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05/12/2017 | FRANCE | N°416192

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 05 décembre 2017, 416192


Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre à la préfète de l'Essonne d'enregistrer sa demande d'asile ainsi que celle de son mari M. C...A...dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui remettre l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'a

utre part, subsidiairement, d'ordonner la suspension de l'exécution d...

Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'enjoindre à la préfète de l'Essonne d'enregistrer sa demande d'asile ainsi que celle de son mari M. C...A...dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui remettre l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, subsidiairement, d'ordonner la suspension de l'exécution de la mesure préfectorale de reconduite la concernant ainsi que son fils mineur D...A.... Par une ordonnance n° 1708357 du 1er décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 3 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre à la préfète de l'Essonne de suspendre l'exécution de la mesure de reconduite qui vise trois des membres de la famille A...ainsi que d'enregistrer sa demande d'asile en France et celle de son époux présentées au titre des articles 16 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 et leur remettre l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le formulaire prévu à l'article R. 723-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'elle et son fils D...ont été convoqués à se présenter à l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle le 5 décembre 2017 afin d'y prendre l'avion de 9 heures 20 à destination d'Oslo en vue de l'exécution de l'arrêté de transfert pris par la préfète de l'Essonne ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de la vie privée et familiale, en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 20.3 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que l'arrêté de transfert aurait pour effet de faire directement obstacle à la poursuite de la vie en commun entre elle et son fils Muhammad, atteint d'une cardiopathie congénitale nécessitant son maintien en France ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de ses enfants D...et Muhammad, en méconnaissance de l'article 3.1 de la convention internationale des droits de l'enfant, dès lors que son cadet, Muhammad, sera séparé de sa famille et notamment de sa mère et qu'aucune pièce du dossier ne garantit qu'il pourra être pris en charge médicalement en Norvège alors que son transport vers ce pays mettrait sa vie en danger.

La requête a été communiquée au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- l'arrêt C-578/16 PPU de la Cour de justice de l'Union européenne du 16 février 2017 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 4 décembre 2017 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Vexliard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A...;

- la représentante de MmeA... ;

- la représentante du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de cet article, le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Ces dispositions législatives confèrent au juge des référés le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales.

2. Aux termes de l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, l'étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la fin de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu'à son transfert effectif à destination de cet Etat. (...). / Le présent article ne fait pas obstacle au droit souverain de l'Etat d'accorder l'asile à toute personne dont l'examen de la demande relève de la compétence d'un autre Etat. ". Aux termes de l'article L. 741-1 de ce code : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément. / L'étranger est tenu de coopérer avec l'autorité administrative compétente en vue d'établir son identité, sa ou ses nationalités, sa situation familiale, son parcours depuis son pays d'origine ainsi que, le cas échéant, ses demandes d'asile antérieures. Il présente tous documents d'identité ou de voyage dont il dispose. / Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile. / La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 211-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux 5° et 6° de l'article L. 743-2. / Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention. ".

3. Aux termes de l'article 11 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé règlement Dublin III : " Procédure familiale. / Lorsque plusieurs membres d'une famille et/ou des frères ou soeurs mineurs non mariés introduisent une demande de protection internationale dans un même Etat membre simultanément, ou à des dates suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l'Etat membre responsable puissent être conduites conjointement, et que l'application des critères énoncés dans le présent règlement conduirait à les séparer, la détermination de l'Etat membre responsable se fonde sur les dispositions suivantes : / a) est responsable de l'examen des demandes de protection internationale de l'ensemble des membres de la famille et/ou des frères et soeurs mineurs non mariés, l'Etat membre que les critères désignent comme responsable de la prise en charge du plus grand nombre d'entre eux ; / b) à défaut, est responsable l'Etat membre que les critères désignent comme responsable de l'examen de la demande du plus âgé d'entre eux ". Aux termes du 3. de l'article 20 du même règlement : " Aux fins du présent règlement, la situation du mineur qui accompagne le demandeur et répond à la définition de membre de la famille est indissociable de celle du membre de sa famille et relève de la responsabilité de l'État membre responsable de l'examen de la demande de protection internationale dudit membre de la famille, même si le mineur n'est pas à titre individuel un demandeur, à condition que ce soit dans l'intérêt supérieur du mineur. Le même traitement est appliqué aux enfants nés après l'arrivée du demandeur sur le territoire des États membres, sans qu'il soit nécessaire d'entamer pour eux une nouvelle procédure de prise en charge. ". Aux termes du point 14 du préambule de ce règlement : " Conformément à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le respect de la vie familiale devrait être une considération primordiale pour les États membres lors de l'application du présent règlement. " et que selon le point 15 du même préambule : " Le traitement conjoint des demandes de protection internationale des membres d'une famille par un même État membre est une mesure permettant d'assurer un examen approfondi des demandes, la cohérence des décisions prises à leur égard et d'éviter que les membres d'une famille soient séparés. ".

4. Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement ". Dans son arrêt C-578/16 PPU du 16 février 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a interprété le paragraphe 1 de cet article à la lumière de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes duquel " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " dans le sens que, lorsque le transfert d'un demandeur d'asile présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens de cet article. La Cour en a déduit que les autorités de l'État membre concerné, y compris ses juridictions, doivent vérifier auprès de l'État membre responsable que les soins indispensables seront disponibles à l'arrivée et que le transfert n'entraînera pas, par lui-même, de risque réel d'une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, précisant que, le cas échéant, s'il s'apercevait que l'état de santé du demandeur d'asile concerné ne devait pas s'améliorer à court terme, ou que la suspension pendant une longue durée de la procédure risquait d'aggraver l'état de l'intéressé, l'État membre requérant pourrait choisir d'examiner lui-même la demande de celui-ci en faisant usage de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

5. Il résulte de l'instruction que M. et Mme A...ont présenté pour eux-mêmes et pour leur fils D...une demande d'asile au guichet unique d'accueil de la préfecture de l'Essonne le 27 juin 2017. Par deux arrêtés du 2 novembre 2017, la préfète de l'Essonne a ordonné leur transfert aux autorités norvégiennes, responsable de leur première demande d'asile, et les a assignés à résidence dans l'attente de ce transfert. Les intéressés n'ont pas contesté cette décision mais ont présenté le 16 novembre 2017 une demande gracieuse tendant à ce que leur demande d'asile soit examinée en France en application des articles 16 et 17 du règlement Dublin III compte tenu de l'état de santé de leur enfant Muhammad né le 16 août 2017. Le 24 novembre 2017, la préfecture de l'Essonne a informé Mme A...que sa reconduite par avion et celle de son enfant D...A...étaient fixées au 5 décembre 2017, à 9 heures 20, à destination de la Norvège. Le 29 novembre 2017, l'intéressée a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles d'une requête tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu'il soit enjoint à la préfète de l'Essonne, d'une part, d'enregistrer sa demande d'asile ainsi que celle de son mari M. C...A...dans un délai de trois jours ouvrés à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 100 euros par jour, de lui remettre l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, de suspendre l'exécution de la mesure de reconduite la concernant ainsi que son filsD.... Mme A...relève appel de l'ordonnance du 1er décembre 2017 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a rejeté cette demande. Le 1er décembre, la préfecture de l'Essonne a informé M. A...de sa reconduite à destination de la Norvège par le même vol que son épouse et leur filsD....

6. Il résulte de l'instruction et des échanges qui ont eu lieu lors de l'audience publique que, la procédure de réadmission vers la Norvège de M. et Mme A...et de leur fils D...ayant été mise en oeuvre sans que soit prise en compte la naissance de leur fils Muhammad, par deux décisions en date du 4 décembre 2017 le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a annulé les vols prévus pour le 5 décembre 2017. Il incombe en conséquence désormais à l'administration, conformément aux dispositions du règlement Dublin III rappelées aux points 3 et 4 ci-dessus, d'examiner dans quelle mesure l'état de santé de leur fils Muhammad, âgé de trois mois, est compatible avec un transfert légal vers la Norvège de la familleA..., compte tenu notamment des certificats médicaux produits à l'instance. En cas de réponse positive, il lui appartiendra en outre de s'assurer auprès des autorités norvégiennes de leur accord pour accueillir les quatre membres de la famille et de vérifier plus particulièrement que Muhammad pourra effectivement y bénéficier, dès son arrivée, des soins que son état requiert. En cas de réponse négative à l'une de ces deux séries de vérifications, il incombera à l'administration de statuer sur leur demande d'asile présentée dans le cadre de la clause discrétionnaire de l'article 17 §1 de ce règlement, mise en oeuvre par le dernier alinéa de l'article L. 742-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Eu égard aux délais inhérents à l'accomplissement de ces vérifications, les arrêtés de reconduite vers la Norvège du 2 novembre 2017 ne pourront, en tout état de cause, pas être mis à exécution dans les jours qui viennent, ainsi que le ministre de l'intérieur l'a souligné lors de l'audience. Par suite, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-2 du code de justice administrative pour justifier la suspension de ces deux arrêtés du 2 novembre 2017 ne peut être regardée comme remplie.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que la requête présentée par Mme A...doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de Mme A...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 416192
Date de la décision : 05/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 05 déc. 2017, n° 416192
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:416192.20171205
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