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02/10/2017 | FRANCE | N°399450

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 02 octobre 2017, 399450


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 mai 2016 et 28 juillet 2017, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des entreprises de la beauté demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1417 du 4 novembre 2015 relatif aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur son recours gracieux dirigé contre ce décret ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les dis

positions du 1° de l'article 3 de ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 mai 2016 et 28 juillet 2017, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des entreprises de la beauté demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2015-1417 du 4 novembre 2015 relatif aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur son recours gracieux dirigé contre ce décret ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler les dispositions du 1° de l'article 3 de ce décret ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Dorothée Pradines, auditeur,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, l'article 4 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques dispose que : " 1. Seuls les produits cosmétiques pour lesquels une personne physique ou morale est désignée dans la Communauté comme "personne responsable" sont mis sur le marché. / 2. La personne responsable garantit, pour chaque produit cosmétique mis sur le marché, la conformité aux obligations applicables établies dans le présent règlement. / 3. Pour un produit cosmétique fabriqué dans la Communauté ne faisant pas l'objet, par la suite, d'une exportation puis d'une réimportation dans la Communauté, le fabricant établi dans la Communauté est la personne responsable. / Le fabricant peut désigner comme personne responsable, par mandat écrit, une personne établie dans la Communauté, qui accepte par écrit. / 4. Lorsque, pour un produit cosmétique fabriqué dans la Communauté ne faisant pas l'objet, par la suite, d'une exportation puis d'une réimportation dans la Communauté, le fabricant est établi en dehors de la Communauté, il désigne comme personne responsable, par mandat écrit, une personne établie dans la Communauté, qui accepte par écrit. / 5. Pour un produit cosmétique importé, chaque importateur est la personne responsable du produit cosmétique spécifique qu'il met sur le marché. / L'importateur peut désigner comme personne responsable, par mandat écrit, une personne établie dans la Communauté, qui accepte par écrit. / 6. Le distributeur est la personne responsable lorsqu'il met un produit cosmétique sur le marché sous son nom ou sa marque, ou modifie un produit déjà mis sur le marché de telle manière que sa conformité aux exigences applicables risque d'en être affectée. (...) ". L'article 10 de ce règlement dispose que : " 1. Avant la mise sur le marché d'un produit cosmétique, la personne responsable veille, afin de démontrer que ce produit est conforme à l'article 3, à ce que sa sécurité soit évaluée sur la base des informations appropriées et à ce qu'un rapport sur la sécurité du produit cosmétique soit établi conformément à l'annexe I. (...) / 2. L'évaluation de la sécurité du produit cosmétique, exposée à l'annexe I, partie B, est effectuée par une personne titulaire d'un diplôme ou autre titre sanctionnant une formation universitaire d'enseignement théorique et pratique en pharmacie, toxicologie, médecine ou dans une discipline analogue, ou une formation reconnue équivalente par un État membre. (...) ". Le 1 de l'article 11 du même règlement prévoit que : " Lorsqu'un produit cosmétique est mis sur le marché, la personne responsable conserve un dossier d'information sur celui-ci (...) pendant une période de dix ans à partir de la date à laquelle le dernier lot du produit cosmétique a été mis sur le marché ".

2. D'autre part, l'article L. 5131-2 du code de la santé publique, applicable aux produits cosmétiques, dispose que : " L'ouverture et l'exploitation de tout établissement de fabrication ou de conditionnement, même à titre accessoire, de produits cosmétiques, de même que l'extension de l'activité d'un établissement à de telles opérations, sont subordonnées à une déclaration auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. / Toute modification des éléments constitutifs de la déclaration est communiquée à l'agence. / Les personnes qualifiées chargées de l'évaluation de la sécurité doivent posséder une formation universitaire mentionnée à l'article 10 du règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif aux produits cosmétiques, ou une formation équivalente figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés de la santé, de l'industrie et de l'enseignement supérieur, ou une formation reconnue équivalente par un Etat membre de l'Union européenne ". L'article L. 5131-8 du même code confie à un décret en Conseil d'Etat le soin de déterminer notamment le contenu de la déclaration prévue par le premier alinéa de l'article L. 5131-2. L'article L. 5431-2 de ce code punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le défaut de déclaration ou de mise à jour de la déclaration prévue à l'article L. 5131-2. Enfin, l'article R. 5131-1 du même code, tel que modifié par le 1° de l'article 3 du décret attaqué du 4 novembre 2015 relatif aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage, dispose que : " La déclaration prévue à l'article L. 5131-2 est adressée à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé par une personne habilitée à engager l'entreprise à laquelle appartient l'établissement par tout moyen lui conférant date certaine. Elle comprend les renseignements suivants : / (...) 3° Le nom, la fonction et la qualification, telle que définie au troisième alinéa de l'article L. 5131-2, de la ou des personnes responsables de l'évaluation de la sécurité ; / (...) 5° Des informations techniques relatives aux activités de fabrication et de conditionnement de produits cosmétiques, ainsi qu'à l'existence, le cas échéant, d'autres activités exercées sur le site. / La liste des informations mentionnées aux 4° et 5° est précisée par arrêté du ministre chargé de la santé après avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. (...) ".

3. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, la fédération requérante doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir des seules dispositions, divisibles des autres prescriptions du décret du 4 novembre 2015, des 3° et 5° de l'article R. 5131-1 du code de la santé publique dans leur rédaction issue du 1° de l'article 3 de ce décret, par lesquels le pouvoir réglementaire a prévu que la déclaration d'ouverture des établissements de fabrication ou de conditionnement de produits cosmétiques devait comporter, d'une part, le nom, la fonction et la qualification de la ou des personnes responsables de l'évaluation de la sécurité et, d'autre part, l'existence, le cas échéant, d'autres activités exercées sur le site.

4. En premier lieu, il résulte clairement des dispositions précitées du règlement (CE) du 30 novembre 2009 que la personne responsable d'un produit cosmétique est, selon le cas, soit son fabricant, défini par l'article 2 de ce règlement comme " toute personne physique ou morale qui fabrique ou fait concevoir ou fabriquer un produit cosmétique, et commercialise ce produit sous son nom ou sa marque ", soit son importateur, soit son distributeur lorsqu'il " met un produit cosmétique sur le marché sous son nom ou sa marque, ou modifie un produit déjà mis sur le marché de telle manière que sa conformité aux exigences applicables risque d'en être affectée ", soit encore, pour les deux premiers, le mandataire qu'ils désignent à cet effet, ainsi que le règlement le permet, et même l'impose lorsque le fabricant n'est pas établi sur le territoire de l'Union européenne. La personne responsable d'un produit cosmétique, au sens du règlement européen, est notamment chargée de veiller à ce que la sécurité de ce produit soit évaluée par une personne titulaire d'une qualification conforme aux prescriptions du 2 de son article 10.

5. Si le règlement (CE) du 30 novembre 2009, ainsi que le rappelle son considérant 56, ne porte pas atteinte à la possibilité pour les Etats membres de réglementer, dans le respect du droit de l'Union européenne, l'établissement d'opérateurs économiques dans le secteur des produits cosmétiques, il fait en revanche obstacle à ce que, par le biais d'une telle réglementation, un Etat modifie les règles qu'il a harmonisées de manière exhaustive en vue de la libre circulation des produits cosmétiques dans le marché européen. Par les dispositions mentionnées ci-dessus, d'une part, le règlement permet expressément que le fabricant d'un produit cosmétique puisse désigner un mandataire comme " personne responsable " de ce produit, mandataire qui est alors seul tenu de garantir la conformité du produit à l'exigence d'évaluation de sa sécurité par une personne disposant des qualifications exigées par le 2 de l'article 10. D'autre part, un établissement " de conditionnement ", s'il n'a vocation à commercialiser, sous son nom ou sa marque, aucun produit cosmétique, ni à modifier des produits déjà mis sur le marché de telle manière que leur conformité aux exigences applicables risque d'en être affectée, au sens du 6 de l'article 4 du règlement, ne saurait être responsable de la sécurité des produits au sens de ce règlement. Par suite, la fédération requérante est fondée à soutenir que le décret attaqué a méconnu les dispositions du règlement (CE) du 30 novembre 2009 en exigeant, au 3° de l'article R. 5131-1 du code de la santé publique, que tout établissement de fabrication ou de conditionnement de produits cosmétiques mentionne, dans la déclaration qu'il est tenu d'adresser à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé avant son ouverture et de mettre à jour en cas de modification, le nom, la fonction et la qualification de la ou des personnes chargées de l'évaluation de la sécurité des produits cosmétiques qu'il sera amené à fabriquer ou à conditionner.

6. En second lieu, l'obligation instaurée par l'article L. 5131-2 du code de la santé publique a notamment pour objet, ainsi que l'indique la requérante, de faciliter le contrôle de l'activité de fabrication et de conditionnement de produits cosmétiques par les autorités compétentes, dans un but de sécurité sanitaire. D'une part, en prévoyant que la déclaration doit comporter " des informations techniques relatives (...) à l'existence, le cas échéant, d'autres activités exercées sur le site ", obligation de nature à renseigner les autorités sanitaires sur l'environnement de production des produits cosmétiques afin de prévenir d'éventuels risques, le décret, pris sur le fondement de l'article L. 5131-8 du code de la santé publique, n'excède pas la compétence du pouvoir réglementaire et n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. D'autre part, le décret, qui renvoie à un arrêté du ministre chargé de la santé le soin de préciser la liste des informations devant être communiquées à ce titre, n'a pas méconnu l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, non plus, s'agissant de dispositions pénalement sanctionnées, que l'exigence de prévisibilité de la norme qui découle de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération requérante n'est fondée à demander l'annulation du décret attaqué qu'en tant que l'article R. 5131-1 que son article 3 insère dans le code de la santé publique comporte un 3°.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la Fédération des entreprises de la beauté, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le décret du 4 novembre 2015 relatif aux produits cosmétiques et aux produits de tatouage est annulé en tant que l'article R. 5131-1 que son article 3 insère dans le code de la santé publique comporte un 3°.

Article 2 : L'Etat versera à la Fédération des entreprises de la beauté une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des entreprises de la beauté, au Premier ministre et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 399450
Date de la décision : 02/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 02 oct. 2017, n° 399450
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Dorothée Pradines
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul

Origine de la décision
Date de l'import : 10/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:399450.20171002
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