 mai 2016 en tant que l'article L. 3513-12 qu'il insère dans le code de la santé publique fixe à un niveau supérieur à 500 euros la limite dans laquelle le barème du droit qu'il crée peut être déterminé. Il en résulte un encadrement suffisant de la possible modulation de ce droit. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions de l'article L. 3513-12 du code de la santé publique, telles qu'elles résultent de la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux, méconnaîtraient les objectifs de la directive en ce qui concerne les droits auxquels donnent lieu les notifications des produits de vapotage contenant de la nicotine.
6. Pour les mêmes motifs, les sociétés requérantes ne sont, en tout état de cause, pas fondées à soutenir que les dispositions de l'ordonnance du 19 mai 2016 auraient illégalement assimilé les produits du vapotage aux produits du tabac, en prévoyant, à l'article L. 3512-19 du code de la santé publique, que le montant des droits dus au titre des déclarations et notifications auxquelles les produits du tabac sont soumises est fixé par décret dans la même limite de 7 600 euros.
7. Enfin, les dispositions réglementaires attaquées sont prises sur le fondement de l'article L. 3513-12 qui prévoit le versement d'un droit à l'occasion des notifications mentionnées à l'article L. 3513-10, lesquelles concernent les seuls " produits du vapotage contenant de la nicotine ". Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs conclusions, de ce que l'article L. 3513-1, inséré dans le code de la santé publique par l'ordonnance du 19 mai 2016, méconnaîtrait les objectifs de la directive du 3 avril 2014 en définissant, de façon trop large, les flacons de recharge comme les récipients renfermant un liquide " contenant le cas échéant de la nicotine ", qui peuvent être utilisés pour recharger un dispositif électronique de vapotage.
En ce qui concerne l'exception d'illégalité du décret du 22 août 2016 :
8. L'illégalité d'un acte administratif ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou a été prise pour son application. Les dispositions du décret du 12 décembre 2016 n'ont pas pour base légale celles du décret du 22 août 2016 et n'ont pas été prises pour son application mais les modifient pour abaisser le montant du droit qu'elles prévoient. Par suite, les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de l'illégalité des dispositions modifiées pour soutenir que les dispositions de l'article D. 3513-10, dans leur rédaction issues du décret du 12 décembre 2016, seraient entachées d'illégalité.
En ce qui concerne le respect des objectifs de la directive du 3 avril 2014 par les dispositions de l'article D. 3513-10 :
9. Ainsi qu'il a été dit au point 5, si le Gouvernement pouvait faire usage de la faculté ouverte aux Etats par le 2 de l'article 20 de la directive du 3 avril 2014 en instaurant un prélèvement ayant, au regard du droit national, une nature fiscale, c'est à la condition que les taux de ce prélèvement respectent l'exigence de proportionnalité au coût des tâches incombant à l'administration du fait de la notification, lesquelles recouvrent la réception, le stockage, le traitement et l'analyse des informations.
10. Il résulte clairement de l'article 20 de la directive du 3 avril 2014, ainsi que de l'article L. 3513-12 du code de la santé publique pris pour sa transposition, que les tâches susceptibles d'être ainsi financées par un prélèvement n'incluent pas l'organisation des contrôles destinés à assurer la surveillance des produits vendus pour en vérifier la conformité aux éléments notifiés préalablement à leur commercialisation. Par suite, le droit annuel prévu par le 2° du II de l'article D. 3513-10, fixé à 120 euros par produit et par an, ne saurait, contrairement à ce que soutient l'administration pour en justifier l'instauration, couvrir de telles tâches. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir que les dispositions qu'elles attaquent méconnaissent, en ce qu'elles prévoient un tel droit, les objectifs de la directive du 3 avril 2014.
11. En revanche, eu égard aux coûts fixes et aux coûts unitaires, tenant notamment à la mise en place et à la maintenance du système d'information et à la rémunération des personnels et experts dont l'intervention est nécessaire, il ne ressort pas des pièces des dossiers qu'en prévoyant un droit de 295 euros par produit, quel que soit le nombre des marques sous lesquelles il est commercialisé, à l'occasion d'une notification ou d'une modification substantielle de notification, le pouvoir réglementaire ait fixé un montant excédant le coût des tâches de réception, de stockage, de traitement et d'analyse des informations incombant à l'administration. Par suite, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions du 1° du II de l'article D. 3513-10, prévoyant un droit de 295 euros par produit, méconnaissent les objectifs de la directive du 3 avril 2014.
Sur l'article 3 du décret du 12 décembre 2016 :
12. Les sociétés requérantes critiquent l'article 3 du décret du 12 décembre 2016, fixant les conditions d'entrée en vigueur des dispositions relatives aux notifications à transmettre pour les produits du vapotage, au motif qu'il ne respecterait pas le délai minimum prévu par la circulaire du 23 mai 2011 relative aux dates communes d'entrée en vigueur des normes concernant les entreprises. Toutefois, cette circulaire, adressée par le Premier ministre aux ministres, se borne à fixer des orientations pour l'organisation du travail gouvernemental. Par suite, les requérantes ne peuvent utilement invoquer sa méconnaissance à l'appui de leurs conclusions.
Sur les dispositions du 1° du II de l'article D. 3513-10 du code de la santé publique, dans leur rédaction issue du décret du 22 août 2016, et sur l'article 7 de ce décret dans sa rédaction initiale :
13. Un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte administratif n'a d'autre objet que d'en faire prononcer l'annulation avec effet rétroactif. Si, avant que le juge n'ait statué, l'acte attaqué est abrogé par l'autorité compétente, cette circonstance prive d'objet le recours formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive.
14. D'une part, il résulte de la présente décision que le décret du 12 décembre 2016, en tant qu'il modifie le 1° du II de l'article D. 3513-10 du code de la santé publique et l'article 7 du décret du 22 août 2016, est devenu définitif. D'autre part, il n'est pas contesté que les dispositions du 1° du II de l'article D. 3513-10, dans leur rédaction issue du décret du 22 août 2016, et celles de l'article 7 de ce décret, dans leur rédaction initiale, n'ont reçu aucune exécution pendant la période précédant l'entrée en vigueur du décret du 12 décembre 2016. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de ces dispositions.
Sur l'arrêté du 22 août 2016 :
15. Il n'appartient pas à la juridiction administrative, sauf à ce qu'elle soit saisie par le juge judiciaire d'une question préjudicielle à cette fin, de statuer sur des conclusions tendant à constater l'illégalité d'un acte administratif. Par suite, les conclusions des sociétés requérantes tendant à ce que soit constatée l'illégalité de l'arrêté du 22 août 2016 relatifs aux produits du tabac, du vapotage, et à fumer à base de plantes autres que le tabac ainsi qu'au papier à rouler les cigarettes ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à chacune des sociétés E-Labo France et Smakq développement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 404636 tendant, d'une part, à l'annulation de l'article 6 du décret n° 2016-1139 du 22 août 2016 en tant qu'il prévoit au I° du II de l'article D. 3513-10 qu'il insère dans le code de la santé publique un droit de 550 euros par produit figurant dans toute notification ou modification substantielle de notification et, d'autre part, à l'annulation de l'article 7 de ce décret dans celles de ses dispositions modifiées par le décret n° 2016-1708 du 12 décembre 2016.
Article 2 : Le 2° du II de l'article D. 3513-10 inséré dans le code de la santé publique par l'article 6 du décret n° 2016-1139 du 22 août 2016 est annulé.
Article 3 : L'Etat versera à la société E-Labo France et la société Smakq développement une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes des sociétés E-Labo France et Smakq développement est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société E-Labo France, à la société Smakq développement, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.