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22/12/2017 | FRANCE | N°416529

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 22 décembre 2017, 416529


Vu la procédure suivante :

MM. G...E..., B...A..., I...C...H...et F...D...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au président du conseil départemental de la Seine-Maritime de leur proposer une solution d'hébergement et la prise en charge de leurs besoins dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 600 euros par jour de retard, ce montant étant porté à 1 000 euros par jour de retard pa

ssé un délai de huit jours et, d'autre part, d'enjoindre à la préf...

Vu la procédure suivante :

MM. G...E..., B...A..., I...C...H...et F...D...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre au président du conseil départemental de la Seine-Maritime de leur proposer une solution d'hébergement et la prise en charge de leurs besoins dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 600 euros par jour de retard, ce montant étant porté à 1 000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime, en cas de carence du département dans un délai de huit jours, de leur proposer une solution d'hébergement temporaire dans un délai de vingt-quatre heures passé le délai de huit jours, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, sans préjudice des obligations pesant sur le département. Par quatre ordonnances n° 1703770, 1703771, 1703772 et 1703773 du 8 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a enjoint, d'une part, au président du conseil départemental de la Seine-Maritime d'assurer l'hébergement de MM.E..., A..., C...H...et D...incluant le logement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard puis, au-delà d'un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance, à 200 euros par jour de retard, jusqu'à ce que MM.E..., A..., C...H...et D...aient été effectivement pris en charge par le département et ce, alors même que les intéressés auraient été temporairement hébergés par l'Etat et, d'autre part, à la préfète de la Seine-Maritime, en cas de carence du département dans un délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de proposer aux intéressés une solution d'hébergement temporaire, incluant le logement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de trois jours à compter de l'expiration du délai précité de dix jours, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, sans préjudice des obligations pesant sur le département ;

Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les ordonnances n° 1703770, 1703771, 1703772 et 1703773 du 8 décembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de rejeter les conclusions de première instance de MM.E..., A..., C...H...etD... ;

Il soutient que :

- les ordonnances contestées sont insuffisamment motivées dès lors que le juge des référés s'est borné à constater l'impossibilité pour le département de la Seine-Maritime de prendre les mesures nécessaires pour que les requérants bénéficient d'un hébergement d'urgence sans motiver en quoi cette impossibilité serait établie, ni en quoi le cas échéant, elle résulterait d'une situation exceptionnelle ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce qu'elle ne caractérise pas l'existence d'une carence du département de la Seine-Maritime ni l'existence d'une situation sans précédent exigeant l'adoption de mesure de sauvegarde excédant les capacités d'action du département de nature a entraîner une obligation d'agir pour le préfet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2017, MM.E..., A..., C...H...et D...concluent au non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2017, le département de la Seine-Maritime conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer sur les conclusions présentées par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur dès lors que les mineurs ont tous été accueillis et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, d'autre part, MM.E..., A..., C...H...et D...et le département de Seine-Maritime ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 21 décembre 2017 à 9 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

- Me Gouz-Fitoussi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM.E..., A..., C...H...et D...;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Lorsqu'un requérant fonde son action, non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du même code, mais sur la procédure particulière instituée par l'article L. 521-2, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par cette disposition soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doivent être prises dans les quarante-huit heures.

2. L'article 375 du code civil dispose que : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". Aux termes de l'article 375-3 du même code : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ". L'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (...) 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article R. 221-11 du même code : " I. - Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d'urgence d'une durée de cinq jours, à compter du premier jour de sa prise en charge, selon les conditions prévues aux deuxième et quatrième alinéas de l'article L. 223-2. / II. - Au cours de la période d'accueil provisoire d'urgence, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires en vue d'évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d'origine, sa nationalité et son état d'isolement. (...) IV. - Au terme du délai mentionné au I, ou avant l'expiration de ce délai si l'évaluation a été conduite avant son terme, le président du conseil départemental saisit le procureur de la République en vertu du quatrième alinéa de l'article L. 223-2 et du second alinéa de l'article 375-5 du code civil. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I se prolonge tant que n'intervient pas une décision de l'autorité judiciaire. / S'il estime que la situation de la personne mentionnée au présent article ne justifie pas la saisine de l'autorité judiciaire, il notifie à cette personne une décision de refus de prise en charge délivrée dans les conditions des articles L. 222-5 et R. 223-2. En ce cas, l'accueil provisoire d'urgence mentionné au I prend fin ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

4. L'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative est subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Il incombe, dès lors, au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l'administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 et qui, compte tenu de l'urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l'attente d'un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d'accueil ou une famille d'accueil si celui-ci n'est pas matériellement possible à très bref délai.

5. Il appartient, en tout état de cause, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. Lorsque la carence des autorités publiques expose des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à de tels traitements, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence. Toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. Par suite, le juge des référés ne pourrait prononcer une injonction à leur égard que dans l'hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d'action du département.

6. Il résulte de l'instruction que MM.E..., A..., C...H...etD..., ont été pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance du département de Meurthe-et-Moselle à partir du mois de novembre 2017. Par ses ordonnances n° 1703770, 1703771, 1703772 et 1703773 du 8 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a ensuite enjoint au président du conseil départemental de la Seine-Maritime d'assurer l'hébergement de MM.E..., A..., C...H...et D...incluant le logement et la prise en charge de leurs besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de 150 euros par jour de retard puis, au-delà d'un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance, à 200 euros par jour de retard, jusqu'à ce que MM.E..., A..., C...H...et D...aient été effectivement pris en charge par le département. En enjoignant à la préfète de la Seine-Maritime, à titre subsidiaire, en cas de carence du département, sans constater ni caractériser cette carence, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen entaché son ordonnance d'erreur de droit. La circonstance que les 8, 11, 14 et 18 décembre 2017, le département de la Seine-Maritime a procuré, respectivement à MM.E..., A..., C...H...etD..., un hébergement temporaire afin notamment d'évaluer leur situation et de leur proposer un hébergement plus pérenne et conforme à leurs besoins, ne rend pas sans objet les conclusions d'appel du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur tendant à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat annule les ordonnances du 8 décembre 2017.

7. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 3 de chacune des ordonnances n° 1703770, 1703771, 1703772 et1703773 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 8 décembre 2017.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les articles 3 de chacune des ordonnances n° 1703770, 1703771, 1703772 et 1703773 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 8 décembre 2017 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions du département de la Seine-Maritime ainsi que celles de MM.E..., A..., C...H...et D...sont rejetées.

Article 3 : Les demandes présentées par MM.E..., A..., C...H...et D...devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen, en tant qu'elle sont dirigées contre la préfète de la Seine-Maritime, sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, au département de la Seine-Maritime et à MM. G...E..., B...A..., I...C...H...et F...D....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 416529
Date de la décision : 22/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 22 déc. 2017, n° 416529
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GOUZ-FITOUSSI, RIDOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:416529.20171222
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