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25/09/2017 | FRANCE | N°412024

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 25 septembre 2017, 412024


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 30 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes nos 210 et 250 des commentaires administratifs publiés le 8 mars 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) sous la référence BOI-PAT-ISF-30-20-30, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés

garantis par la Constitution des alinéas 4 et 5 et de l'alinéa 8 du ...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 30 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B...demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes nos 210 et 250 des commentaires administratifs publiés le 8 mars 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) sous la référence BOI-PAT-ISF-30-20-30, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des alinéas 4 et 5 et de l'alinéa 8 du III de l'article 990 J du code général des impôts.

Elle soutient que les dispositions des alinéas 4 et 5 du III de l'article 990 J, applicables au litige, méconnaissent les principes de proportionnalité des peines et de respect des facultés contributives et que les dispositions de l'alinéa 8 du III du même article, également applicables au litige, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, le droit au respect de la vie privée et le principe de personnalité des peines.

Par un mémoire, enregistré le 2 août 2017, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier que ces questions ne sont pas sérieuses.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts, notamment son article 990 J ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes des I et III de l'article 990 J du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 14 de la loi du 29 juillet 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 et modifiée par l'article 13 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 : " I.-Les personnes physiques constituants ou bénéficiaires d'un trust défini à l'article 792-0 bis sont soumises à un prélèvement fixé au tarif le plus élevé mentionné au I de l'article 885 U. (...) III.- Le prélèvement est dû : 1° Pour les personnes qui ont en France leur domicile fiscal au sens de l'article 4 B, à raison des biens et droits situés en France ou hors de France et des produits capitalisés placés dans le trust ; 2° Pour les autres personnes, à raison des seuls biens et droits autres que les placements financiers mentionnés à l'article 885 L situés en France et des produits capitalisés placés dans le trust. / Toutefois, le prélèvement n'est pas dû à raison des biens, droits et produits capitalisés lorsqu'ils ont été : a) Inclus dans le patrimoine, selon le cas, du constituant ou d'un bénéficiaire pour l'application de l'article 885 G ter et régulièrement déclarés à ce titre par ce contribuable ; b) Déclarés, en application de l'article 1649 AB, dans le patrimoine d'un constituant ou d'un bénéficiaire réputé être un constituant en application du 3 du II de l'article 792-0 bis, dans les cas où le constituant ou le bénéficiaire n'est pas redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune compte tenu de la valeur nette taxable de son patrimoine, celui-ci incluant les biens, droits et produits capitalisés placés dans le trust. / Le prélèvement est assis sur la valeur vénale nette au 1er janvier de l'année d'imposition des biens, droits et produits capitalisés composant le trust. / La consistance et la valeur des biens, droits et produits capitalisés placés dans le trust sont déclarées et le prélèvement est acquitté et versé au comptable public compétent par l'administrateur du trust au plus tard le 15 juin de chaque année. A défaut, le constituant et les bénéficiaires, autres que ceux mentionnés aux a et b du présent III, ou leurs héritiers sont solidairement responsables du paiement du prélèvement. (...) ". Aux termes de l'article 885 G ter du même code, issu de l'article 14 de la loi du 29 juillet 2011 : " Les biens ou droits placés dans un trust défini à l'article 792-0 bis ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l'année d'imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire qui est réputé être un constituant en application du II du même article 792-0 bis (...) ". Aux termes de l'article 792-0 bis de ce code, également issu de l'article 14 de la loi du 29 juillet 2011 : " I - (...) 2. Pour l'application du présent titre, on entend par constituant du trust soit la personne physique qui l'a constitué, soit, lorsqu'il a été constitué par une personne physique agissant à titre professionnel ou par une personne morale, la personne physique qui y a placé des biens et droits. / II. - 1. La transmission par donation ou succession de biens ou droits placés dans un trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés est, pour la valeur vénale nette des biens, droits ou produits concernés à la date de la transmission, soumise aux droits de mutation à titre gratuit en fonction du lien de parenté existant entre le constituant et le bénéficiaire. / 2. Dans les cas où la qualification de donation et celle de succession ne s'appliquent pas, les biens, droits ou produits capitalisés placés dans un trust qui sont transmis aux bénéficiaires au décès du constituant sans être intégrés à sa succession ou qui restent dans le trust après le décès du constituant sont soumis aux droits de mutation par décès dans les conditions suivantes : a) Si, à la date du décès, la part des biens, droits ou produits capitalisés qui est due à un bénéficiaire est déterminée, cette part est soumise aux droits de mutation par décès selon le lien de parenté entre le constituant et le bénéficiaire ; b) Si, à la date du décès, une part déterminée des biens, droits ou produits capitalisés est due globalement à des descendants du constituant, cette part est soumise à des droits de mutation à titre gratuit par décès au taux applicable à la dernière tranche du tableau I de l'article 777 ; c) La valeur des biens, droits ou produits capitalisés placés dans le trust, nette des parts mentionnées aux a et b du présent 2, est soumise à des droits de mutation à titre gratuit par décès au taux applicable à la dernière tranche du tableau III du même article 777. (...) 3. Le bénéficiaire est réputé être un constituant du trust pour l'application du présent II, à raison des biens, droits et produits capitalisés placés dans un trust dont le constituant est décédé à la date de l'entrée en vigueur de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011 et à raison de ceux qui sont imposés dans les conditions prévues aux 1 et 2 du même II et de leurs produits capitalisés. "

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative aux alinéas 4 et 5 du III de l'article 990 J :

3. Mme B...soutient que les dispositions des alinéas 4 et 5 du III de l'article 990 J du code général des impôts, en tant qu'elles n'excluent pas, en cas d'absence de déclaration régulière au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune de biens ou droits placés dans un trust, la possibilité d'une application cumulée, à raison de ces biens ou droits, de l'impôt de solidarité sur la fortune et du prélèvement prévu à l'article 990 J du code général des impôts, seraient contraires aux principes de proportionnalité des peines et de respect des facultés contributives, respectivement issus des articles 8 et 13 de la Déclaration de 1789. Il ressort toutefois de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 14 de la loi du 29 juillet 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011 duquel elles sont issues, que, pour l'application de l'alinéa 5 précité du III, le prélèvement de l'article 990 J se substitue à l'impôt de solidarité sur la fortune en l'absence de déclaration régulière à ce titre sans se cumuler avec lui. Il en résulte que, dans le cas où un contribuable omet de déclarer régulièrement des biens, droits et produits placés dans un trust qui doivent être inclus dans son patrimoine, en vertu de l'article 885 G ter du code général des impôts, pour l'assujettissement à l'impôt de solidarité sur la fortune, ces biens, droits et produits capitalisés sont pris en compte pour déterminer si ce contribuable, eu égard à la valeur nette de son patrimoine, entre dans le champ de l'impôt de solidarité sur la fortune, mais sont soumis, si tel est le cas, au seul prélèvement prévu au I de l'article 990 J précité du code général des impôts, sans être pris en compte pour le calcul de la cotisation d'impôt de solidarité sur la fortune due par le contribuable. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa 8 du III de l'article 990 J :

4. Il résulte des dispositions précitées de l'alinéa 8 du III de l'article 990 J du code général des impôts que sont solidairement responsables du paiement du prélèvement prévu par cet article, en cas de défaut de l'administrateur d'un trust, l'ensemble des constituants et bénéficiaires de ce trust, à l'exception des constituants et bénéficiaires réputés constituants pour lesquels ont été respectées, selon les cas, les obligations déclaratives qui leur incombent au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune ou celles qui sont prévues par l'article 1649 AB du code général des impôts.

5. Mme B...soutient, en premier lieu, que ces dispositions, en tant qu'elles s'appliquent à l'ensemble des bénéficiaires et non aux seuls bénéficiaires réputés constituants, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, issu de l'article 13 de la Déclaration de 1789, en ce qu'elles sont susceptibles de faire peser sur les redevables solidaires du prélèvement qu'elles désignent une charge qui ne tient pas compte de leurs capacités contributives. Toutefois, la solidarité de paiement instituée par l'article 990 J du code général des impôts constitue seulement une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public et n'a ni pour objet ni pour effet de faire peser une charge ayant vocation à incomber de manière définitive sur les personnes visées, celles-ci disposant, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, d'une action récursoire contre le débiteur principal. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques est inopérant.

6. Mme B...soutient, en deuxième lieu, que ces dispositions sont contraires au principe de personnalité des peines issu de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Toutefois, la solidarité de paiement instituée par l'article 990 J du code général des impôts a pour seul objet, ainsi qu'il a été dit, de garantir le recouvrement de la créance du Trésor public et ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est, par suite, également inopérant.

7. Mme B...soutient enfin que ces dispositions sont contraires au droit au respect de la vie privée issue de l'article 2 de la Déclaration de 1789, au motif que la solidarité de paiement instituée par les dispositions en cause entraînerait une divulgation d'informations privées aux autres co-débiteurs solidaires. Toutefois, les dispositions contestées n'impliquent pas, par elles-mêmes, la divulgation aux débiteurs solidaires d'informations autres que la nature et le montant des avoirs mis en trust et l'identité des constituants et bénéficiaires. L'accès à ces informations par un tel cercle limité de personnes intéressées ne constitue pas une atteinte au respect de la vie privée.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les questions soulevées, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas un caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par MmeB....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 412024
Date de la décision : 25/09/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

19-01-01-005 CONTRIBUTIONS ET TAXES. GÉNÉRALITÉS. TEXTES FISCAUX. - PRÉLÈVEMENT SUR LES BIENS, DROITS ET PRODUITS PLACÉS DANS UN TRUST (ART. 990 J DU CGI) - ARTICULATION AVEC LES DISPOSITIONS RELATIVES À L'ISF (ART. 885 G DU CGI) EN L'ABSENCE DE DÉCLARATION RÉGULIÈRE À CE TITRE - PRISE EN COMPTE DE CES BIENS, DROITS ET PRODUITS POUR DÉTERMINER L'ENTRÉE DANS LE CHAMP DE L'ISF - EXISTENCE - PRISE EN COMPTE POUR LE CALCUL DE LA COTISATION D'ISF - ABSENCE, LE PRÉLÈVEMENT DE L'ARTICLE 990 J SE SUBSTITUANT À L'ISF - CONSÉQUENCE - CONFORMITÉ À L'ART. 13 DE LA DDHC.

19-01-01-005 Il ressort des quatrième et cinquième alinéas du III de l'article 990 J du code général des impôts (CGI), éclairés par leurs travaux préparatoires, que, pour l'application du cinquième alinéa de ce III, le prélèvement de l'article 990 J se substitue à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en l'absence de déclaration régulière à ce titre sans se cumuler avec lui. Il en résulte que, dans le cas où un contribuable omet de déclarer régulièrement des biens, droits et produits placés dans un trust qui doivent être inclus dans son patrimoine, en vertu de l'article 885 G ter du CGI, pour l'assujettissement à l'ISF, ces biens, droits et produits capitalisés sont pris en compte pour déterminer si ce contribuable, eu égard à la valeur nette de son patrimoine, entre dans le champ de l'ISF. Si tel est le cas, ces revenus sont soumis au seul prélèvement prévu au I de l'article 990 J précité du CGI, sans être pris en compte pour le calcul de la cotisation d'ISF due par le contribuable. Par conséquent absence de caractère sérieux au sens de la question prioritaire de constitutionnalité de la question tirée de la méconnaissance, par les quatrième et cinquième alinéas de l'article 990 J du CGI, du respect des facultés contributives protégé par l'article 13 de la DDHC.


Publications
Proposition de citation : CE, 25 sep. 2017, n° 412024
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle Petitdemange
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:412024.20170925
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