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01/03/2017 | FRANCE | N°407819

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 01 mars 2017, 407819


Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au sein du centre pénitentiaire de Guyane et, notamment, qu'il prescrive à l'administration d'engager et de réaliser dans les meilleurs délais les mesures pres

crites ou recommandées par la sous-commission départementale de séc...

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guyane, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures qu'il estimera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes détenues au sein du centre pénitentiaire de Guyane et, notamment, qu'il prescrive à l'administration d'engager et de réaliser dans les meilleurs délais les mesures prescrites ou recommandées par la sous-commission départementale de sécurité contre les risques d'incendie et de panique (SRIP) et non encore mises en oeuvre ou achevées. Par une ordonnance n° 1700086 du 26 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 9 et 21 février 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que la sous-commission départementale de sécurité contre les risques d'incendie et de panique (SRIP) a émis le 16 décembre 2016 un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation du centre pénitentiaire de Guyane, peu important à cet égard le caractère récent de cet avis ; par ailleurs, l'administration ne saurait contester utilement l'urgence, ni en se prévalant de ce qu'elle a déjà engagé des travaux afin de répondre à une partie des prescriptions formulées par la sous-commission ni en faisant valoir qu'elle a entrepris de passer les marchés nécessaires à la réfection totale de la cuisine, compte tenu du délai de plus d'un an envisagé pour la réalisation ces travaux de réhabilitation ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit dès lors que le juge des référés du tribunal administratif a tenu compte du caractère récent de l'avis de la sous-commission SRIP pour justifier de l'absence d'urgence de la requête, alors que ce dernier est sans incidence sur la gravité du danger constaté et que les manquements dénoncés sont anciens et connus de longue date par l'administration ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation et de dénaturation, dès lors, d'une part, que la situation actuelle des détenus reste fortement affectée et, d'autre part, que l'administration n'a fourni que peu d'éléments ;

- l'office du juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, peut inclure, d'une part, la prescription de toutes mesures utiles à améliorer la conformité des conditions de détention aux stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, la sécurisation de la réalisation d'un plan d'action déjà élaboré par l'administration dont la mise en oeuvre concrète tarde à se matérialiser, et, enfin, l'aménagement dans le temps de ces mesures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés la Section française de l'Observatoire international des prisons ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le représentant de la Section française de l'Observatoire international des prisons, d'autre part, le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 21 février 2017 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- le représentant de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 février 2017, présentée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 27 février 2017, présentées par la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ".

2. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et lorsque la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

3. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

4. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale ; qu'eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

5. La sous-commission départementale de sécurité contre les risques d'incendie et de panique (SRIP) a effectué une inspection des conditions de sécurité et de lutte contre les risques d'incendie au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly, le 28 novembre 2016. Le 16 décembre 2016, elle a émis un avis défavorable à la poursuite du fonctionnement de l'établissement, motivé, en premier lieu, par le caractère peu fiable de certaines installations techniques dont elle a relevé qu'elles n'avaient pas fait l'objet de l'entretien et des vérifications réglementaires, en second lieu, par des conditions favorables à la propagation verticale et horizontale du feu et à l'envahissement par les fumées en raison notamment de l'état de la cuisine et des locaux associés, et, en dernier lieu, par des insuffisances dans la mise en place de mesures destinées à prévenir les conséquences d'un potentiel incendie, notamment le risque d'asphyxie et de panique, à travers la formation des personnels de l'établissement, la bonne maintenance des moyens de détection automatique et d'extinction et l'existence d'un plan d'intervention et de secours. La sous-commission a assorti son avis d'observations selon lesquelles l'urgence était " de prévoir : un plan d'intervention spécifique (...) ; la formation du personnel ; les travaux de la cuisine ". La Section française de l'Observatoire international des prisons soutient que, compte tenu du caractère défavorable de l'avis émis, le défaut de mise en oeuvre des prescriptions de la sous-commission crée un danger imminent et caractérisé pour la vie des personnes détenues au sein du centre pénitentiaire de Guyane. Elle demande au juge des référés d'enjoindre à l'administration d'engager et de réaliser dans les meilleurs délais les mesures prescrites ou recommandées par la sous-commission.

6. Il résulte de l'instruction et des échanges intervenus au cours de l'audience publique que, s'agissant des interventions les plus urgentes demandées par la sous-commission, d'une part, un plan d'intervention a bien été établi, d'autre part, l'administration a engagé un projet important de réhabilitation complète de la cuisine du centre pénitentiaire comprenant, pour la durée des travaux, l'installation d'une cuisine provisoire qui ne présentera pas les risques liés à l'ancienne installation, enfin, en ce qui concerne la formation, l'administration justifie de l'organisation tant d'une formation au monitorat pour un agent, dispensée à l'école nationale de l'administration pénitentiaire, que de la programmation sur place à brève échéance de plusieurs sessions de formation à la sécurité incendie pour les personnels affectés au centre pénitentiaire. Concernant les préconisations relatives aux autres risques, l'administration établit que plusieurs ont d'ores et déjà été mises en oeuvre et que les travaux, contrôles et mesures d'organisation permettant de se conformer aux prescriptions restantes sont programmés et seront engagés au cours de l'année 2017, dans le cadre du marché d'exploitation-maintenance du centre pénitentiaire, lequel comporte des engagements contractuels précis en matière de sécurité incendie dont le respect sera assuré par un système informatisé de signalement des incidents mis en place par l'administration. Dans ces conditions, il n'y a pas urgence pour le juge des référés à intervenir dans le bref délai prévu par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

7. Il résulte de ce qui précède que la demande de la Section française de l'Observatoire international des prisons ne peut qu'être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 407819
Date de la décision : 01/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 mar. 2017, n° 407819
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 21/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407819.20170301
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