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06/12/2017 | FRANCE | N°401674

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 06 décembre 2017, 401674


1° Sous le n° 401674, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet 2016 et 16 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A...B...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la commission d'avancement a émis le 8 juin 2016 un avis défavorable à sa demande d'intégration directe dans le corps judiciaire à l'issue de son stage probatoire ;

2°) d'enjoindre à la commission d'avancement de réexaminer sa demande, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter d'un déla

i de quinze jours suivant la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge d...

1° Sous le n° 401674, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juillet 2016 et 16 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A...B...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la commission d'avancement a émis le 8 juin 2016 un avis défavorable à sa demande d'intégration directe dans le corps judiciaire à l'issue de son stage probatoire ;

2°) d'enjoindre à la commission d'avancement de réexaminer sa demande, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 408542, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 mars et 30 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A...B...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la commission d'avancement siégeant du 5 au 9 et du 12 au 16 décembre 2016, après réexamen de sa demande d'intégration directe dans le corps judiciaire à l'issue de son stage probatoire, a émis de nouveau un avis défavorable ;

2°) d'enjoindre à la commission d'avancement de réexaminer sa demande, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 16 novembre 2017, présentée par Mme B... ;

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 22 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans leur rédaction applicable au litige, que peuvent être nommées directement aux fonctions du second grade de la hiérarchie judiciaire, à condition d'être âgées de trente-cinq ans au moins, les personnes remplissant les conditions prévues à l'article 16 de la même ordonnance, titulaires d'un diplôme et justifiant de sept années au moins d'exercice professionnel les qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ; qu'aux termes de l'article 25-3 de cette ordonnance : " Les candidats à une intégration au titre des articles 22 et 23 suivent, s'ils sont admis par la commission prévue à l'article 34, une formation probatoire organisée par l'École nationale de la magistrature comportant un stage en juridiction (...). / Le directeur de l'École nationale de la magistrature établit, sous la forme d'un rapport, le bilan de la formation probatoire de chaque candidat qu'il adresse au jury (...). / Après un entretien avec le candidat, le jury se prononce sur son aptitude à exercer des fonctions judiciaires et transmet son avis à la commission prévue à l'article 34. Toute décision de la commission d'avancement défavorable à l'intégration d'un candidat admis à la formation probatoire (...) est motivée (...) " ; que, selon l'article 25-2 de la même ordonnance, les nominations à ce titre interviennent après avis conforme de la commission d'avancement prévue à l'article 34 ; qu'en vertu des dispositions de ce dernier article, la commission d'avancement dresse les listes d'aptitude aux fonctions de magistrat ;

2. Considérant que MmeB..., qui exerçait auparavant comme avocate au barreau de Toulouse, a sollicité son intégration directe au second grade de la hiérarchie judiciaire au titre des dispositions citées ci-dessus ; qu'à l'issue de la formation probatoire, la commission d'avancement instituée par l'article 34 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 a émis, le 8 juin 2016, un avis défavorable à son intégration dans le corps judiciaire, au motif que l'intéressée ne présentait pas les garanties de conscience et de respect des règles déontologiques requises pour exercer les fonctions de magistrat ; que Mme B...a sollicité le réexamen de sa demande ; que la commission d'avancement a de nouveau émis un avis défavorable à sa demande d'intégration dans le corps judiciaire ; que, par les requêtes visées ci-dessus, Mme B... demande l'annulation pour excès de pouvoir des deux décisions de la commission d'avancement ; que ces requêtes présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité de la décision du 8 juin 2016 :

3. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces des dossiers qu'en application de l'article 31-1 du décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, Mme B...a été auditionnée le 7 juin 2016 par deux membres de la commission d'avancement ; que, dans un courrier adressé au secrétariat de la commission à l'issue de cette audition, la requérante a persisté dans les souhaits d'affectation qu'elle avait exprimés en novembre 2015 alors que ceux-ci méconnaissaient les exigences de l'article 32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 cité au point 6 et que les deux membres de la commission d'avancement l'avaient alertée sur cette méconnaissance des dispositions statutaires ; que ce courriel a été pris en compte par la commission d'avancement ; que cette dernière a examiné la demande d'intégration de Mme B... lors de la réunion organisée le matin du 8 juin 2016 ; que le même jour, en fin de matinée, la requérante a adressé au secrétariat de la commission un nouveau courriel pour modifier ses souhaits d'affectation ; que la commission d'avancement n'était pas tenue de prendre en compte une pièce produite par l'intéressée postérieurement à la réunion au cours de laquelle elle s'est prononcée sur sa demande d'intégration ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision de la commission n'a pas été rendue au terme d'une procédure irrégulière ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier qu'une personnalité politique en exercice a adressé au garde des sceaux, ministre de la justice, deux courriers, le premier par lequel cette personnalité apportait son soutien à la demande d'intégration directe dans le corps judiciaire de la requérante et le second demandant que soient réglées les difficultés rencontrées par l'intéressée pour pouvoir réaliser sa formation probatoire à proximité de son domicile ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, c'est sans erreur de fait que la commission d'avancement a relevé l'existence d'interventions réitérées en faveur de la candidate adressées au garde des sceaux par une personnalité politique ;

5. Considérant qu'il résulte des dispositions mentionnées au point 1 qu'il appartient à la commission d'avancement de s'assurer que les candidats à une intégration dans le corps judiciaire présentent les garanties nécessaires pour exercer les fonctions de magistrat ; que le législateur organique a entendu investir la commission d'avancement d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude des candidats à exercer les fonctions de magistrat et, à ce titre, du respect par les intéressés des devoirs s'attachant à l'état de magistrat parmi lesquels se trouvent l'intégrité, la discrétion, la connaissance et le respect de la règle de droit ; qu'à cet effet, la commission d'avancement a pu, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et par une décision suffisamment motivée sur ce point, légalement tenir compte de la circonstance qu'une personnalité politique était intervenue de manière réitérée auprès du garde des sceaux pour soutenir Mme B...; que la commission d'avancement n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en retenant que l'intéressée, dont il ressort des pièces du dossier qu'elle ne pouvait être étrangère à cette intervention, ne présentait pas les garanties nécessaires de conscience et de volonté de respect des règles déontologiques ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Nul ne peut être nommé magistrat dans le ressort d'un tribunal de grande instance ou d'un tribunal de première instance où il aura exercé depuis moins de cinq ans les professions d'avocat, avoué, notaire, huissier de justice ou agréé près les tribunaux de commerce. Toutefois, cette exclusion est étendue, pour une nomination déterminée, à un ou plusieurs autres ressorts de tribunaux du ressort de la cour d'appel, dès lors que la commission prévue à l'article 34 a émis un avis en ce sens " ; qu'il ressort des pièces du dossier que les souhaits d'affectation de MmeB..., qu'elle a persisté à présenter dans son courriel du 7 juin 2016, portaient, en priorité, sur une affectation au sein d'un tribunal de grande instance dans le ressort de la cour d'appel de Toulouse ; que la commission d'avancement a pu sans erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation se fonder sur ce que de tels souhaits n'étaient pas conformes aux dispositions de l'article 32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 pour en déduire que la requérante ne présentait pas des garanties suffisantes de respect des devoirs s'attachant à l'état de magistrat ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que si, lorsque qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, c'est au défendeur qu'il incombe de produire tous les éléments permettant d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte au principe de non discrimination ; que, en l'espèce, la requérante n'apporte pas d'élément permettant de faire présumer que la mesure qu'elle attaque procéderait, comme elle l'allègue, d'une pratique discriminatoire ; que le moyen tiré de ce que la décision de la commission d'avancement procéderait d'une telle discrimination doit, dès lors, être écarté ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que, quelles que soient les aptitudes professionnelles démontrées par Mme B...lors de son stage probatoire, la commission d'avancement n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'exercice du large pouvoir d'appréciation dont elle est investie en estimant qu'elle ne présentait pas les garanties d'ordre déontologique requises pour exercer les fonctions de magistrat ;

Sur la légalité de la décision de réexamen de décembre 2016 :

9. Considérant, en premier lieu, que ni l'ordonnance organique du 22 décembre 1958 ni le décret du 7 janvier 1993 ne définissent de règles de quorum applicables aux réunions de la commission d'avancement ni ne confient à la commission d'avancement le soin de déterminer elle-même de telles règles ; que, dans ces conditions, la commission d'avancement, qui n'a pas compétence pour les fixer, ne peut valablement délibérer que si la majorité de ses membres titulaires ou suppléants sont présents ; que, par suite, Mme B...ne saurait utilement se fonder sur les règles de quorum que la commission s'est elle-même fixée et indique appliquer dans son rapport annuel pour contester la régularité de la décision qu'elle conteste ; qu'il ressort, en outre, des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la requérante, la majorité des membres de la commission d'avancement étaient présents lorsqu'elle s'est prononcée sur sa demande ;

10. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 5 et 8 que les moyens identiques soulevés par Mme B...contre la décision prise par la commission d'avancement en décembre 2016 ne peuvent qu'être écartés ;

11. Considérant, en dernier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la commission d'avancement a pris en compte, dans sa seconde décision, un élément nouveau résultant d'un courrier du 21 juin 2016 adressé au garde des sceaux, ministre de la justice, par Mme B...; que l'intéressée y critique avec virulence l'avis défavorable rendu sur sa demande d'intégration, met gravement en cause la compétence et l'intégrité des membres de la commission d'avancement et demande au ministre de saisir la commission ; que la commission d'avancement a pu se fonder sur les termes de ce courrier, lesquels sont incompatibles avec les exigences de délicatesse et de modération inhérentes au statut de magistrat, pour rejeter la demande de réexamen de l'intéressée ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées ; que la présente décision n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions de la requérante à fins d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées ; que doivent, de même, être rejetées ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, dès lors que l'État n'est pas la partie perdante dans la présente instance ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de Mme B...sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B..., à la garde des sceaux, ministre de la justice et à l'École nationale de la magistrature.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 401674
Date de la décision : 06/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ACTES LÉGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS - VALIDITÉ DES ACTES ADMINISTRATIFS - FORME ET PROCÉDURE - QUESTIONS GÉNÉRALES - QUORUM EXIGIBLE POUR QU'UNE COMMISSION ADMINISTRATIVE PUISSE VALABLEMENT SIÉGER - COMPÉTENCE DE LA COMMISSION POUR FIXER CES RÈGLES EN L'ABSENCE DE TEXTE LUI CONFIANT CETTE COMPÉTENCE - ABSENCE [RJ1].

01-03-01 Une commission administrative n'a pas compétence pour déterminer elle-même les règles de quorum applicables à ses réunions, en l'absence de texte lui confiant cette compétence.

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - MAGISTRATS ET AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - MAGISTRATS DE L'ORDRE JUDICIAIRE - NOMINATION - VOIE D'INTÉGRATION DIRECTE - AVIS DE LA COMMISSION D'AVANCEMENT - 1) QUORUM EXIGIBLE POUR QU'ELLE PUISSE VALABLEMENT SIÉGER - COMPÉTENCE DE LA COMMISSION POUR FIXER CES RÈGLES EN L'ABSENCE DE TEXTE LUI CONFIANT CETTE COMPÉTENCE - ABSENCE [RJ1] - 2) APPRÉCIATION DES APTITUDES DES CANDIDATS - RESPECT DES DEVOIRS S'ATTACHANT À L'ÉTAT DE MAGISTRAT - NOTION.

37-04-02-005 1) Ni l'ordonnance organique n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ni le décret n°93-21 du 7 janvier 1993 pris pour l'application de cette ordonnance ne définissent de règles de quorum applicables aux réunions de la commission d'avancement ni ne confient à la commission d'avancement le soin de déterminer elle-même de telles règles. Dans ces conditions, la commission d'avancement, qui n'a pas compétence pour les fixer, ne peut valablement délibérer que si la majorité de ses membres titulaires ou suppléants sont présents.,,,2) Il appartient à la commission d'avancement de s'assurer que les candidats à une intégration dans le corps judiciaire présentent les garanties nécessaires pour exercer les fonctions de magistrat. Le législateur organique a entendu investir la commission d'avancement d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude des candidats à exercer les fonctions de magistrat et, à ce titre, du respect par les intéressés des devoirs s'attachant à l'état de magistrat parmi lesquels se trouvent l'intégrité, la discrétion, la connaissance et le respect de la règle de droit.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 19 février 2003, Bresillon, n°s 233694 233988 236660 237798 238312, p. 36 ;

CE, 7 avril 2004, Fristot, n° 250187, T. pp. 554-556-559-710.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 déc. 2017, n° 401674
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Didier Ribes
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:401674.20171206
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