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29/11/2017 | FRANCE | N°415560

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 29 novembre 2017, 415560


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la commune de Champigny-sur-Marne, d'une part, de faire cesser sans délai les agissements répétés à son encontre la privant de l'exercice d'une activité correspondant à son grade et d'un avancement normal et, d'autre part, d'engager sans délai une procédure disciplinaire à l'encontre du directeur des infrastructures, sous astreinte de 150 euros par jour de re

tard à compter de l'ordonnance ;

2°) d'annuler les décisions d'octobre 2016...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la commune de Champigny-sur-Marne, d'une part, de faire cesser sans délai les agissements répétés à son encontre la privant de l'exercice d'une activité correspondant à son grade et d'un avancement normal et, d'autre part, d'engager sans délai une procédure disciplinaire à l'encontre du directeur des infrastructures, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de l'ordonnance ;

2°) d'annuler les décisions d'octobre 2016 et d'octobre 2017 par lesquelles la commission d'avancement, statuant en matière d'avancement de grade, a émis un avis défavorable sur son avancement de grade ;

3°) de condamner la commune de Champigny-sur-Marne à lui verser la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ces agissements.

Par une ordonnance n° 1708057 du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, à l'article 1er, enjoint à la commune de Champigny-sur-Marne, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance, de modifier l'affectation de Mme B...de manière à ce qu'elle n'exerce plus ses fonctions au sein de la direction où elle est actuellement affectée, à l'article 2, rejeté le surplus des conclusions de la requête et, à l'article 3, rejeté la demande présentée par la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 21 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Champigny-sur-Marne demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les articles 1 et 3 de cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif ;

3°) de mettre à la charge de Mme B...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune de Champigny-sur-Marne soutient que le juge des référés du tribunal administratif :

- a méconnu son office ou, à tout le moins, insuffisamment motivé son ordonnance, en ne se prononçant pas sur la condition d'urgence ;

- a fait une inexacte interprétation de la demande de Mme B...en estimant qu'elle tendait " également à ce que le juge des référés ordonne des mesures permettant de faire cesser le harcèlement moral " ;

- a commis une erreur de droit, et en tout cas d'appréciation, en estimant que les agissements répétés de harcèlement résultaient de ce que Mme B...avait été dépossédée de ses attributions d'ingénieur à compter de septembre 2016 et avait cessé d'exercer ses fonctions de maître d'ouvrage telles que définies dans sa fiche de poste ;

- a estimé, à tort, que Mme B...lui avait soumis des éléments de fait traduisant une situation d'isolement au travail susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

- a commis une erreur d'appréciation en jugeant que les pièces produites par Mme B... étaient de nature à caractériser une altération de son état de santé au sens de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- a commis une erreur de droit, et en tout cas d'appréciation, en retenant l'existence d'un harcèlement moral sans avoir tenu compte du comportement inadapté de Mme B... envers ses supérieurs et en se fondant sur l'absence d'engagement d'une procédure disciplinaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2017, Mme B...conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir, d'une part, que la condition d'urgence est remplie, et, d'autre part, qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de ne pas être soumise à un harcèlement moral.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la commune de Champigny-sur-Marne, d'autre part, Mme B...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 22 novembre 2017 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Champigny-sur-Marne ;

- les représentants de la commune de Champigny-sur-Marne ;

- Me Delamarre, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

- Mme B...et ses représentants ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au vendredi 24 novembre à 14 heures puis, après en avoir informé les parties, au lundi 27 novembre 2017 à midi ;

Vu les observations, enregistrées le 23 novembre 2017, présentées par la commune de Champigny-sur-Marne ;

Vu le nouveau mémoire et les observations complémentaires, enregistrés les 24 et 27 novembre 2017, présentées par MmeB... ;

Vu les observations, enregistrées le 27 novembre 2017 après la clôture de l'instruction, présentées par la commune de Champigny-sur-Marne ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2016-201 du 26 février 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, de tels faits répétés doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

2. D'une part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser l'existence de tels agissement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au regard de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte de l'ensemble des faits qui lui sont soumis.

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Le droit de ne pas être soumis à un harcèlement moral constitue pour un agent une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de la justice administrative.

4. Mme B...a été recrutée à l'automne 2013 en qualité d'ingénieur territorial stagiaire par la commune de Champigny-sur-Marne, dans le service voirie-réseaux de la direction chargée des infrastructures puis a été titularisée, à l'automne suivant. Estimant, d'une part, que ses conditions de travail se sont progressivement dégradées depuis lors, notamment en ce qui concerne ses attributions, et, d'autre part, que cette dégradation, largement imputable selon elle à son directeur, est à l'origine des arrêts de travail dont elle a fait l'objet en novembre 2015, d'octobre à décembre 2016 et depuis octobre 2017, elle a saisi, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Melun en invoquant son droit à ne pas être soumise à un harcèlement moral. Par une ordonnance du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, rejeté comme irrecevables au titre de la procédure engagée ses conclusions tendant à l'annulation de l'avis défavorable émis sur son avancement au grade d'ingénieur principal, à la sanction de la direction pour ses agissements et à l'indemnisation de son préjudice, et d'autre part, enjoint à la commune de modifier son affectation, dans un délai de quinze jours, de manière à ce qu'elle n'exerce plus ses fonctions au sein de la direction où elle est actuellement affectée. La commune relève appel de cette ordonnance en tant qu'elle a prononcé cette injonction.

5. Il résulte, en premier lieu, de l'instruction et des échanges lors de l'audience que si les attributions de Mme B...ont significativement diminué, notamment en 2017, cette diminution s'explique, s'agissant de l'ensemble des dossiers qui ne sont plus suivis par elle, par les circonstances, soit - pour la rénovation urbaine et l'éclairage public notamment - que leur avancement ne nécessite plus son intervention, soit - pour la fibre notamment - qu'ils ne sont plus suivis par la direction à laquelle elle appartient, soit - pour les opérations en maîtrise d'ouvrage notamment - que leur nombre a été réduit pour des raisons budgétaires, soit encore parce qu'ils n'ont pas pu être confiés à Mme B...du fait de ses arrêts de travail - comme cela a été le cas pour le dernier renouvellement des baux de voirie - ou de son peu d'empressement à les suivre compte tenu de leur moindre intérêt selon elle, d'une faisabilité regardée comme incertaine ou d'une mauvaise compréhension de la demande les concernant.

6. Il ne résulte pas de l'instruction, en deuxième lieu, que les dossiers que Mme B... a continué à suivre - tels l'ensemble des travaux sous maitrise d'ouvrage du Sipperec et la rénovation des abords de deux collèges de la ville - ainsi que les dossiers qui, en l'état, ont dû être repris par d'autres - comme l'aménagement de points de collecte de déchets, d'une piste cyclable ou de l'intersection entre les voies communales et une avenue départementale - ne relèveraient pas des missions de conception, d'expertise, d'études ou de conduite de projets prévues par l'article 2 du décret du 26 février 2016 portant statut particulier du cadre d'emplois des ingénieurs territoriaux, ou bien des missions visées par sa fiche de poste, et ne lui assureraient pas une activité suffisante à son retour de congé maladie, compte tenu des autres dossiers sous maitrise d'ouvrage de la commune qui sont susceptibles de lui être confiés suite au départ de l'autre ingénieur travaillant au sein de son service ou en lien avec les conventions subséquentes aux travaux du Grand Paris Express.

7. En troisième lieu, il n'est pas établi, au regard des pièces produites en appel ainsi que des indications données à l'audience, que Mme B...ne serait pas associée aux moments de convivialité de son service et de la mairie ou à des réunions avec les partenaires extérieurs et qu'elle serait délibérément privée de la possibilité de présenter ses dossiers aux élus de la commune ou à la direction générale, si ses dossiers le justifient.

8. En quatrième lieu, n'apparaissent pas davantage constitutifs de harcèlement moral, pris ensemble ou séparément, les divers évènements survenus au cours des trois dernières années, qui sont invoqués par Mme B...mais à l'occasion desquels les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ne paraissent pas non plus, en l'état de l'instruction, avoir été dépassées, qu'il s'agisse des comptes-rendus d'activité qui lui étaient demandés par sa première chef de service ; des réunions qui ont été organisées par son directeur et celle-ci ou son successeur pour faire le point sur ses dossiers ; de la validation urgente d'une demande de subvention sur un de ses projets sans visa préalable de sa part ; de la suppression de son accès à l'agenda électronique du directeur suite au souhait de celui-ci qu'il ne soit consultable que par ses collaborateurs directs ; du non-remplacement temporaire de son badge d'accès lors d'un changement de dispositif de sécurité ; des reproches qui lui ont été adressés lorsque, pour permettre le démarrage d'un chantier, elle a diffusé un arrêté municipal dont la signature avait été barrée par sa hiérarchie et lorsqu'en raison d'un arrêt maladie, elle n'a pu assister à une réception de chantier ; de l'occultation de son nom dans un article de revue consacré à un des projets du service qu'elle suivait ; des refus de regarder comme imputables au service les arrêts de travail qui ont suivi certains des évènements précités ; de l'absence d'évaluation professionnelle en 2016 compte tenu de la disparition du compte-rendu d'entretien de l'année précédente ; du retard pris dans l'évaluation au titre de 2017 suite à un désaccord sur la présence à l'entretien du directeur au côté du nouveau chef de service ; des refus réitérés d'avancement au grade supérieur motivés par une attitude inadaptée à l'égard de la hiérarchie ; et enfin, pour regrettables qu'ils soient, un refus de participation à un jury de concours motivé par l'impossibilité d'organiser sa suppléance et un contrôle d'arrêt maladie intervenu lors d'une absence pour cause d'obsèques.

9. En cinquième et dernier lieu, si la commune a envisagé, en mai 2016, d'engager une procédure disciplinaire tendant, selon ses termes, à un licenciement de Mme B..., ainsi qu'elle l'a spontanément indiqué au juge des référés du tribunal administratif en produisant à cet effet un courrier électronique mentionnant la nécessité de mettre à jour et de compléter les faits qui pouvaient lui être reprochés, ce document évoquait le départ prochain de l'ancienne chef de service de Mme B...et il a été dit à l'audience devant le juge des référés du Conseil d'Etat, sans que ce point ne soit contesté, que le nouveau chef de service, arrivé en septembre 2016, n'avait pas souhaité lancer cette procédure mais, au contraire, redonner une chance à l'intéressée. Par ailleurs, il n'est nullement établi, contrairement à ce qui est soutenu par cette dernière, que la commune aurait cherché à faire échouer ses divers projets de mobilité externe, qu'elle s'est, au contraire, dite prête à accompagner.

10. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des circonstances dont se prévaut Mme B...ne peuvent être regardées comme étant constitutives d'un harcèlement moral sur sa personne et comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de ne pas y être soumise. Par suite, la commune de Champigny-sur-Marne est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur ses autres moyens notamment en ce qui concerne l'urgence, à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a estimé qu'il était porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et qu'il pouvait faire usage des pouvoirs qu'il tient de ces dispositions. Il y a lieu, par voie de conséquence, d'annuler les articles 1 et 3 de l'ordonnance attaquée et de rejeter les conclusions présentées par Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun.

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme B...la somme que demande la commune de Champigny-sur-Marne au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Et ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de cette commune, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par Mme B...au même titre.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les articles 1 et 3 de l'ordonnance n° 1708057 du 24 octobre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Melun sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun ainsi que ses conclusions présentées en appel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Champigny-sur-Marne au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Champigny-sur-Marne et à MmeB....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 415560
Date de la décision : 29/11/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 29 nov. 2017, n° 415560
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; DELAMARRE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:415560.20171129
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