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19/12/2016 | FRANCE | N°405108

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 19 décembre 2016, 405108


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret du 24 septembre 2016 par lequel le Président de la République a prononcé sa radiation des cadres par mesure disciplinaire ;

2°) d'enjoindre à l'administration de le rétablir sans délai, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble des fo

nctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il aurait pu être privé par le...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret du 24 septembre 2016 par lequel le Président de la République a prononcé sa radiation des cadres par mesure disciplinaire ;

2°) d'enjoindre à l'administration de le rétablir sans délai, rétroactivement si nécessaire, dans l'ensemble des fonctions, droits, prérogatives et autres intérêts dont il aurait pu être privé par les effets de la décision en cause, sous astreinte de 400 euros par jour de retard.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que le décret attaqué le prive de son traitement et de son logement (concédé par nécessité absolue de service) ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret litigieux ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que, d'une part, la radiation des cadres est disproportionnée aux motifs avérés qu'il a reconnus et pour lesquels une demande de sanction de première catégorie a été initiée, qu'il repose sur des affirmations erronées et qu'il n'a pas été reconnu coupable de consommation de cocaïne, fait reproché le plus grave ;

- le décret litigieux est entaché de vices de procédure, dès lors qu'il n'a pu prendre connaissance de la consignation de ses propos recueillis lors du conseil d'enquête qui a écarté à tort certaines pièces du dossier et que le décret invoque un motif supplémentaire qui n'apparaît pas sur l'ordre d'envoi devant le conseil d'enquête et sur lequel il n'a pu s'expliquer, en méconnaissance de l'article R. 4137-15 du code de la défense.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 et 14 décembre 2016, le ministre de la défense conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par le requérante ne sont pas fondés. Il soutient en outre que le requérant a été déclaré coupable des chefs de détention, transport et usage de cocaïne et condamné à 12 mois d'emprisonnement avec sursis et interdiction définitive d'exercer toute fonction publique. Il a été interjeté appel dudit jugement du tribunal correctionnel de Basse-Terre.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A...B..., d'autre part, le Premier ministre et le ministre de la défense ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 15 décembre 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... B... ;

- M. A...B... ;

- les représentants du ministre de la défense ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. En vertu des dispositions combinées des articles L. 4137-1 et L. 4137-2 du code de la défense, sans préjudice des sanctions pénales qu'ils peuvent entraîner, les fautes ou manquements commis par les militaires les exposent à des sanctions disciplinaires réparties en trois groupes qui sont, respectivement, pour le premier : l'avertissement, la consigne, la réprimande, le blâme, les arrêts et le blâme du ministre ; pour le deuxième : l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération, l'abaissement temporaire d'échelon et la radiation du tableau d'avancement ; enfin, pour le troisième : le retrait d'emploi et la radiation des cadres ou la résiliation du contrat.

3. Par le décret contesté du 24 septembre 2016, le Président de la République a, en application de ces dispositions, prononcé à l'encontre de M.B..., capitaine de la gendarmerie nationale, la radiation des cadres par mesure disciplinaire. Cette sanction est motivée par le fait que cet officier, en premier lieu, aurait consommé de la cocaïne de façon répétée pendant la période de juillet à novembre 2014, comme l'ont révélé trois analyses toxicologiques. En deuxième lieu, il aurait commis des négligences et manquements professionnels répétés en ne vérifiant pas la prise en compte de trois procédures (respectivement une commission rogatoire datant de septembre 2010 pour des faits d'association de malfaiteurs, de tentative de vol en réunion, un soit-transmis datant d'octobre 2011 pour des faits d'incendie d'une pelleteuse et d'une instruction ouverte en janvier 2013 relative à des faits de viol) par les directeurs d'enquêtes adjoints désignés après le départ de trois directeurs d'enquêtes. Il aurait eu, en outre, pleinement connaissance de ces affaires non traitées. En troisième lieu, il n'aurait pas transmis deux procédures aux autorités judiciaires en dépit de leurs réclamations. En quatrième lieu, il n'aurait pas transmis, à la date du mois de mai 2014, environ 45 titres de paiement relatifs au remboursement des frais de mission des personnels de la brigade, datant pour certains de 2013. Il aurait, par ailleurs, menti en affirmant avoir traité le dossier. En dernier lieu, il aurait reconnu à plusieurs reprises, comme l'ont confirmé les analyses toxicologiques précitées, avoir consommé, à forte dose et hors de toute prescription médicale, de la codéine, substance de nature à altérer son comportement durant son service. Cette consommation constituerait une circonstance aggravante des manquements professionnels énoncés précédemment.

4. Si le requérant fait valoir, en premier lieu, que la procédure devant le conseil d'enquête qui l'a entendu le 3 septembre 2016 serait irrégulière, il ressort des pièces du dossier que tous les griefs lui ont été notifiés préalablement, qu'il a pu discuter personnellement devant le conseil l'ensemble des fautes qui lui étaient reprochées et qu'il n'a pas été privé de son droit à s'expliquer complètement puisqu'il a lui-même évoqué devant le conseil sa consommation soutenue de codéine. Enfin, le décret attaqué ne se fonde nullement sur les mesures qu'aurait prises le requérant pour tenter de se soustraire aux expertises mentionnées ci-dessus. Dès lors, le moyen tiré de la violation des règles de procédure n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret du 22 septembre 2016.

5. En second lieu, si le requérant soutient que les traces de cocaïne retrouvées dans les expertises corporelles auxquelles il s'est soumis peuvent résulter de contaminations environnementales, il ressort des pièces du dossier, éclairées par les échanges lors de l'audience, que les trois expertises toxicologiques menées sur la personne du requérant ont révélé des concentrations de cocaïne très supérieures au seuil de positivité ainsi que l'a d'ailleurs constaté le tribunal correctionnel de Basse-Terre dans son jugement de décembre 2016 frappé d'appel. Et la circonstance qu'une instance pénale soit en cours à l'encontre de M. B...ne fait pas obstacle à ce que soit engagée à raison des mêmes faits une procédure disciplinaire, ni à ce que soit prononcée, pour les faits dont s'agit, une sanction disciplinaire, alors même que n'était pas terminée la procédure judiciaire.

6. En l'état de l'instruction, il ressort des pièces du dossier que M. B...a fait usage de cocaïne et, ainsi qu'il le reconnaît, de codéine. Il s'est donc procuré ces produits auprès de personnes qu'il connaissait et qu'il n'a pas dénoncées. Ces faits sont constitutifs de fautes de nature à justifier légalement le prononcé d'une sanction disciplinaire.

7. Même commis en dehors du service et alors que l'officier en cause n'avait antérieurement que suscité la considération de ses collègues et de sa hiérarchie, ces faits, eu égard à leur gravité et à leur incompatibilité avec la fonction de gendarme, spécialement lorsqu'il s'agit d'un officier devant montrer l'exemple et d'un officier affecté dans une circonscription où la lutte contre le trafic de stupéfiants constituait un axe majeur de sa responsabilité, constituent un manquement portant atteinte à la fonction et à l'image de la gendarmerie. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la sanction de révocation serait disproportionnée n'est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué.

8. N'est pas davantage de nature à faire naître un tel doute, la circonstance que les faits reprochés de négligence dans la transmission à l'autorité judiciaire des pièces relatives à certaines enquêtes ne seraient pas établis dès lors qu'à plusieurs reprises, les magistrats ont rappelé à la brigade de recherches d'Aix-en-Provence l'urgence à leur adresser ces documents.

9. Enfin le reproche tenant à la non transmission par M. B...à la compagnie de gendarmerie compétente de titres de paiement de remboursement de frais de mission des personnels de sa brigade n'est que surabondant par rapport au motif principal de la sanction tiré de la consommation de stupéfiants qui suffit à fonder le décret dont la suspension est demandée.

10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence de l'urgence, M. B...ne fait état d'aucun moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté. Dès lors, sa demande, y compris ses conclusions à fin d'injonction, doit être rejetée.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de la défense.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 405108
Date de la décision : 19/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2016, n° 405108
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 03/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:405108.20161219
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