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24/02/2017 | FRANCE | N°407465

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 24 février 2017, 407465


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 17 février 2017 au secrétariat du Conseil d'Etat, le syndicat de la presse quotidienne nationale, le syndicat de la presse hebdomadaire régionale, l'union de la presse en région et la société d'édition La Manche Libre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2016-2013 du 30 décembre 2016 relatif au transport postal des suppl

éments et hors-série ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 e...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 17 février 2017 au secrétariat du Conseil d'Etat, le syndicat de la presse quotidienne nationale, le syndicat de la presse hebdomadaire régionale, l'union de la presse en région et la société d'édition La Manche Libre demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2016-2013 du 30 décembre 2016 relatif au transport postal des suppléments et hors-série ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la présente requête est recevable dès lors que le décret contesté affecte les garanties concrètes de la liberté d'information, de la liberté et du pluralisme de la presse qu'ils ont la charge de défendre, au terme de leur statut ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que le décret contesté, d'une part, compromet à brève échéance l'existence et l'emploi des 65 salariés de la société requérante, en ce qu'il la soumet à un régime tarifaire postal moins avantageux, d'autre part, crée une rupture d'égalité entre les magazines qui ne sont pas d'information politique et générale (IPG) et les suppléments et hors-série de la presse IPG, tout en produisant des effets anticoncurrentiels caractérisés et durables sur le marché et, enfin, tend à restreindre l'autonomie financière de la presse IPG voire à en limiter le nombre, au détriment de l'intérêt public qui s'attache à la liberté d'information du public et de la liberté et de du pluralisme de la presse ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- le décret est entaché d'un vice d'incompétence et d'un vice de procédure en ce qu'il a été pris sans avoir fait l'objet, au préalable, d'un avis du Conseil d'Etat, après consultation de la Poste, de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la commission supérieure du numérique et des postes, en méconnaissance des articles L. 112-1 du code de justice administrative et L. 2 du code des postes et des communications électroniques ;

- il méconnaît la liberté de la presse et l'objectif à valeur constitutionnelle de pluralisme de la presse en restreignant la marge de manoeuvre financière de certains titres de presse, voire en les menaçant de disparition, sans édicter corrélativement de nouvelles garanties en faveur des sociétés d'édition diffusant des suppléments et hors-séries en même temps que leur publication principale IPG ;

- il méconnaît le principe constitutionnel d'égalité et de libre concurrence en instituant une différence de traitement, étrangère à tout motif d'intérêt général, entre les magazines non IPG et, les suppléments et hors-séries de la presse IPG ;

- il méconnaît la liberté conventionnelle de la presse et le principe de non-discrimination, garantis par les stipulations combinées des articles 10 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il méconnaît la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le droit au respect des situations légalement acquises, sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d'intérêt général ;

- il porte atteinte au droit au respect des biens garanti par les dispositions de l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'une part, en privant les entreprises d'IPG de l'espérance légitime et raisonnable de voir se maintenir le tarif postal préférentiel antérieur et, d'autre part, en faisant supporter sur elles seules cette charge exorbitante du financement du service public de la poste ;

- il porte atteinte au principe de sécurité juridique en raison des incertitudes qui résultent de ses dispositions et les mesures transitoires sont manifestement insuffisantes.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 14 et 22 février 2017, la ministre de la culture et de la communication conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat de la presse quotidienne nationale, le syndicat de la presse hebdomadaire régionale, l'union de la presse en région et la société d'édition La Manche Libre, d'autre part, la ministre de la culture et de la communication ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 22 février 2017 à 14 h 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des requérants, et son collaborateur ;

- le représentant du syndicat de la presse hebdomadaire régionale ;

- le représentant de l'union de la presse en région ;

- le représentant de la société d'édition La Manche Libre ;

- les représentants de la ministre de la culture et de la communication ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation des requérants ou aux intérêts qu'ils entendent défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par les requérants, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution du décret soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

2. Le décret n° 2016-2013 du 30 décembre 2016 a pour objet de réaménager la grille des tarifs postaux applicables aux publications de presse, en soumettant à un régime tarifaire postal moins avantageux les suppléments et hors-série de la presse d'information politique et générale. Par la présente requête, les requérants demandent au juge des référés du Conseil d'Etat la suspension de l'exécution de ce décret.

3. A l'appui de leur demande de suspension, les requérants soutiennent que l'exécution du décret contesté porterait, à compter du 1er mars 2017, une atteinte grave et immédiate à leurs intérêts économiques, en raison du surcoût engendré par la perte du bénéfice du tarif préférentiel de diffusion postale pour les suppléments voyageant avec la publication générale, et notamment le supplément TV Mag de la société La Manche Libre. Ce surcoût compromettrait, à brève échéance, l'existence des sociétés représentées, et notamment de la société La Manche Libre qui demeure déficitaire en 2016, et les contraindrait à des réorganisations profondes, susceptibles de se traduire par un déficit d'exploitation majeur, ou encore par le départ d'une partie de leurs salariés. En outre, ils soutiennent que le mécanisme de " lissage " mis en place par le décret s'avère manifestement insuffisant pour assurer l'équilibre financier des entreprises dépendantes de la diffusion postale.

4. Le mécanisme de " lissage " prévu à l'article 9 du décret contesté consiste en une remise dégressive appliquée à la différence entre l'ancien tarif et le nouveau moins favorable, à hauteur de 75% pour les mois de mars à décembre 2017, 50% pour l'année 2018 et 25% pour l'année 2019. En l'espèce, il ne ressort ni des éléments versés au dossier, ni des échanges lors de l'audience publique que les difficultés économiques, liées au surcoût que les sociétés d'édition devront supporter à l'entrée en vigueur du décret contesté, au cours de l'année 2017, seraient d'une ampleur telle qu'il serait porté une atteinte suffisamment grave aux intérêts de ces dernières pour justifier que son exécution soit immédiatement suspendue. A supposer même les effets du surcoût difficilement supportables à partir du 1er janvier 2018, ils ne pourraient en tout état de cause, eu égard à la date de leur survenance, caractériser davantage une situation d'urgence.

5. Il résulte de tout ce qui précède que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les conclusions à fins de suspension présentées par les requérants ne peuvent donc être accueillies. Les conclusions qu'ils présentent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête du syndicat de la presse quotidienne nationale, du syndicat de la presse hebdomadaire régionale, de l'union de la presse en région et de la société d'édition La Manche Libre est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat de la presse quotidienne nationale, au syndicat de la presse hebdomadaire régionale, à l'union de la presse en région, à la société d'édition La Manche Libre et à la ministre de la culture et la communication.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 407465
Date de la décision : 24/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 24 fév. 2017, n° 407465
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407465.20170224
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