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23/06/2017 | FRANCE | N°411582

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 23 juin 2017, 411582


Vu la procédure suivante :

Mme C...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du préfet de l'Isère de la déclarer en fuite et, d'autre part, d'enjoindre au directeur de l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII) de rétablir, à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, l'allocation pour demandeur d'asile suspendue à comp

ter du mois d'avril 2017. Par une ordonnance n° 1703055 du 2 juin 20...

Vu la procédure suivante :

Mme C...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du préfet de l'Isère de la déclarer en fuite et, d'autre part, d'enjoindre au directeur de l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII) de rétablir, à compter de la notification de l'ordonnance et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, l'allocation pour demandeur d'asile suspendue à compter du mois d'avril 2017. Par une ordonnance n° 1703055 du 2 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 17LY02369 du 16 juin 2017, le président de la cour administrative d'appel de Lyon a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée par MmeA....

Par cette requête, enregistrée le 15 juin 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Lyon, Mme A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'ordonnance du tribunal administratif de Grenoble du 2 juin 2017 ;

3°) de faire droit à sa demande de première instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'Office français de l'intégration et de l'immigration la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la suspension, par l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII), du versement de l'allocation pour demandeur d'asile à compter du mois d'avril 2017 la laisse sans ressources, alors qu'elle n'a pas accès au marché du travail et qu'elle est atteinte d'une grave affection chronique, de sorte que n'étant pas en mesure de subvenir à ses besoins de nourriture et d'habillement, ni de faire face à ses charges, elle se trouve en situation de grande précarité ;

- la suspension de son accès aux conditions matérielles d'accueil porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile, qui a pour corollaire le droit de solliciter la qualité de réfugié et de demeurer sur le territoire jusqu'à qu'il soit statué sur la demande ;

- la décision contestée de suspendre ses droits n'a pas revêtu une forme écrite et n'a pas été motivée, en méconnaissance des dispositions de l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- cette décision a été prise avant même la notification d'intention de suspension des conditions matérielles d'accueil remise le 21 avril 2017, ainsi que le montre le fait que cette suspension a débuté le 1er avril 2017 ;

- la décision de la déclarer en fuite est entachée d'une erreur de fait, dès lors qu'elle n'a pas refusé de respecter les obligations découlant de son assignation à résidence mais seulement de se présenter à sa convocation en vue de son transfert vers l'Italie le 9 mars 2017, et d'une erreur de droit en ce que le préfet de l'Isère n'a pas tenu compte de l'effet suspensif du recours qu'elle avait formé contre l'arrêté du 3 février 2017 décidant sa remise aux autorités italiennes du 3 février 2017, lequel n'était par suite plus exécutoire, ainsi que du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 mars 2017 annulant cet arrêté ;

- la décision de l'OFII de suspendre son droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil est entachée d'illégalité par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de la déclarer en fuite.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juin 2017, le ministre d'Etat, de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, MmeA..., d'autre part, l'Office français de l'immigration et de l'intégration et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 juin 2017 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Megret, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A...;

- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente " ; qu'aux termes de l'article L. 744-8 du même code : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile (...) n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile (...) / La décision de suspension, de retrait ou de refus des conditions matérielles d'accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur./ La décision est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. " ; qu'aux termes de l'article D. 744-35 du même code : " Le versement de l'allocation peut être suspendu lorsqu'un bénéficiaire : (...) 2° Sans motif légitime, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'information ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile ; (...) L'interruption du versement de l'allocation prend effet à compter de la date de la décision de suspension " ; qu'aux termes de l'article D. 744-38 du même code : " La décision de suspension (...) de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. / Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. " ; qu'aux termes de l'article D. 744-43 du même code : " Le préfet transmet sans délai à l'Office français de l'immigration et de l'intégration les informations relatives à la durée de validité des attestations de demande d'asile ainsi que l'état d'avancement des procédures de détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile et de transfert, en particulier les dates de fuite ou de transfert effectif des intéressés " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que MmeA..., de nationalité ivoirienne, qui déclare être entrée en France le 23 octobre 2016, a formé une demande d'asile le 21 novembre 2016 ; qu'elle a bénéficié, à partir de cette date, de l'allocation pour demandeur d'asile ; qu'estimant, sur le fondement d'éléments issus de la consultation du fichier Eurodac, que l'intéressée avait précédemment sollicité l'asile en Italie, le préfet de l'Isère a saisi les autorités italiennes d'une demande de reprise en charge le 6 janvier 2017, laquelle a été acceptée tacitement le 20 janvier 2017 ; que par un arrêté du 3 février 2017, le préfet de l'Isère a décidé de sa remise aux autorités italiennes ; qu'il a, le 16 février 2017, prononcé l'assignation à résidence de MmeA..., sur le fondement du 1° du I de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans l'attente de l'exécution de son arrêté du 3 février 2017 ; que cette assignation à résidence était assortie d'une obligation de se présenter deux fois par semaine au commissariat jusqu'au 2 avril 2017 au plus tard ; que Mme A... a formé un recours pour excès de pouvoir contre l'arrêté prescrivant sa remise aux autorités italiennes ; qu'alors que ce recours était pendant, le préfet lui a signifié le 6 mars 2017, à l'occasion d'un pointage au commissariat en exécution de son assignation à résidence, de la programmation de son départ pour l'Italie par voie aérienne le 9 mars 2017 ; que l'arrêté du 3 février portant remise aux autorités italiennes de Mme A...a été annulé par un jugement du tribunal de Grenoble du 15 mars 2017 ; que le préfet, estimant que MmeA..., qui ne s'était plus présentée au commissariat depuis le 7 mars et ne s'était pas davantage présentée le 9 mars en vue de son embarquement à destination de l'Italie, n'avait pas respecté son obligation de se présenter aux autorités, en a informé l'Office français de l'intégration et de l'immigration (OFII) le 21 mars 2017 en application des dispositions précitées de l'article D. 744-43 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que l'OFII a, en conséquence, suspendu à compter du mois d'avril le versement de l'allocation pour demandeur d'asile dont Mme A... était bénéficiaire ; que par une ordonnance du 2 juin 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande que celle-ci avait formée, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à ce qu'il soit, d'une part, ordonné la suspension de l'exécution de la décision du préfet de l'Isère de la déclarer en fuite et, d'autre part, enjoint au directeur de l'OFII de rétablir l'allocation pour demandeur d'asile suspendue en conséquence de la décision du préfet ; que Mme A...relève appel de cette ordonnance ;

En ce qui concerne l'urgence :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la requérante ne perçoit plus l'allocation pour demandeur d'asile depuis le 1er avril 2017 malgré ses besoins en termes de nourriture, de vêtements et de produits d'hygiène, alors qu'il ressort de plusieurs attestations médicales produites au dossier qu'elle souffre d'une grave affection chronique ; que l'interruption du versement de cette allocation, qui la laisse sans aucune ressource depuis près de trois mois, place la requérante, qui n'a pas accès au marché du travail, dans une situation d'extrême précarité qui caractérise l'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si figure au dossier la notification à la requérante, en date du 21 avril 2017, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'une intention de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil pour non respect de son obligation de se présenter aux autorités, en réponse à laquelle Mme A...a présenté des observations le 27 avril 2017, aucune décision écrite et motivée de suspension du versement de l'allocation pour demandeur d'asile n'a été produite par l'OFII ; que les représentants du ministre de l'intérieur, présents à l'audience publique, ont par ailleurs indiqué ne pas être en mesure de contester les allégations du conseil de Mme A...selon lesquelles aucune décision répondant aux exigences de l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne lui avait jamais été notifiée ;

6. Considérant qu'il en résulte que la suspension du versement de l'allocation litigieuse, opérée en méconnaissance des dispositions de l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; que par suite, Mme A...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'OFII de la rétablir ;

7. Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que la décision du préfet de considérer Mme A...comme étant en fuite, qui n'est formalisée par aucun acte ayant date certaine versé au dossier, a eu pour seule conséquence de porter de six à dix-huit mois le délai dans lequel le transfert de l'intéressée vers l'Italie devait intervenir sous peine que ce dernier Etat soit libéré de son obligation de la reprendre en charge, en application de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ; qu'il en résulte que cette décision ne saurait, par elle-même, être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ; que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions tendant à la suspension de cette décision ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'admettre Mme A...au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et de mettre à la charge conjointe de l'Etat et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros à verser à Me B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de celle-ci à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance n° 1703055 du 2 juin 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée en tant qu'elle statue sur les conclusions de Mme A...tendant au rétablissement de l'allocation pour demandeur d'asile.

Article 2 : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de reprendre le versement à Mme A...de l'allocation pour demandeur d'asile avec effet au 1er avril 2017, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat et l'Office français de l'immigration et de l'intégration verseront conjointement une somme de 1 500 euros à Me B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de la renonciation de celle-ci à percevoir la contribution versée par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C...A..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à l'Office français de l'intégration et de l'immigration.

Copie pour information en sera adressée au préfet de l'Isère.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 411582
Date de la décision : 23/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 23 jui. 2017, n° 411582
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:411582.20170623
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