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07/06/2017 | FRANCE | N°405919

France | France, Conseil d'État, 6ème - 1ère chambres réunies, 07 juin 2017, 405919


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistré les 13 mars et 24 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-1359 du 11 octobre 2016 relatif à la désignation des conseillers prud'hommes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitu

tion des articles L. 1441-1, L. 1441-4, L. 1441-6 et L. 1441-16 du code ...

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistré les 13 mars et 24 mai 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, l'Union syndicale Solidaires demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-1359 du 11 octobre 2016 relatif à la désignation des conseillers prud'hommes, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 1441-1, L. 1441-4, L. 1441-6 et L. 1441-16 du code du travail.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 34 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2016-388 du 31 mars 2016 ;

- la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ;

- la décision n° 2014-704 DC du 11 décembre 2014 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Philippe Mochon, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Union syndicale Solidaires.

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1441-1 du code du travail, issu de l'ordonnance du 31 mars 2016, ratifiée par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : " Les conseillers prud'hommes sont nommés conjointement par le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre chargé du travail tous les quatre ans par conseil de prud'hommes, collège et section, sur proposition des organisations syndicales et professionnelles selon les modalités fixées au présent chapitre. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1441-4 du même code : " Le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre chargé du travail arrêtent le nombre de sièges attribués pour la durée du mandat aux organisations syndicales et professionnelles par conseil de prud'hommes, collège et section, en fonction du nombre de conseillers défini à l'article L. 1423-2 et, pour les organisations syndicales de salariés, des suffrages obtenus au niveau départemental par chaque organisation dans le cadre de la mesure de l'audience définie au 5° de l'article L. 2121-1 (...). " qu'aux termes de l'article L. 1441-6 de ce code : " Peuvent être candidats, sous réserve des dispositions de l'article L. 1441-7 : / 1° Les salariés et les employeurs ; / 2° Les personnes à la recherche d'un emploi inscrites sur la liste des demandeurs d'emploi ; / 3° Les personnes ayant cessé d'exercer toute activité professionnelle. " ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 1441-16 du code du travail : " L'appartenance des salariés candidats aux sections est déterminée au regard du champ d'application de la convention ou de l'accord collectif de travail dont ils relèvent, selon le tableau de répartition mentionné à l'article L. 1423-1-1, à l'exception des personnes mentionnées à l'article L. 1441-14 et des cadres mentionnés au 3° de l'article L. 1441-12. " ;

Sur l'atteinte aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics qui résulterait de l'absence de prise en compte de certains suffrages dans la mesure de l'audience des organisations syndicales de salariés :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi doit être la même pour tous. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. " ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;

4. Considérant qu'il est soutenu que les dispositions législatives citées au point 2 ci-dessus porteraient atteinte aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics en ce que, pour l'attribution des sièges au sein des conseils de prud'hommes aux organisations syndicales de salariés, elles excluraient la prise en compte des suffrages de certains salariés et des demandeurs d'emploi ;

5. Considérant que l'audience des organisations syndicales de salariés définie au 5° de l'article L. 2121-1 du code du travail, et en fonction de laquelle les dispositions législatives contestées prévoient l'attribution des sièges au sein des conseils de prud'hommes, est assise sur les résultats, premièrement, des élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, deuxièmement, du scrutin organisé au niveau régional en application de l'article L. 2122-10-1 du même code pour mesurer la représentativité syndicale dans les entreprises de moins de onze salariés et, troisièmement, des suffrages exprimés aux élections des membres représentant les salariés aux chambres départementales d'agriculture ; que les dispositions régissant la mesure de l'audience des organisations syndicales de salariés sont applicables, en vertu de l'article L. 2111-1 du code du travail, aux salariés des employeurs de droit privé ainsi qu'au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel ;

6. Considérant en premier lieu, que les dispositions contestées, qui se bornent à renvoyer, pour apprécier l'audience des organisations syndicales de salariés, à la mesure de l'audience définie au 5° de l'article L. 2121-1 du code du travail, n'ont ni pour objet ni pour effet d'exclure, dans l'attribution des sièges à ces organisations au sein des conseils de prud'hommes, la prise en compte des suffrages exprimés par les salariés des personnes morales de droit public n'ayant pas le statut d'agents publics ; que la circonstance alléguée selon laquelle certains de ces salariés pourraient ne pas participer à des élections prises en compte dans cette mesure est par elle-même sans incidence sur la constitutionnalité de ces dispositions ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions en cause méconnaitraient le principe d'égalité faute de prévoir la prise en compte des suffrages des salariés des personnes morales de droit public ;

7. Considérant en deuxième lieu, qu'il est soutenu que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles excluraient la prise en compte des suffrages des salariés qui n'auraient pu participer à des élections en raison de la carence de leur employeur à les organiser ou de l'échec du processus électoral et institueraient dès lors une différence de traitement au détriment des salariés d'entreprises dont les effectifs sont compris entre 11 et 50 salariés, particulièrement exposés à de telles situations ; que ces allégations se bornent cependant à contester les conditions de mise en oeuvre des dispositions relatives aux élections des institutions représentatives du personnel, qui correspondent pour les employeurs à une obligation dont la méconnaissance est constitutive du délit d'entrave et peut donner lieu à des demandes des organisations syndicales et des salariés pour imposer la tenue de ces élections dans un délai rapproché ; que la circonstance invoquée est dès lors sans incidence sur la constitutionnalité des dispositions contestées, qui n'ont par ailleurs pas pour objet ni pour effet d'instituer une différence de traitement en fonction de l'effectif des employeurs ;

8. Considérant en troisième lieu, qu'il est soutenu que les dispositions contestées de l'article L. 1441-4 du code du travail porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles ne prévoient pas l'organisation d'un scrutin afin de mesurer l'audience des organisations syndicales auprès des salariés en situation de demande d'emploi ; que cependant, il résulte de la décision n° 2014-704 DC du Conseil constitutionnel du 11 décembre 2014 sur la loi relative à la désignation des conseillers prud'hommes, qui a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions contestées, que le choix par le législateur de substituer à l'élection des conseillers prud'hommes, antérieurement applicable, une désignation de ceux-ci par l'autorité administrative sur proposition des organisations syndicales en fonction de la mesure de l'audience obtenue par les organisations syndicales aux élections des institutions représentatives du personnel dans les entreprises, conformément au 5° de l'article L. 2121-1, lequel ne prévoit pas l'organisation d'un scrutin auprès des demandeurs d'emploi, ne méconnaît pas les principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics ; que, eu égard tant à la portée du principe d'égalité tel qu'éclairé par la décision n° 2014-704 DC du Conseil constitutionnel qu'à l'objet du dispositif de mesure d'audience des organisations syndicales de salariés, le moyen ne présente pas de caractère sérieux ;

Sur l'atteinte aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics qui résulterait de l'absence de dispositions relatives à la possibilité pour les salariés non affiliés à une organisation syndicale de se porter candidats :

9. Considérant qu'il résulte des termes mêmes des dispositions citées plus haut de l'article L. 1441-6 du code du travail qu'elles ouvrent aux salariés la faculté d'être désignés pour occuper les fonctions de conseillers prud'hommes sans distinction entre eux selon qu'ils sont ou non affiliés à une organisation syndicale ; que le principe d'égalité et le principe d'égal accès aux emplois publics n'imposaient pas l'adoption de prescriptions supplémentaires à cet égard ;

Sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi qui résulterait de la mesure de l'audience des organisations syndicales de salariés au niveau du département pour chaque organisation :

10. Considérant que les dispositions contestées, en ce qu'elles retiennent le cadre départemental pour la mesure de l'audience syndicale, n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une différence de traitement ni entre les organisations syndicales, dont l'audience est mesurée de façon identique, alors même que certaines d'entre elles bénéficieraient d'une visibilité nationale tandis que d'autres auraient une implantation plus locale, ni entre les salariés, dont les suffrages sont pris en compte de façon identique ; qu'en retenant le critère d'audience des organisation syndicales, le législateur a, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-704 DC du 11 décembre 2014 sur la loi relative à la désignation des conseillers prud'hommes, retenu un critère de désignation des candidats en rapport avec l'objet de la loi ; qu'il lui était loisible de retenir que cette audience serait mesurée à l'échelle du département, sans que le principe d'égalité impose une mesure de cette audience à l'échelle de chaque conseil des prud'hommes ; qu'enfin, la définition des modalités pratiques de cette mesure, qui participe des modalités d'application du principe posé par le législateur, pouvait en tout état de cause être renvoyée au pouvoir réglementaire ;

Sur l'atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions qui résulteraient du critère tiré du champ d'application des conventions et accords collectifs de travail pour déterminer l'appartenance aux sections des conseils de prud'hommes :

11. Considérant que, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2014-704 DC du 11 décembre 2014, le principe selon lequel les conseillers prud'hommes sont désignés en fonction de l'audience des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs n'est, par lui même, pas contraire aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dès lors que sont prévues les garanties légales de nature à assurer le respect de ces principes ; qu'au nombre de ces garanties figurent notamment l'interdiction faite par l'article L. 1442-11 du code du travail au conseiller prud'homme, sous peine de déchéance, d'accepter un mandat impératif ainsi que la possibilité pour tout juge de se faire remplacer par un autre juge lorsqu'il estime en conscience devoir s'abstenir ; que la circonstance invoquée par l'union syndicale que pourraient être désignées en qualité de conseillers prud'hommes chargés d'appliquer une convention collective, des personnes ayant contribué à la négociation de cette convention n'est pas en elle-même de nature à établir une méconnaissance par les dispositions critiquées des principes d'impartialité et d'indépendance, eu égard tant à la portée de ces principes qu'à l'ensemble des garanties permettant d'en assurer le respect, notamment celles rappelées ci-dessus ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre des articles L. 1441-1, L. 1441-4, L. 1441-6 et L. 1441-16 du code du travail, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de la renvoyer au Conseil constitutionnel, le moyen soulevé par l'Union syndicale Solidaires et tiré de ce que les articles L. 1441-1, L. 1441-4, L. 1441-6 et L. 1441-16 du code du travail portent atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution doit être écarté ;

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par l'Union syndicale Solidaires à l'encontre des articles L. 1441-1, L. 1441-4, L. 1441-6 et L. 1441-16 du code du travail.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Union syndicale Solidaires et à la ministre du travail.

Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et au Conseil constitutionnel.


Synthèse
Formation : 6ème - 1ère chambres réunies
Numéro d'arrêt : 405919
Date de la décision : 07/06/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 jui. 2017, n° 405919
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Philippe Mochon
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:405919.20170607
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