La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/02/2017 | FRANCE | N°407222

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 01 février 2017, 407222


Vu la procédure suivante :

Le préfet du Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, d'autoriser l'exploitation des données contenues dans les matériels informatiques et téléphoniques saisis lors de la perquisition administrative menée au domicile de M. A...B...à Roubaix le 18 janvier 2017. Par une ordonnance n° 1700497 du 20 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Par une requête, e

nregistrée le 26 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, ...

Vu la procédure suivante :

Le préfet du Nord a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, d'autoriser l'exploitation des données contenues dans les matériels informatiques et téléphoniques saisis lors de la perquisition administrative menée au domicile de M. A...B...à Roubaix le 18 janvier 2017. Par une ordonnance n° 1700497 du 20 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a fait droit à sa demande.

Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande du préfet du Nord de première instance.

Il soutient que :

- le juge des référés du tribunal administratif de Lille a méconnu le caractère contradictoire de la procédure dès lors que, d'une part, il ne lui a pas été laissé un délai suffisant pour préparer sa défense et, d'autre part, la convocation d'audience porte la mention " audience huis clos " alors que l'ordonnance vise " l'audience publique " du 20 janvier 2017 ;

- l'opération de perquisition est irrégulière dès lors qu'elle a été réalisée en exécution d'un arrêté préfectoral illégal ;

- l'exploitation des données contenues dans l'ensemble des matériels saisis n'est ni suffisamment motivée ni justifiée au regard de la présomption de menace pour l'ordre et la sécurité publics que constituerait le comportement du requérant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 30 janvier 2017, M. B... demande à ce que l'Etat verse à son avocat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par sa décision du 24 janvier 2017, le bureau d'aide juridictionnelle près le Conseil d'Etat accorde au requérant l'aide juridique totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée ;

- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;

- les décrets n° 2015-1475 et n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du lundi 30 janvier 2017 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B...;

- la représentante du ministère de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été prolongée jusqu'au 31 janvier 2017 à 17 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 30 janvier 2017, présenté par le ministre de l'intérieur et communiqué le 31 janvier 2017 à M.B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 : " Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer aux autorités administratives mentionnées à l'article 8 le pouvoir d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut, de son représentant ou de deux témoins. / Lorsqu'une perquisition révèle qu'un autre lieu répond aux conditions fixées au premier alinéa du présent I, l'autorité administrative peut en autoriser par tout moyen la perquisition. Cette autorisation est régularisée en la forme dans les meilleurs délais. Le procureur de la République en est informé sans délai. / Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. / Si la perquisition révèle l'existence d'éléments, notamment informatiques, relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la perquisition peuvent être saisies soit par leur copie, soit par la saisie de leur support lorsque la copie ne peut être réalisée ou achevée pendant le temps de la perquisition. / La copie des données ou la saisie des systèmes informatiques ou des équipements terminaux est réalisée en présence de l'officier de police judiciaire. L'agent sous la responsabilité duquel est conduite la perquisition rédige un procès-verbal de saisie qui en indique les motifs et dresse l'inventaire des matériels saisis. Une copie de ce procès-verbal est remise aux personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent I. Les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition. A compter de la saisie, nul n'y a accès avant l'autorisation du juge. / L'autorité administrative demande, dès la fin de la perquisition, au juge des référés du tribunal administratif d'autoriser leur exploitation. Au vu des éléments révélés par la perquisition, le juge statue dans un délai de quarante-huit heures à compter de sa saisine sur la régularité de la saisie et sur la demande de l'autorité administrative. Sont exclus de l'autorisation les éléments dépourvus de tout lien avec la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée. En cas de refus du juge des référés, et sous réserve de l'appel mentionné au dixième alinéa du présent I, les données copiées sont détruites et les supports saisis sont restitués à leur propriétaire. / Pendant le temps strictement nécessaire à leur exploitation autorisée par le juge des référés, les données et les supports saisis sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant procédé à la perquisition et à la saisie. Les systèmes informatiques ou équipements terminaux sont restitués à leur propriétaire, le cas échéant après qu'il a été procédé à la copie des données qu'ils contiennent, à l'issue d'un délai maximal de quinze jours à compter de la date de leur saisie ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, a autorisé l'exploitation des données qu'ils contiennent. A l'exception de celles qui caractérisent la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée, les données copiées sont détruites à l'expiration d'un délai maximal de trois mois à compter de la date de la perquisition ou de la date à laquelle le juge des référés, saisi dans ce délai, en a autorisé l'exploitation. / (...) Pour l'application du présent article, le juge des référés est celui du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve le lieu de la perquisition. Il statue dans les formes prévues au livre V du code de justice administrative, sous réserve du présent article. Ses décisions sont susceptibles d'appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification. Le juge des référés du Conseil d'Etat statue dans le délai de quarante-huit heures. En cas d'appel, les données et les supports saisis demeurent.conservés dans les conditions mentionnées au huitième alinéa du présent I. / La perquisition donne lieu à l'établissement d'un compte rendu communiqué sans délai au procureur de la République, auquel est jointe, le cas échéant, copie du procès-verbal de saisie Une copie de l'ordre de perquisition est remise à la personne faisant l'objet d'une perquisition. (...) ".

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence ". Il résulte de l'instruction que M. B...a été informé le 20 janvier 2017 en fin de matinée par les services de police de l'avis de l'audience devant se tenir au tribunal administratif de Lille le même jour à 15 heures sur la requête du préfet du Nord enregistrée le 20 janvier 2017 à 9h34. Compte tenu de l'objet de la demande dont le juge était saisi et du délai dans lequel il devait statuer, M. B...a été mis à même, malgré la brièveté du délai dont il disposait, d'être présent à cette audience et d'y faire présenter des observations par son avocat. Il n'est ainsi pas fondé à soutenir que l'ordonnance attaquée aurait été rendue en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

3. En second lieu, il résulte du I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 que, lorsqu'il est saisi par l'autorité administrative d'une demande tendant à autoriser l'exploitation de données ou de matériels saisis lors d'une perquisition administrative, il appartient au juge des référés, statuant en urgence dans un délai de 48 heures à compter de sa saisine, pour accorder ou non l'autorisation sollicitée, de se prononcer en vérifiant, au vu des éléments révélés par la perquisition, d'une part, la régularité de la procédure de saisie et d'autre part, si les éléments en cause sont relatifs à la menace que constitue pour la sécurité et l'ordre publics le comportement de la personne concernée.

4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'ordre de perquisition pris, sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955, par le préfet du Nord le 16 janvier 2017, dont le Procureur de la République a été avisé et qui était motivé par la menace que constitue l'intéressé pour la sécurité et l'ordre publics, une perquisition administrative a été effectuée au domicile de M. B...à Roubaix. La perquisition s'est déroulée le 18 janvier 2017 entre 6 heures 20 et 7 heures 30 chez M. B...en présence d'un officier de police judiciaire et de l'intéressé qui avait reçu au préalable copie de l'ordre de perquisition. Le procès-verbal mentionne notamment la saisie d'un ordinateur de marque " Acer " et d'un téléphone portable de marque " Samsung " avec une carte sim. La procédure de saisie s'est déroulée conformément aux règles de procédure définie par les dispositions de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955.

5. Il résulte de l'instruction que la perquisition au domicile de M. B..., faisant l'objet, selon la note blanche produite lors de l'audience devant le juge du Conseil d'Etat, d'une surveillance des services de police, a été ordonnée par le préfet du Nord à raison des liens de l'intéressé avec la mouvance djihadiste et notamment ses conversations avec des personnes ayant rejoint ou se proposant de rejoindre les zones de combat en Syrie. L'ordre de perquisition du 16 janvier 2017, signé par le requérant le jour de la perquisition, indique qu'il peut faire l'objet d'un recours en annulation devant le tribunal administratif compétent dans le délai de deux mois à compter de sa notification. Ce recours ouvert contre l'ordre de perquisition est différent de la présente procédure spécialisée de référé relative à la possibilité d'autoriser l'exploitation des données et des appareils saisis.

6. Contrairement à ce que soutient le requérant au cours de l'audience publique, les motifs de la perquisition étaient au nombre de ceux prévus par la loi du 3 avril 1955.

7. Il résulte de l'instruction que M. B...soutient que la présence, sur son ordinateur, à côté d'images banales, d'une photographie de Djamel Zitouni, ancien chef du Groupe islamique armé, est liée à ses recherches sur l'histoire contemporaine de l'Algérie. Interrogé sur la présence de ce cliché, il résulte du procès-verbal établi à la fin de la perquisition et signé par lui, qu'il a déclaré au cours de la perquisition " qu'il partageait les thèses d'Al Qaida ". La perquisition a permis de constater qu'il conversait sous pseudonymes, par les logiciels de type Skype avec des tierces personnes qu'il refusait d'identifier. Ces circonstances, comme les déclarations faites par l'intéressé pendant la perquisition, en rapport avec la menace potentielle pour la sécurité et l'ordre publics ayant motivé la perquisition, justifient que soit accordée l'autorisation d'exploiter les données contenues dans les supports informatiques saisis, alors même qu'une première consultation des données informatiques, auxquelles les enquêteurs ont pu avoir accès au cours de la perquisition avec l'accord de l'intéressé, n'a pas fait ressortir d'éléments en rapport avec la menace pour la sécurité et l'ordre publics.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal de Lille a autorisé l'exploitation des données contenues dans les matériels informatiques saisis lors de la perquisition de son domicile le 18 janvier 2017. Ses conclusions, ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 407222
Date de la décision : 01/02/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 01 fév. 2017, n° 407222
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:407222.20170201
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award