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18/01/2017 | FRANCE | N°386144

France | France, Conseil d'État, 4ème - 5ème chambres réunies, 18 janvier 2017, 386144


Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A...B...devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision n° C.2009-2292 du 28 janvier 2010, rectifiée par une ordonnance du 10 février 2010, la chambre disciplinaire a infligé à M. B... la peine de trois mois d'interdiction d'exercer la médecine, dont un mois ferme.

Par une décision n° 10786/10786/QPC du 30 septembre 2014, la chambre disciplinaire nationale de l

'ordre des médecins a, sur appels de M. B...et du conseil départemental de ...

Vu la procédure suivante :

Le conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins a porté plainte contre M. A...B...devant la chambre disciplinaire de première instance du conseil régional d'Ile-de-France de l'ordre des médecins. Par une décision n° C.2009-2292 du 28 janvier 2010, rectifiée par une ordonnance du 10 février 2010, la chambre disciplinaire a infligé à M. B... la peine de trois mois d'interdiction d'exercer la médecine, dont un mois ferme.

Par une décision n° 10786/10786/QPC du 30 septembre 2014, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, sur appels de M. B...et du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins, annulé cette décision et infligé à M. B... la peine d'interdiction d'exercer la médecine durant trois mois.

Par un pourvoi sommaire, trois mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 1er décembre 2014, 5 février, 27 avril, 28 mai et 5 novembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la santé publique, notamment ses articles L. 5311-2, L. 5312-1 et L. 5312-2 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie Baron, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Monod, Colin, Stoclet, avocat de M. B...et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat du conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, saisie d'appels dirigés contre la décision du 28 janvier 2010 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins a infligé une sanction à M.B..., médecin qualifié en médecine générale, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a, par une décision du 30 septembre 2014, refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant elle par l'intéressé et lui a infligé une sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois ; que M.B..., qui se pourvoit en cassation contre cette décision, conteste, par un mémoire distinct présenté en application de l'article R. 771-16 du code de justice administrative, le refus qui lui a été opposé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il a soulevée ;

2. Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a été condamné, par un arrêt du 19 février 2014 de la cour d'appel de Paris, à une peine de quatre mois de prison avec sursis et 15 000 euros d'amende sous la double inculpation d'avoir, en violation de la décision du 17 mai 2006 par laquelle le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) a interdit l'importation, la préparation, la prescription et la délivrance de préparations magistrales, officinales et hospitalières contenant de la poudre de thyroïde, des extraits de thyroïde, des hormones thyroïdiennes ou des dérivés d'hormones thyroïdiennes, d'une part, continué de prescrire des gélules à base d'hormones thyroïdiennes, faits qualifiés par la cour de délit de poursuite d'une activité sur des produits à finalité sanitaire ou cosmétique malgré interdiction et, d'autre part, transmis des ordonnances médicales d'hormones thyroïdiennes à un laboratoire pharmaceutique belge pour permettre leur importation sur le territoire français, faits qualifiés par la cour de délit de complicité de commercialisation ou de distribution de médicament, spécialité pharmaceutique, générateur, trousse ou précurseur, sans autorisation de mise sur le marché ;

3. Considérant, enfin, qu'il résulte des termes mêmes de la décision attaquée du 30 septembre 2014 que, pour infliger une sanction à M.B..., la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins s'est fondée, en premier lieu, sur ce que la matérialité des faits de prescription de préparations à base d'hormones thyroïdiennes et de transmission de ces ordonnances en Belgique en vue de l'importation de ces produits avait été constatée avec l'autorité absolue de chose jugée par le juge pénal ; qu'elle a jugé, en deuxième lieu, que les faits, ainsi établis, méconnaissaient l'interdiction fixée par la décision du 17 mai 2006 du directeur de l'AFSSAPS ; qu'elle en a, enfin, déduit que la méconnaissance d'une telle décision était, sans que M. B...puisse utilement contester la légalité d'une interdiction qui s'imposait à lui, constitutive d'une violation de ses obligations déontologiques découlant notamment des articles R. 4127-8, R. 4127-39 et R. 4127-40 du code de la santé publique ;

Sur le refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 4127-8 du code de la santé publique : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. (...) ", qu'aux termes de l'article R. 4127-39 du même code : " Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé " ; qu'aux termes, enfin, de son article R. 4127-40 : " Le médecin doit s'interdire, dans les investigations et interventions qu'il pratique comme dans les thérapeutiques qu'il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié " ; qu'il résulte de ces dispositions, qui ont pour objet d'assurer la sauvegarde des intérêts de la santé publique, que le fait, pour un praticien, de méconnaître une interdiction de prescription ou d'importation de médicament édictée par l'autorité compétente dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, dont la légalité ne peut être contestée devant le juge ordinal et peut seulement faire l'objet, le cas échéant, d'un recours devant le juge administratif de droit commun, constitue pour ce praticien une faute professionnelle, de nature à justifier l'application à son encontre d'une sanction disciplinaire ;

5. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité que la chambre disciplinaire nationale a refusé de transmettre au Conseil d'Etat est relative à la conformité aux droits et libertés garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen des dispositions des articles L. 5311-2, L. 5312-1 et L. 5312-2 du code de la santé publique ;

6. Considérant que ces articles, dans leur rédaction applicable à l'espèce, déterminent les missions d'expertise qui, à la date des faits, incombaient à l'AFSSAPS et fixent les pouvoirs de police confiés, à la même époque, au directeur général de cette agence ; que s'ils constituent ainsi la base légale de la décision d'interdiction de prescription et d'importation de préparations à bases d'hormones thyroïdiennes prise le 17 mai 2006 par le directeur général de l'agence, ils ne constituent pas, en revanche, le fondement des poursuites disciplinaires engagées contre M.B..., lesquelles reposent exclusivement sur la méconnaissance par l'intéressé des obligations déontologiques découlant, dans sa pratique professionnelle, de l'existence d'une interdiction de prescription fixée par l'autorité compétente en matière de police des produits de santé ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions des articles L. 5311-2, L. 5312-1 et L. 5312-2 du code de la santé publique ne peuvent être regardées, au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, comme applicables au litige disciplinaire né de la plainte formée contre M.B... ; que ce motif, qui justifie le refus opposé par la chambre disciplinaire nationale de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.B..., doit être substitué au motif retenu par les juges du fond ;

Sur la sanction prononcée par la chambre disciplinaire nationale :

En ce qui concerne les faits reprochés :

8. Considérant qu'il résulte des termes de la décision attaquée que, ainsi qu'il a été dit au point 3, la chambre disciplinaire nationale s'est fondée sur les constatations de fait opérées par l'arrêt du 19 février 2014 de la cour d'appel de Paris, tant en ce qui concerne les actes de prescriptions de préparations à bases d'hormones thyroïdiennes qu'en ce qui concerne les actes de transmissions d'ordonnances à un laboratoire belge en vue de leur importation ; qu'il résulte toutefois de l'instruction du pourvoi de M. B...devant le Conseil d'Etat que, postérieurement à la décision de la chambre disciplinaire nationale, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, par un arrêt du 24 mars 2015, partiellement annulé l'arrêt du 19 février 2014, au motif que le délit de commercialisation ou de distribution de médicament, spécialité pharmaceutique, générateur, trousse ou précurseur sans autorisation de mise sur le marché réprimé par l'article L. 5421-2 du code de la santé publique n'était pas applicable aux préparations magistrales ; que, par suite, les faits retenus par la décision attaquée au titre de l'autorité absolue de chose jugée par l'arrêt du 19 février 2014 de la cour d'appel de Paris ne peuvent légalement fonder son dispositif ;

9. Mais considérant qu'il ressort de manière constante des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B...a effectivement transmis, dans les conditions relevées par la cour d'appel de Paris et sur lesquelles s'est fondée la décision attaquée, des ordonnances médicales d'hormones thyroïdiennes à un laboratoire pharmaceutique belge pour permettre leur importation sur le territoire français ; que ce motif de pur fait, établi de manière certaine par le dossier soumis aux juges du fond et au demeurant reconnu par l'intéressé, qui justifie le dispositif de la décision attaquée, doit être substitué à celui tiré, par cette même décision, des seules énonciations de l'arrêt de la cour d'appel de Paris ;

En ce qui concerne la qualification de faute disciplinaire :

10. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en jugeant, d'une part, que le refus de M. B...de respecter, dans sa pratique médicale, les interdictions de prescription et d'importation imposées par la décision du directeur général de l'AFSSAPS du 17 mai 2006, revêtait le caractère d'une faute professionnelle et, d'autre part, que M. B...ne pouvait utilement contester sa faute en arguant de l'illégalité de la décision du directeur général de l'AFSSAPS, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ni commis d'erreur de droit ;

11. Considérant que, pour les mêmes raisons, elle n'a pas commis d'erreur de droit en appréciant la gravité de la faute commise par M. B...et en procédant, par suite, au choix de la sanction prononcée contre lui, sans rechercher si la décision du 17 mai 2006 était entachée d'illégalité ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 30 septembre 2014 par laquelle, de manière suffisamment motivée, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'il avait soulevée et lui a infligé une sanction d'interdiction d'exercer la médecine pendant trois mois ; que son pourvoi doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. B...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A...B...et au conseil départemental de la Ville de Paris de l'ordre des médecins.

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins, au Premier ministre et à la ministre des affaires sociales et de la santé.


Synthèse
Formation : 4ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 386144
Date de la décision : 18/01/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - VOIES DE RECOURS - CASSATION - POUVOIRS DU JUGE DE CASSATION - FACULTÉ DE SUBSTITUER UN MOTIF DE PUR FAIT TIRÉ DU CARACTÈRE CONSTANT DE FAITS AU MOTIF TIRÉ DU CONSTAT DE CES FAITS PAR LE JUGE PÉNAL - EXISTENCE.

54-08-02-03-015 Cas où le juge du fond s'est fondé sur l'autorité de chose jugée des constatations de fait opérées par le juge pénal et où le jugement pénal a ensuite été annulé. Le juge de cassation peut substituer, au motif retenu par les juges du fond, le motif de pur fait tiré du caractère constant des faits relevés, établi de manière certaine par le dossier soumis aux juges du fond.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ORDINALES - POUVOIRS DU JUGE DISCIPLINAIRE - MOYENS - MOYEN INOPÉRANT - MOYEN TIRÉ DE L'ILLÉGALITÉ D'UNE INTERDICTION DE PRESCRIPTION OU D'IMPORTATION DE MÉDICAMENT - À L'APPUI D'UN RECOURS CONTRE LA SANCTION INFLIGÉE EN RAISON D'UNE MÉCONNAISSANCE DE CETTE INTERDICTION [RJ1].

55-04-01-03 Il résulte des articles R. 4127-8, R. 4127-39 et R. 4127-70 du code de la santé publique que le fait, pour un praticien, de méconnaître une interdiction de prescription ou d'importation de médicament édictée par l'autorité compétente dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, dont la légalité ne peut être contestée devant le juge ordinal et peut seulement faire l'objet, le cas échéant, d'un recours devant le juge administratif de droit commun, constitue pour ce praticien une faute professionnelle, de nature à justifier l'application à son encontre d'une sanction disciplinaire.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - DISCIPLINE PROFESSIONNELLE - SANCTIONS - FAITS DE NATURE À JUSTIFIER UNE SANCTION - MÉDECINS - MÉCONNAISSANCE D'UNE INTERDICTION DE PRESCRIPTION OU D'IMPORTATION DE MÉDICAMENT - DONT LA LÉGALITÉ NE PEUT UTILEMENT ÊTRE CONTESTÉE DEVANT LE JUGE ORDINAL [RJ1].

55-04-02-01-01 Il résulte des articles R. 4127-8, R. 4127-39 et R. 4127-70 du code de la santé publique que le fait, pour un praticien, de méconnaître une interdiction de prescription ou d'importation de médicament édictée par l'autorité compétente dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire, dont la légalité ne peut être contestée devant le juge ordinal et peut seulement faire l'objet, le cas échéant, d'un recours devant le juge administratif de droit commun, constitue pour ce praticien une faute professionnelle, de nature à justifier l'application à son encontre d'une sanction disciplinaire.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, Section, 14 novembre 1958, Bouchereau, p. 559 ;

CE, 23 janvier 2013, M. Tarpin, n° 344706, inédite au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jan. 2017, n° 386144
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Sophie Baron
Rapporteur public ?: M. Frédéric Dieu
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2017:386144.20170118
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