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16/12/2016 | FRANCE | N°405599

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 décembre 2016, 405599


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Etat de suspendre la procédure de remise aux autorités italiennes dont il fait l'objet, de se déclarer responsable de sa demande d'asile et de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour à ce titre. Par une ordonnance n° 1605383 du 4 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a enjoint au préfet de l'Hérault, d'u

ne part, de suspendre sans délai la procédure de réadmission vers l'It...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Etat de suspendre la procédure de remise aux autorités italiennes dont il fait l'objet, de se déclarer responsable de sa demande d'asile et de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour à ce titre. Par une ordonnance n° 1605383 du 4 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a enjoint au préfet de l'Hérault, d'une part, de suspendre sans délai la procédure de réadmission vers l'Italie engagée à son encontre, d'autre part, de procéder, en sa qualité d'autorité de l'Etat français, dans un délai de 15 jours, à l'examen de sa situation au regard de l'exercice du droit d'asile selon la procédure normale, et, dans l'attente qu'il soit statué définitivement, de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour.

Par un recours, enregistré le 2 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'État, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions présentées par M. B...en première instance.

Il soutient que :

- la demande de première instance de M.B..., présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, est irrecevable dès lors qu'il ne pouvait demander la suspension de la procédure de réadmission que sur le fondement de l'article L. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la condition d'urgence n'est pas remplie ;

- le préfet n'a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de M. B...dès lors qu'aucune disposition n'impose à l'administration de rédiger une convocation dans la langue comprise par le demandeur ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation en ce qu'il a été considéré qu'il appartenait à l'administration de mettre en oeuvre en temps utile la décision de transfert, sans qu'elle ne puisse se prévaloir de ce que M. B...était en " fuite " au sens de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2016, M. B..., conclut au rejet du recours. Il soutient que la condition d'urgence est remplie et que les moyens soulevés par le ministre sont infondés.

Par un mémoire en intervention enregistré le 8 décembre 2016, La Cimade, demande au Conseil d'Etat de rejeter le recours du ministre ; elle fait siens les moyens présentés pour M. B...;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le règlement UE n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, M. B...et la Cimade ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 9 décembre 2016 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- le représentant de la Cimade ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

1. Considérant que la Cimade a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée ; que son intervention est, par suite, recevable ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.B..., de nationalité nigériane, déclare être entré en France le 5 octobre 2015 ; qu'il s'est présenté à la préfecture de l'Hérault, le 12 octobre 2015, pour y déposer une demande d'admission au séjour au titre de l'asile ; qu'après avoir constaté, au moyen du fichier " Eurodac ", que M. B...avait été identifié en Italie les 17 et 29 juin 2015, le préfet de l'Hérault a engagé une procédure de remise de l'intéressé aux autorités italiennes; qu'en raison de l'accord implicite des autorités italiennes à la demande de prise en charge, le préfet a, le 9 novembre 2015, pris un arrêté portant remise de M. B... à ces autorités ; que le tribunal administratif de Montpellier, saisi par M. B...sur le fondement de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, a annulé cet arrêté le 13 novembre 2015 ; qu'à la suite de cette annulation, le préfet a engagé une nouvelle procédure de réadmission ; que M. B...a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; que, par une ordonnance du 4 novembre 2016, ce dernier a enjoint au préfet de l'Hérault de suspendre sans délai la procédure de réadmission vers l'Italie engagée à son encontre et de procéder, dans un délai de 15 jours, à l'examen de sa situation au regard de l'exercice du droit d'asile selon la procédure normale et enfin, dans l'attente qu'il soit statué définitivement, de le mettre en possession d'une autorisation provisoire de séjour ; que le ministre de l'intérieur relève appel de cette ordonnance ;

Sur la recevabilité du recours :

4. Considérant, en premier lieu, que le préfet de l'Hérault a délivré le 8 décembre à M. B...un document intitulé " Attestation de demande d'asile - procédure normale " valant autorisation provisoire de séjour ; qu'il ne résulte toutefois pas de l'instruction et des informations données au cours de l'audience que, malgré sa dénomination, ce document aurait une autre portée que d'exécuter l'injonction prononcée par l'ordonnance attaquée dans l'attente de l'examen du recours du ministre ; qu'au demeurant ce document borne sa durée de validité à la notification de la présente ordonnance ; que le recours du ministre n'est dès lors pas privé d'objet ;

5. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 751-8 du code de justice administrative : " Lorsque la notification d'une décision du tribunal administratif ou de la cour administrative d'appel doit être faite à l'Etat (...) l'expédition doit dans tous les cas être adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige " ; que si le deuxième alinéa de cet article prévoit que lorsque le tribunal statue dans l'une des matières mentionnées à l'article R. 811-10-1, parmi lesquelles figurent l'entrée et le séjour des étrangers, la notification est adressée au préfet, cette dérogation ne s'applique, conformément à l'objet de l'article R. 811-10-1, que lorsque le préfet est compétent pour représenter l'Etat en appel ; qu'en application de l'article L. 523-1 du même code, l'appel des décisions rendues sur le fondement de l'article L. 521-2 est porté devant le Conseil d'Etat, où seul le ministre et non le préfet peut représenter l'Etat ; que, par suite, la notification des décisions rendues par le tribunal administratif en application de l'article L. 521-2 doit être adressée au ministre dont relève l'administration intéressée au litige ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier en date du 4 novembre 2016 n'a pas été notifiée au ministre de l'intérieur ; que, par suite, le délai de recours n'a pas couru et l'appel de ce ministre, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 2 décembre, n'est pas tardif ;

Sur les conclusions du recours :

7. Considérant que le paragraphe 1 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers l'Etat membre responsable doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 " ; que le paragraphe 2. de cet article prévoit que le transfert du demandeur d'asile vers le pays de réadmission doit se faire dans les six mois à compter de l'acceptation de la demande de reprise en charge et que ce délai peut être porté à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite " ;

8. Considérant que pour engager la nouvelle procédure de réadmission en Italie, le préfet de l'Hérault a délivré le 4 janvier 2016 à M.B..., qui l'a reçue en mains propres, une convocation à se présenter en préfecture le 1er février 2016, rendez-vous auquel l'intéressé ne s'est pas présenté ; qu'une seconde convocation aux mêmes fins lui a alors été adressée par voie postale, le 2 février 2016, pour se présenter en préfecture le 12 février 2016, dont il a accusé réception ; qu'il ne s'est pas non plus présenté à ce rendez-vous ; qu'estimant que l'intéressé pouvait être regardé comme ayant pris la fuite, le préfet de l'Hérault en a informé les autorités italiennes, en vue de la prorogation du délai de transfert sur le fondement de l'article 29.2 du règlement précité et a notifié par voie postale à M. B...un nouvel arrêté portant réadmission vers l'Italie, dont il a accusé réception le 25 mars 2016 ; que M. B...n'a pas contesté cet arrêté ;

9. Considérant qu'au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le préfet, a pu estimer en mars 2016 que M.B..., auquel la convocation remise le 4 janvier 2016 avait été traduite en anglais et accompagnée des brochures d'information dans la même langue et qui n'avait pas déféré à une convocation identique adressée le 2 février 2016, avait pris la fuite, au sens du règlement du 18 février 2013 ; qu'il a pu, par suite, en déduire la prorogation du délai de remise aux autorités italiennes ; que, dès lors, ce délai de remise de dix huit-mois n'était pas expiré lorsqu'à la suite de sa venue spontanée à la préfecture de l'Hérault M. B...a été convoqué le 14 novembre 2016 en vue de sa remise aux autorités italiennes ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision du préfet de l'Hérault d'ordonner la réadmission de M. B...vers l'Italie ne peut être regardée comme ayant porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Cimade est admise.

Article 2 : L'ordonnance n° 1605383 du 4 novembre 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est annulée.

Article 3 : La demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier est rejetée.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur, à M. A...B...et à la Cimade.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 405599
Date de la décision : 16/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 déc. 2016, n° 405599
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:405599.20161216
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