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26/04/2017 | FRANCE | N°375565

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 26 avril 2017, 375565


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision révélée par la réponse que lui a adressée le 17 septembre 2010 la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux informations susceptibles de le concerner et figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations.

Par un jugement n° 1019733/7-1 du 13 juillet 2012, le tribunal administratif de Pari

s a annulé la décision du ministre de l'intérieur refusant de communiquer...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision révélée par la réponse que lui a adressée le 17 septembre 2010 la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de l'intérieur lui a refusé l'accès aux informations susceptibles de le concerner et figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations.

Par un jugement n° 1019733/7-1 du 13 juillet 2012, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision du ministre de l'intérieur refusant de communiquer à M. B... les informations le concernant figurant au fichier de la direction centrale du renseignement intérieur, et lui a enjoint de communiquer à l'intéressé les informations sollicitées dans un délai de deux mois, à l'exception, le cas échéant, de celles d'entre elles dont le contenu mentionnerait de façon précise les missions confiées aux services du renseignement dans le cadre desquelles ces données ont été recueillies, et qui seraient comme telles classifiées en application de l'arrêté du 27 juin 2008.

Par un arrêt n° 12PA03721 du 20 décembre 2013, la cour administrative d'appel de Paris a, à la demande du ministre de l'intérieur, réformé le jugement du tribunal administratif de Paris en ce qu'il lui enjoignait de communiquer à M. B...les informations susvisées, lui a enjoint de se prononcer à nouveau, dans un délai de deux mois, sur la demande de M. B...et a rejeté le surplus des conclusions dont elle était saisie.

Par un pourvoi, enregistré le 18 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, et par un mémoire complémentaire, enregistré le 11 août 2016 et qui n'a pas été versé au contradictoire, le ministre de l'intérieur demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire intégralement droit à son appel.

Le ministre de l'intérieur soutient que :

- la cour a commis une erreur de droit au regard des dispositions des articles 41 de la loi du 6 janvier 1978 et 88 du décret du 20 octobre 2005 ;

- la cour a omis de statuer sur l'incompatibilité de la mesure d'injonction prononcée par le tribunal administratif au regard des finalités du traitement concerné et a entaché par là-même son arrêt d'une erreur de droit ;

- le jugement du tribunal administratif encourt l'annulation pour les mêmes motifs que ceux développés à l'encontre de l'arrêt de la cour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 mai 2014, M. B...conclut au rejet du pourvoi, par la voie du pourvoi incident, à l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a ordonné le seul réexamen de sa demande de communication et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui communiquer, par l'intermédiaire de la CNIL et dans les 15 jours de la notification de l'arrêt à intervenir, l'ensemble des informations le concernant contenues dans les fichiers de la direction centrale du renseignement intérieur, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, et, dans tous les cas, à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jacques Reiller, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lévis, avocat de M. A...B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 avril 2017, présentée pour M.B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 : " Par dérogation aux articles 39 et 40, lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d'accès s'exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l'ensemble des informations qu'il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. /Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. / Lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l'acte réglementaire portant création du fichier peut prévoir que ces informations peuvent être communiquées au requérant par le gestionnaire du fichier directement saisi. ". Aux termes de l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l'application de cette loi : " Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d'être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations (...) Lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l'accord du responsable du traitement. / En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur ".

2. L'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés dispose : " I. Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et : / 1° Qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique ; (...) / L'avis de la commission est publié avec l'arrêté autorisant le traitement. / II. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 8 sont autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission ; cet avis est publié avec le décret autorisant le traitement. / III. Certains traitements mentionnés au I et au II peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'Etat, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise ; pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission (...) ".

3. Si le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n'aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d'assurer l'effectivité du droit au recours, lorsque l'acte litigieux n'est pas publié en application de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Si une telle dispense de publication que justifie la préservation des finalités des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique fait obstacle à la communication tant de l'acte réglementaire qui en a autorisé la création que des décisions prises pour leur mise en oeuvre aux parties autres que celle qui les détient, dès lors qu'une telle communication priverait d'effet la dispense de publication, elle ne peut, en revanche, empêcher leur communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d'apprécier le bien-fondé d'un moyen. Il suit de là que, quand, dans le cadre de l'instruction d'un recours dirigé contre le refus de communiquer des informations relatives à une personne mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique dont l'acte de création a fait l'objet d'une dispense de publication, le ministre refuse la communication de ces informations au motif que celle-ci porterait atteinte aux finalités de ce fichier, il lui appartient néanmoins de verser au dossier de l'instruction écrite, à la demande du juge, ces informations ou tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer de façon à lui permettre de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce dernier sans que ces éléments puissent être communiqués aux autres parties, auxquelles ils révèleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non publication du décret l'autorisant.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. B...a saisi le 17 juillet 2007 la Commission nationale de l'informatique et des libertés afin de pouvoir accéder aux données le concernant qui auraient été contenues dans les fichiers de plusieurs services de police, dont la direction de la surveillance du territoire (DST). Par une lettre en date du 17 septembre 2010, le président de la Commission a informé M. B...de ce que le membre de la Commission désigné à cet effet avait procédé à l'ensemble des vérifications demandées dans le fichier en cause, devenu celui de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), et que la procédure était désormais terminée. Saisi par M. B...d'une demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette dernière décision, le tribunal administratif de Paris a, après un premier jugement avant-dire-droit du 26 janvier 2012, annulé, par un jugement du 13 juillet 2012, le refus révélé, par la lettre du 17 septembre 2010, de communiquer les données contenues dans le fichier de la DCRI et enjoint de communiquer ces données à l'intéressé dans un délai de deux mois, à l'exception de celles qui seraient protégées par le secret de la défense nationale. Saisie par le ministre de l'intérieur, la cour administrative d'appel de Paris a, par un arrêt du 20 décembre 2013, rejeté l'appel dirigé contre le jugement du 13 juillet 2012 en tant qu'il a annulé le refus litigieux, annulé ce jugement en tant qu'il avait enjoint au ministre de l'intérieur de communiquer les données contenues dans le fichier de la DCRI et enjoint au ministre de se prononcer à nouveau sur la demande de M.B..., dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 décembre 2013. M. B...a introduit un pourvoi incident à l'encontre du même arrêt en tant que, réformant la mesure d'injonction prononcée à l'égard du ministre de l'intérieur, la cour a seulement enjoint à celui-ci de réexaminer la demande de communication litigieuse.

5. Le ministre de l'intérieur a communiqué au Conseil d'Etat, par un mémoire enregistré le 11 août 2016 qui n'a pas été versé au débat contradictoire, l'acte réglementaire autorisant la création du fichier de la direction centrale du renseignement intérieur ainsi que les éléments relatifs à la situation de M.B....

6. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire et dans la limite des secrets qui lui sont opposables, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, le juge rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité soit que les données à caractère personnel soient inexactes, incomplètes ou périmées, soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses. Il s'ensuit, dans pareil cas, que doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification.

7. Il résulte de ce qui précède, et notamment des motifs énoncés au point 6, que la cour administrative d'appel de Paris a méconnu son office en rejetant l'appel dont elle était saisie dirigé contre le jugement qui avait annulé la décision litigieuse au seul motif tiré du refus du ministre de répondre à sa demande tendant à la communication à M. B...des informations le concernant et figurant dans le traitement automatisé de données de la direction centrale du renseignement intérieur, et en ordonnant au ministre de l'intérieur de se prononcer à nouveau sur la demande de M.B....

8. Le ministre de l'intérieur est donc fondé à demander l'annulation de l'ensemble de l'arrêt du 20 décembre 2013. Cette annulation prive d'objet le pourvoi incident de M.B....

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

10. Pour les motifs énoncés aux points 6 et 7, le jugement du 13 juillet 2012 doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Paris.

11. Il résulte des écritures du requérant, de l'examen par le Conseil d'Etat de l'acte réglementaire créant le fichier litigieux ainsi que des éléments fournis par le ministre de l'intérieur, dans la limite des secrets qui sont opposables au juge administratif, que, en l'état du dossier et du droit applicable, les conclusions de M. B...ne peuvent être accueillies. Par suite, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 20 décembre 2013 et le jugement du 16 novembre 2011 du tribunal administratif de Paris sont annulés.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le pourvoi incident de M.B....

Article 3 : Les conclusions présentées par M. B...devant le tribunal administratif de Paris sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'intérieur, à la Commission nationale de l'informatique et des libertés et à M. A...B....


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 375565
Date de la décision : 26/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 avr. 2017, n° 375565
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jacques Reiller
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP LEVIS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:375565.20170426
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