La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/05/2017 | FRANCE | N°381870

France | France, Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 12 mai 2017, 381870


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juin et 24 juillet 2014 et le 8 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et le syndicat CGT du service à la personne de Paris demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 avril 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social portant extension de la convention collective nationale des entreprises de services à la p

ersonne du 20 septembre 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juin et 24 juillet 2014 et le 8 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et le syndicat CGT du service à la personne de Paris demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 3 avril 2014 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social portant extension de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail, modifié notamment par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

1. Considérant que la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et le syndicat CGT du service à la personne de Paris demandent l'annulation de l'arrêté du 3 avril 2014 par lequel le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a étendu, sous certaines réserves, à tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d'application à l'exclusion des entreprises relevant du régime de protection sociale agricole, les stipulations de la convention collective des entreprises de services à la personne du 20 septembre 2012 ;

2. Considérant que le syndicat Force ouvrière justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté attaqué ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;

Sur la légalité externe de l'arrêté attaqué :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, les directeurs d'administration centrale " peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité " ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le directeur général du travail n'aurait pas reçu de délégation pour signer l'arrêté attaqué doit être écarté ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que les syndicats requérants, qui ne contestent pas la représentativité des parties signataires de la convention étendue par l'arrêté attaqué, se bornent à alléguer que l'administration n'aurait pas préalablement " vérifié " cette représentativité ; que ce moyen ne peut qu'être écarté ;

5. Considérant en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 2261-27 du code du travail : " Quand l'avis motivé favorable de la Commission nationale de la négociation collective a été émis sans opposition écrite et motivée soit de deux organisations d'employeurs, soit de deux organisations de salariés représentées à cette commission, le ministre chargé du travail peut étendre par arrêté une convention ou un accord ou leurs avenants ou annexes : / 1° Lorsque le texte n'a pas été signé par la totalité des organisations les plus représentatives intéressées ; / 2° Lorsque la convention ne comporte pas toutes les clauses obligatoires énumérées à l'article L. 2261-22 ; (...) / En cas d'opposition dans les conditions prévues au premier alinéa, le ministre chargé du travail peut consulter à nouveau la commission sur la base d'un rapport précisant la portée des dispositions en cause ainsi que les conséquences d'une éventuelle extension. / Le ministre chargé du travail peut décider l'extension, au vu du nouvel avis émis par la commission. Cette décision est motivée " ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, après que la Commission nationale de la négociation collective a émis un premier avis favorable à l'extension de la convention du 20 septembre 2012, deux organisations de salariés ont manifesté leur opposition à cette extension ; qu'en application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 2261-27 du code du travail, la sous-commission des conventions et accords de la Commission nationale de la négociation collective a émis, le 28 janvier 2014, un nouvel avis ; que celui-ci rappelle la procédure suivie et les conditions de négociation de la convention ; qu'il renvoie ensuite aux motifs exposés dans le rapport, communiqué à l'ensemble des membres de la sous-commission, par lequel l'administration maintenait sa proposition de procéder à l'extension de cet accord ; qu'il fait enfin état des réactions formulées, en réponse à ces motifs, par certaines des organisations d'employeurs et de salariés représentées lors de la séance ; que les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que la motivation de ce second avis méconnaîtrait les exigences de l'article L. 2261-27 du code du travail ;

Sur la légalité interne de l'arrêté attaqué :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté dans sa totalité :

7. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions des articles 11 et 12 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail que l'entrée en vigueur, dans chaque branche, du régime nouveau de représentativité instauré par cette loi est subordonnée à l'intervention de l'arrêté du ministre chargé du travail déterminant, selon les nouveaux critères posés par l'article L. 2122 5 du code du travail, la liste des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau de cette branche ; que le même article 12 dispose que : " Jusqu'à la détermination des organisations représentatives dans les branches et au niveau interprofessionnel, en application de la présente loi, la validité d'un accord interprofessionnel ou d'une convention de branche ou accord professionnel est subordonnée au respect des conditions posées par les articles L. 2232-2, L. 2232-6 et L. 2232-7 du code du travail dans leur rédaction antérieure à la présente loi, les suffrages aux élections mentionnées dans ces articles étant pris en compte quel que soit le nombre de votants " ; que, par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la convention étendue par l'arrêté litigieux pouvait être négociée et signée, sans attendre qu'il soit procédé à une mesure de la représentativité des organisations syndicales en application des nouvelles dispositions issues de la loi du 20 août 2008 ;

8. Considérant, en deuxième lieu, que le moyen tiré de ce que toutes les organisations professionnelles d'employeurs et toutes les organisations syndicales de salariés représentatives dans la branche considérée n'ont pas été invitées à la négociation de la convention n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

9. Considérant, enfin, que si l'article L. 2261-25 du code du travail confère au ministre chargé du travail, lorsqu'il est saisi d'une demande d'extension d'un accord collectif de travail, le pouvoir d'apprécier si des motifs d'intérêt général ne sont pas de nature à faire obstacle à cette extension, il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment pas de la motivation de l'arrêté attaqué, que le ministre aurait estimé que seuls des motifs d'illicéité de la convention pouvaient justifier un refus de procéder à son extension ; que le moyen tiré de ce que le ministre aurait, en procédant à l'extension litigieuse, méconnu l'étendue de ses pouvoirs, doit par suite être écarté ;

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'arrêté en tant qu'il procède à l'extension de certaines stipulations de la convention :

10. Considérant que, lorsqu'à l'occasion d'un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, une contestation sérieuse s'élève sur la validité d'un arrêté prononçant l'extension ou l'agrément d'une convention ou d'un accord collectif de travail, il appartient au juge saisi de ce litige de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question préjudicielle que présente à juger cette contestation ; que toutefois, eu égard à l'exigence de bonne administration de la justice et aux principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable, il en va autrement s'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ;

Quant aux stipulations de la convention relatives aux déplacements des salariés entre deux interventions :

11. Considérant, en premier lieu, que le premier alinéa du paragraphe e) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de la convention du 20 septembre 2012, relatif au temps de déplacement entre deux interventions, stipule que : " Le temps de déplacement professionnel pour se rendre d'un lieu d'intervention à un autre lieu d'intervention constitue du temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut retrouver son autonomie " ; que le paragraphe f) de ce même I, intitulé " temps entre deux interventions ", stipule que : " (...) en cas d'interruption d'une durée inférieure à 15 minutes, le temps d'attente est payé comme du temps de travail effectif ; / - en cas d'interruption d'une durée supérieure à 15 minutes (hors trajet séparant deux lieux d'interventions), le salarié reprend sa liberté pouvant ainsi vaquer librement à des occupations personnelles sans consignes particulières de son employeur n'étant plus à sa disposition, le temps entre deux interventions n'est alors ni décompté comme du temps de travail effectif, ni rémunéré. (...) " ; que ces stipulations ont été étendues par l'arrêté attaqué sous la réserve suivante, fixée par son article 1er : " L'article f de la section 2 du chapitre II de la partie II est étendu, sous réserve que le temps de trajet pour se rendre d'un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue bien un temps de travail effectif, et à ce titre rémunéré comme tel, quelle que soit sa durée, conformément à l'article L. 3121-4 du code du travail tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc. 16 juin 2004, n° 02-43685) " ;

12. Considérant que le temps de trajet nécessaire pour qu'un salarié se rende d'un lieu de travail à un autre est un temps pendant lequel l'intéressé demeure à la disposition de l'employeur et ne peut vaquer à ses occupations personnelles ; qu'il constitue, dès lors, quelle que soit sa durée, un temps de travail effectif ; que la réserve rappelée au point précédent, qui a pour objet de rappeler cette règle, doit être regardée comme fixant une interprétation applicable tant au paragraphe e) qu'au paragraphe f) du I de la section 2 ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'elle est entachée d'erreur matérielle en ce qu'elle vise le paragraphe f) et non le paragraphe e) doit être écarté ; que, compte tenu de cette réserve, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué aurait étendu des stipulations contraires aux règles qui définissent le temps de travail en prévoyant, au paragraphe e), que le temps de déplacement entre deux interventions pendant lequel le salarié retrouve son autonomie ne constitue pas un temps de travail effectif, ne présente pas à juger une contestation sérieuse et doit également être écarté ;

13. Considérant, en second lieu, que le dernier alinéa du même paragraphe e) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de la convention stipule qu'en cas " d'utilisation de son véhicule personnel pour réaliser des déplacements professionnels, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 centimes d'euros par kilomètre " ; que les requérants soutiennent que ce plancher de remboursement forfaitaire kilométrique est sous-évalué ;

14. Considérant qu'il résulte d'une jurisprudence établie de la Cour de cassation que les frais qu'un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l'intérêt de l'employeur doivent lui être remboursés sans pouvoir être imputés sur la rémunération qui lui est due, à moins qu'il ait été contractuellement prévu que le salarié conserverait la charge de ses frais professionnels moyennant le versement d'une somme fixée à l'avance de manière forfaitaire et à la condition, d'une part, que cette somme forfaitaire ne soit pas manifestement disproportionnée au regard du montant réel des frais engagés et, d'autre part, que la rémunération proprement dite du travail reste, chaque mois, au moins égale au SMIC ;

15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2261-25 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut exclure de l'extension, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, les clauses qui seraient en contradiction avec des dispositions légales. (...) Il peut, dans les mêmes conditions, étendre, sous réserve de l'application des dispositions légales, les clauses incomplètes au regard de ces dispositions " ; qu'en prévoyant que le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 centimes d'euros par kilomètre, les stipulations de la convention citées au point 13 fixent le montant minimal du remboursement forfaitaire de ces frais professionnels à un niveau manifestement insuffisant au regard du montant réel des frais de transport que supporte un salarié qui utilise son véhicule personnel ; qu'il s'ensuit que l'arrêté attaqué doit être annulé en tant qu'il procède à l'extension de ces stipulations sans avoir subordonné cette extension, en application des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 2621-25 du code du travail, au respect de la jurisprudence établie de la Cour de cassation rappelée au point 14 ;

Quant aux stipulations de la convention relatives au travail de nuit :

16. Considérant que le dernier alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail dispose qu'en présence de clauses d'un accord collectif de travail qui sont incomplètes au regard des textes législatifs et réglementaires, le ministre chargé du travail peut, après avoir recueilli l'avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, en subordonner l'extension à l'application de ces textes ; qu'en revanche, il ne saurait, sans méconnaître les pouvoirs qu'il tient de ce même article L. 2261-25, se fonder sur ces dispositions pour n'étendre certaines clauses d'un accord collectif de travail que sous réserve qu'elles soient complétées par un accord collectif ultérieur ; qu'en effet, il n'est pas alors en mesure d'apprécier, comme il lui appartient pourtant de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité de cet accord ultérieur avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ;

17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3122-33 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " La mise en place dans une entreprise ou un établissement du travail de nuit au sens de l'article L. 3122-31 ou son extension à de nouvelles catégories de salariés sont subordonnées à la conclusion préalable d'une convention ou d'un accord collectif de branche étendu ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement " ; que, dans sa rédaction applicable à cette même date, l'article L. 3122-39 du même code dispose que : " Les travailleurs de nuit bénéficient de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles ils sont employés sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale " ; qu'aux termes de l'article L. 3122-40 : " La contrepartie dont bénéficient les travailleurs de nuit est prévue par la convention ou l'accord mentionné à l'article L. 3122-33. Cet accord prévoit, en outre, des mesures destinées : / " 1° A améliorer les conditions de travail des travailleurs ; / 2° A faciliter l'articulation de leur activité nocturne avec l'exercice de responsabilités familiales et sociales, notamment en ce qui concerne les moyens de transport ; / 3° A assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, notamment par l'accès à la formation. / L'accord prévoit également l'organisation des temps de pause " ; qu'il résulte de ces dispositions que l'accord collectif de branche étendu, ou l'accord d'entreprise ou d'établissement, qui met en place le travail de nuit doit comporter les contreparties mentionnées à l'article L. 3122-39 du code du travail, ainsi que les autres mesures mentionnées à l'article L. 3122-40 du même code ;

18. Considérant que le paragraphe j) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de la convention du 20 septembre 2012 est relatif au travail de nuit ; que son premier alinéa dispose que : " Les entreprises de la branche pourront avoir recours au travail de nuit pour les situations d'emploi où la continuité de l'activité s'impose " ; que ce j) prévoit, en son point 2, des modalités de compensation ou d'indemnisation en cas de travail de nuit ; que l'article 1er de l'arrêté attaqué procède à l'extension de ce point 2 " sous réserve de l'application des dispositions de l'article L. 3122-40 du code du travail " ;

19. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que si la convention étendue par l'arrêté litigieux, qui introduit le travail de nuit dans les entreprises couvertes par son champ, prévoit les contreparties dont bénéficient les travailleurs de nuit en termes d'indemnisation où de compensation du temps de travail, elle ne prévoit aucune des autres mesures requises par l'article L. 3122-40 du code du travail ; que, par suite, sans que puisse être utilement invoquée, ainsi qu'il a été dit au point 16, la réserve figurant dans l'arrêté attaqué, tendant à ce que des accords ultérieurs fixent les mesures en question, le ministre chargé du travail ne pouvait légalement étendre les stipulations de la convention qui autorisent le travail de nuit ;

20. Considérant, par suite, que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête relatifs à l'extension des stipulations qui concernent le travail de nuit et la présence nocturne, les requérants sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il étend l'ensemble des stipulations, indivisibles, du paragraphe j) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de la convention ;

Quant aux stipulations de la convention relatives à l'obligation de loyauté des salariés :

21. Considérant que le paragraphe 1 de la section 3 du chapitre 1er de la partie 2 de la convention est relatif au principe général de loyauté des salariés ; que son deuxième alinéa dispose que : " Seront considérés comme des manquements à ce principe, notamment, le fait de créer une entreprise concurrente, ainsi que celui d'entrer au service des clients actifs de son employeur pour son propre compte ou pour le compte d'un tiers, étant précisé qu'un client est qualifié d'actif lorsqu'il est en contrat avec l'employeur " ; que si ces stipulations interdisent à un salarié d'exercer simultanément une autre activité concurrente de celle de son employeur ou de nature à détourner sa clientèle, elles n'instaurent pas d'obligation de consacrer l'exclusivité de son activité à un seul employeur ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte, pour ce motif, à la " liberté du travail " et ne pouvaient en conséquence faire légalement l'objet d'une extension doit, en tout état de cause, être écarté ;

Quant aux stipulations de la convention relatives au travail à temps partiel :

22. Considérant, en premier lieu, que, par dérogation aux dispositions de l'article L. 3123-17 du code du travail qui prévoient, dans leur rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, un plafonnement des heures complémentaires à 10 % de la durée de travail pour la période de référence, l'article L. 3123-18 du même code, dans sa rédaction applicable à cette même date, dispose que : " Une convention ou un accord collectif de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut porter jusqu'au tiers de la durée stipulée au contrat la limite fixée à l'article L. 3123-17 dans laquelle peuvent être accomplies des heures complémentaires " ; que l'article L. 3123-22 du même code dispose que : " Une convention ou un accord collectif de branche étendu ou une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut faire varier en deçà de sept jours, jusqu'à un minimum de trois jours ouvrés, le délai dans lequel la modification de la répartition de la durée du travail est notifiée au salarié. Dans les associations et entreprises d'aide à domicile, ce délai peut être inférieur pour les cas d'urgence définis par convention ou accord collectif de branche étendu ou par convention ou accord d'entreprise ou d'établissement. / La convention ou l'accord collectif de branche étendu ou la convention ou l'accord d'entreprise ou d'établissement prévoit des contreparties apportées au salarié lorsque le délai de prévenance est réduit en deçà de sept jours ouvrés. " ; qu'enfin, aux termes de l'article L. 3123-23 : " L'accord collectif permettant les dérogations prévues aux articles L. 3123-18, relatif au nombre d'heures complémentaires, et L. 3123-22, relatif au délai de prévenance en cas de modification de la répartition du travail, comporte des garanties relatives à la mise en oeuvre, pour les salariés à temps partiel, des droits reconnus aux salariés à temps complet et notamment de l'égalité d'accès aux possibilités de promotion, de carrière et de formation, ainsi qu'à la fixation d'une période minimale de travail continue et à la limitation du nombre des interruptions d'activité au cours d'une même journée " ;

23. Considérant que le paragraphe i) de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de la convention stipule que, pour un salarié à temps partiel : " (...) les modifications relatives à la répartition de son horaire de travail doivent lui être notifiées dans un délai qui ne peut être inférieur à 3 jours calendaires (...) ", sauf dans les cas d'urgence dont ce même paragraphe fixe la liste ; que le paragraphe b) de la section 3 du même chapitre prévoit que : " L'organisation du travail d'un salarié à temps partiel doit se faire conformément au droit commun, avec notamment : / - un respect des délais de prévenance prévus pour les entreprises du secteur des services à la personne rappelés au point i de la section 2, sauf pour la réalisation d'interventions urgentes ; / - la possibilité pour l'employeur d'imposer au salarié l'accomplissement d'heures complémentaires dans la limite de 33 % de la durée contractuelle " ;

24. Considérant qu'en abaissant à trois jours le délai dans lequel les salariés à temps partiel doivent être informés de la modification de leurs horaires de travail, ainsi qu'en élevant à 33% la limite des heures complémentaires que l'employeur peut imposer à ces salariés, les stipulations de la convention citées au point précédent introduisent, ainsi que le permettent les articles L. 3123-18 et L. 3123-22 du code du travail, des dérogations relatives, d'une part, au nombre maximum d'heures complémentaires et, d'autre part, au délai minimum de prévenance applicable, en dehors des cas d'urgence, aux modifications de la répartition de la durée du travail ; que, toutefois, les dispositions de l'article L. 3123-23 du même code exigent que de telles dérogations soient notamment assorties de la fixation d'une période minimale de travail continue ; qu'il n'est pas contesté qu'aucune stipulation de la convention dont l'extension est attaquée ne prévoit une telle garantie ; que, par suite, le ministre ne pouvait légalement étendre les stipulations du paragraphe b) de la section 3 du chapitre II de la partie 2 de la convention, ainsi que les stipulations du paragraphe i) de la section 2 de ce même chapitre II en tant qu'elles permettent, en dehors des cas d'urgence dont elles fixent la liste, d'abaisser à trois jours calendaires le délai minimum de notification des modifications de l'horaire de travail ;

25. Considérant, en second lieu, que l'article L. 3123-14-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, dispose que : " La durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine (...) " ; que l'article L. 3123-14-3 du même code dispose qu'une convention ou un accord de branche étendu ne peut fixer de durée inférieure sans comporter certaines garanties ; que la convention étendue par l'arrêté litigieux se borne à stipuler que : " Le contrat de travail conclu à temps partiel doit préciser la durée contractuelle garantie " ; qu'il en résulte clairement qu'elle ne fixe pas de durée de travail minimale inférieure à vingt-quatre heures par semaine pour les travailleurs à temps partiel ; que, les dispositions de l'article L. 3123-14-3 du code du travail n'étant, par suite, pas applicables, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué étendrait une convention qui les méconnaîtrait ;

Quant aux stipulations de la convention relatives aux forfaits jours :

26. Considérant que l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, dispose que : " La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions " ; que ces dispositions permettent à l'accord de branche de prévoir que des conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, pourront être passées dans les entreprises de la branche qui n'ont pas conclu d'accord collectif d'entreprise ou d'établissement portant sur ce sujet ; qu'il incombe alors à l'accord de branche de fixer lui-même, compte tenu de l'absence d'accord collectif d'entreprise ou d'établissement, les caractéristiques principales de ces conventions individuelles de forfait ;

27. Considérant que la section 4 du chapitre II de la partie 2 de la convention étendue par l'arrêté litigieux stipule que : " Des conventions de forfait en jours sur l'année peuvent être conclues, sous réserve du respect des dispositions légales en vigueur et de garanties réelles données aux salariés ayant conclu de telles conventions de bénéficier des repos minimaux (quotidien et hebdomadaire) rappelés dans la présente convention " ; que l'article 1er de l'arrêté attaqué procède à l'extension de ces stipulations " sous réserve de l'application des dispositions des articles L. 3121-39 et suivants du code du travail ainsi que de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc. 29 juin 2011, n° 09-71107), selon laquelle les dispositions de l'accord collectif en matière de forfait en jours doivent également prévoir des stipulations garantissant le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. L'accord doit être complété par des accords négociés au niveau de l'entreprise afin de satisfaire aux dispositions légales et jurisprudentielles " ;

28. Considérant qu'il résulte des termes mêmes des stipulations citées au point précédent, et n'est d'ailleurs pas contesté, que la convention étendue par l'arrêté litigieux ne fixe pas elle-même les caractéristiques principales des conventions individuelles de forfait, pourtant requises par les dispositions l'article L. 3121-39 du code du travail ; qu'eu égard à ce qui a été dit au point 16, la réserve introduite par l'arrêté attaqué n'est pas de nature à justifier légalement l'extension de stipulations incomplètes ; que les requérants sont, par suite, fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il procède à l'extension de la section 4 du chapitre II de la partie 2 de la convention ;

29. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 3 avril 2014 portant extension de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne qu'en tant qu'il procède à l'extension, premièrement du dernier alinéa du e) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de cette convention, deuxièmement du j) de ce même I, troisièmement du b) de la section 3 de ce même chapitre II de la partie 2, quatrièmement des stipulations du i) de la section 2 de ce même chapitre II en tant qu'elles permettent, en dehors des cas d'urgence dont elles fixent la liste, d'abaisser à trois jours calendaires le délai minimum de notification des modifications de l'horaire de travail et, enfin, de la section 4 du chapitre II de la même partie 2 ;

30. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et une somme de 1 500 euros à verser au syndicat CGT du service à la personne de Paris, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention du syndicat Force ouvrière est admise.

Article 2 : L'arrêté du 3 avril 2014 portant extension de la convention collective nationale des entreprises de services à la personne est annulé en tant qui procède à l'extension :

- du dernier alinéa du e) du I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 de cette convention ;

- du j) de ce même I de la section 2 du chapitre II de la partie 2 ;

- du b) de la section 3 de ce même chapitre II de la partie 2 ;

- des stipulations du i) de la section 2 de ce même chapitre II, en tant qu'elles permettent, en dehors des cas d'urgence dont elles fixent la liste, d'abaisser à trois jours calendaires le délai minimum de notification des modifications de l'horaire de travail ;

- de la section 4 du même chapitre II de la partie 2.

Article 3 : L'Etat versera à la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et au syndicat CGT du service à la personne de Paris une somme de 1 500 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution et du syndicat CGT du service à la personne de Paris est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution, au syndicat CGT du service à la personne de Paris, à la Fédération du service aux particuliers, à la fédération des services CFDT, à la Fédération française des services à la personne et de proximité, au syndicat CFTC santé sociaux, au syndicat Force ouvrière et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée au syndicat CFE-CGC.


Synthèse
Formation : 4ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 381870
Date de la décision : 12/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

TRAVAIL ET EMPLOI - CONVENTIONS COLLECTIVES - EXTENSION DES CONVENTIONS COLLECTIVES - POUVOIRS DU MINISTRE - FACULTÉ POUR LE MINISTRE D'ÉTENDRE - SOUS RÉSERVE DE L'APPLICATION DES DISPOSITIONS LÉGALES - LES CLAUSES D'UNE CONVENTION COLLECTIVE INCOMPLÈTES AU REGARD DE CES DISPOSITIONS (ART - L - 2261-25 DU CODE DU TRAVAIL) [RJ1] - CAS D'UNE CLAUSE ILLÉGALE EN L'ABSENCE DE RÉSERVE DU RESPECT D'UNE JURISPRUDENCE ÉTABLIE - ANNULATION DE L'ARRÊTÉ D'EXTENSION EN TANT QU'IL NE COMPORTE PAS CETTE RÉSERVE.

66-02-02-02 Arrêté d'extension d'une convention collective comportant une clause fixant à 12 centimes d'euros par kilomètre le plancher de remboursement forfaitaire kilométrique en cas d'utilisation par le salarié de son véhicule personnel pour réaliser des déplacements professionnels.... ,,En prévoyant que le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 centimes d'euros par kilomètre, les stipulations de la convention fixent le montant minimal du remboursement forfaitaire de ces frais professionnels à un niveau manifestement insuffisant au regard du montant réel des frais de transport que supporte un salarié qui utilise son véhicule personnel. Il s'ensuit que l'arrêté d'extension de la convention doit être annulé en tant qu'il procède à l'extension de ces stipulations sans avoir subordonné cette extension, en application du troisième alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail, au respect de la jurisprudence établie de la Cour de cassation en la matière.

TRAVAIL ET EMPLOI - CONVENTIONS COLLECTIVES - EXTENSION DES CONVENTIONS COLLECTIVES - CONDITION DE LÉGALITÉ DE L'EXTENSION TENANT À LA VALIDITÉ DE LA CONVENTION - CONVENTION COLLECTIVE COMPORTANT UNE CLAUSE ILLÉGALE - RÉSERVE - DANS L'ARRÊTÉ D'EXTENSION - DU RESPECT D'UNE JURISPRUDENCE ÉTABLIE [RJ1] - ABSENCE - CONSÉQUENCE - ANNULATION DE L'ARRÊTÉ D'EXTENSION EN TANT QU'IL NE COMPORTE PAS CETTE RÉSERVE.

66-02-02-035 Arrêté d'extension d'une convention collective comportant une clause fixant à 12 centimes d'euros par kilomètre le plancher de remboursement forfaitaire kilométrique en cas d'utilisation par le salarié de son véhicule personnel pour réaliser des déplacements professionnels.... ,,En prévoyant que le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 12 centimes d'euros par kilomètre, les stipulations de la convention fixent le montant minimal du remboursement forfaitaire de ces frais professionnels à un niveau manifestement insuffisant au regard du montant réel des frais de transport que supporte un salarié qui utilise son véhicule personnel. Il s'ensuit que l'arrêté d'extension de la convention doit être annulé en tant qu'il procède à l'extension de ces stipulations sans avoir subordonné cette extension, en application du troisième alinéa de l'article L. 2261-25 du code du travail, au respect de la jurisprudence établie de la Cour de cassation en la matière.


Références :

[RJ1]

Cf., sur la portée du pouvoir de réserve reconnu au ministre par l'article L. 2261-25 du code du travail, CE, 15 mars 2017, Syndicat des armateurs de France, n° 387060, à mentionner aux Tables.


Publications
Proposition de citation : CE, 12 mai. 2017, n° 381870
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-François de Montgolfier
Rapporteur public ?: Mme Sophie-Justine Lieber

Origine de la décision
Date de l'import : 06/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:381870.20170512
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award