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08/06/2017 | FRANCE | N°410867

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 08 juin 2017, 410867


Vu la procédure suivante :

M. A...B...et Mme D...C...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder, dans le délai de quatre jours à compter de la notification de l'ordonnance, au paiement de l'allocation pour demandeur d'asile depuis le 1er février 2017, date d'interruption de son versement. Par une ordonnance n° 1701478 du 25 avril 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Ni

ce a rejeté leur demande.

Par une requête et un mémoire en réplique,...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...et Mme D...C...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder, dans le délai de quatre jours à compter de la notification de l'ordonnance, au paiement de l'allocation pour demandeur d'asile depuis le 1er février 2017, date d'interruption de son versement. Par une ordonnance n° 1701478 du 25 avril 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 mai et 6 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...et Mme C...demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'interruption par l'Office français de l'immigration et de l'intégration du versement de l'allocation pour demandeur d'asile les prive de toute ressource pour avoir des conditions de vie décentes, alors qu'ils se trouvent dans une situation de forte précarité et dans l'incapacité d'assurer les dépenses liées à leur enfant de trois mois ;

- cette interruption porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et à son corollaire, le droit de solliciter le statut de réfugié et de demeurer en France le temps nécessaire à l'examen de la demande, dans des conditions dignes et humaines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 5 juin 2017, l'association La Cimade demande au Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions des requérants.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., Mme C... et l'association La Cimade, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 6 juin 2017 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rémy-Corlay, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... et de Mme C...;

- le représentant de La Cimade ;

- les représentants de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de l'association La Cimade :

1. L'association La Cimade justifie, eu égard à son objet statutaire et aux questions soulevées par le litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de M. B...et MmeC.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur la requête de M. B...et Mme C...:

2. En vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.

3. Aux termes de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente ". Aux termes de l'article L. 744-7 du même code : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, définies à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles et à l'article L. 744-1 du présent code, est subordonné à l'acceptation par le demandeur d'asile de l'hébergement proposé, déterminé en tenant compte de ses besoins, de sa situation au regard de l'évaluation prévue à l'article L. 744-6 et des capacités d'hébergement disponibles. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, des conséquences de l'acceptation ou du refus de l'hébergement proposé (...) ". Aux termes de l'article D. 744-35 du même code : " Le versement de l'allocation peut être suspendu lorsqu'un bénéficiaire : / 1° A refusé une proposition d'hébergement dans un lieu mentionné à l'article L. 744-3 ; (...) L'interruption du versement de l'allocation prend effet à compter de la date de la décision de suspension ". Aux termes de l'article D. 744-38 du même code : " La décision de suspension (...) de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. / Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Lorsque le bénéfice de l'allocation a été suspendu, l'allocataire peut en demander le rétablissement à l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / La reprise du versement intervient à compter de la date de la décision de réouverture ".

4. Il résulte de l'instruction que M. B...et MmeC..., tous deux de nationalité albanaise, ont déclaré être entrés en France le 11 avril 2016. Leurs demandes d'asile respectives ont été enregistrées le 18 avril 2016 au guichet unique des demandeurs d'asile et placées en procédure accélérée, puis enregistrées le 30 août 2016 par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Les requérants ont perçu l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 3 mai 2016. L'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le versement de cette allocation à compter du 1er février 2017, en raison du refus que les requérants auraient opposé à une proposition d'hébergement dans une chambre de l'hôtel " Myosotis " à Nice qui leur avait été faite le 17 novembre 2016. M. B...et Mme C...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Office de procéder au versement de l'allocation pour demandeur d'asile à compter du 1er février 2017. Par une ordonnance n° 1701478 du 25 avril 2017, le juge des référés a rejeté leur demande. M. B...et Mme C...relèvent appel de cette ordonnance.

En ce qui concerne l'urgence :

5. S'il résulte de l'instruction que les requérants sont actuellement pris en charge par le dispositif d'hébergement des demandeurs d'asile et logés à ce titre à l'hôtel " Orangers ", à Nice, ils ne perçoivent plus l'allocation pour demandeur d'asile depuis le 1er février 2017 malgré leurs besoins en termes de nourriture et de produits d'hygiène, d'autant plus importants qu'ils ont à leur charge un enfant, né le 27 février 2017. L'interruption du versement de cette allocation, qui les laisse sans aucune ressource depuis plusieurs mois, place les requérants dans une situation d'extrême précarité qui caractérise l'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

En ce qui concerne l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Il résulte de l'instruction et des échanges au cours de l'audience publique que l'association Habitat et Citoyenneté, qui assiste M. B...et Mme C...dans leurs démarches administratives, a appelé le 16 novembre 2016 l'attention de la direction départementale de la cohésion sociale des Alpes-Maritimes sur le fait qu'ils étaient sans logement, alors que Mme C...était enceinte de six mois et demi. Le lendemain, une proposition d'hébergement à l'hôtel " Myosotis " à Nice leur a été faite. Si l'Office français de l'immigration et de l'intégration affirme que Mme C..., s'étant rendue immédiatement sur les lieux, a trouvé la chambre " trop petite " pour une famille comptant bientôt un enfant, il ressort des échanges de messages électroniques du même jour entre la direction départementale et l'association Habitat et Citoyenneté qu'alertés sur les risques de perte de l'allocation auxquels les exposerait un refus d'hébergement, M. B...et Mme C...sont retournés dès le soir à l'hôtel, où ils ont finalement résidé jusqu'au mois de mars 2017, avant d'être hébergés à la suite de la naissance de leur enfant dans une chambre plus spacieuse, à l'hôtel " Orangers ", à Nice. Dans ces circonstances, les requérants ne sauraient être regardés comme ayant opposé à la proposition d'hébergement qui leur avait été faite un refus justifiant la suspension du versement de l'allocation pour demandeur d'asile sur le fondement de l'article D. 744-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Au surplus, si figure au dossier la notification aux requérants, par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, d'une intention de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil pour refus d'hébergement datée du 30 novembre 2016, les représentants de l'Office ont déclaré au cours de l'audience publique qu'à leur connaissance, aucune décision de suspension du versement de l'allocation pour demandeur d'asile n'avait été notifiée à M. B...et MmeC..., en violation des prescriptions de l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le versement de l'allocation ayant, d'ailleurs, continué jusqu'au 1er février 2017.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la suspension du versement de l'allocation litigieuse, opérée en méconnaissance des dispositions des articles D. 744-35 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. Par suite, M. B...et Mme C...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 500 euros à verser à M. B... et Mme C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de La Cimade est admise.

Article 2 : L'ordonnance n° 1701478 du 25 avril 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au versement à M. B...et Mme C...de l'allocation pour demandeur d'asile avec effet au 1er février 2017, dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 4 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera une somme de 1 500 euros à M. B...et Mme C...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B..., à Mme D...C..., à l'association La Cimade, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 410867
Date de la décision : 08/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2017, n° 410867
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CORLAY

Origine de la décision
Date de l'import : 20/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:410867.20170608
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