Vu la procédure suivante :
M. D...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution des arrêtés du 21 novembre 2016 par lesquels le préfet de Mayotte l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination, lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant un délai de trois ans et l'a placé en rétention administrative. Par une ordonnance n° 1600918 du 23 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'État, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance en tant qu'elle rejette sa demande tendant à la suspension de l'arrêté du 21 novembre 2016 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant l'Union des Comores pour pays de destination et lui interdisant de retourner pendant trois ans sur le territoire français ;
2°) de faire droit, dans cette mesure, à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté d'éloignement est immédiatement exécutoire et qu'il n'existe aucun recours suspensif ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de mener une vie privée et familiale normale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'intérêt supérieur de ses enfants protégé par l'article 3-1 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé, ne prend pas en compte sa situation personnelle au sens de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 5 décembre 2016, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) demande au Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... et le GISTI, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 7 décembre 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;
- la représentante de M.A... ;
- les représentants du GISTI ;
- les représentants du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
Sur l'intervention du Groupe d'information et de soutien des immigrés :
1. Le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), qui intervient au soutien des conclusions de la requête, justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance. Son intervention est, par suite, recevable.
Sur la demande de suspension :
2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale.".
3. M.A..., de nationalité comorienne, a fait l'objet de deux arrêtés du 21 novembre 2016 par lesquels le préfet de Mayotte, d'une part, l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé les Comores comme pays de destination et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de trois ans et, d'autre part, l'a placé en rétention administrative en vue de son éloignement. M. A...fait appel de l'ordonnance rendue le 23 novembre 2016 par le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en tant qu'elle a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 novembre 2016 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant l'Union des Comores pour pays de destination et lui interdisant de retourner pendant trois ans sur le territoire français.
Sur la condition d'urgence :
5. Aux termes du 3° de l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur à Mayotte, dans sa rédaction applicable aux décisions rendues à compter du 1er novembre 2016 : " 3° L'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office, si l'étranger a saisi le tribunal administratif d'une demande sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou non d'une audience publique en application du deuxième alinéa de l'article L. 522-1 du même code, ni, si les parties ont été informées d'une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande ". Cet article prévoit en son dernier alinéa que n'est, en conséquence, pas applicable à Mayotte l'article L. 512-3 de ce code, en vertu duquel l'obligation de quitter le territoire français ne peut faire l'objet d'une exécution d'office, si aucun délai n'a été accordé, avant que le tribunal administratif saisi d'une requête en annulation n'ait statué. Le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte ayant rejeté la demande de suspension formée par M.A..., sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, contre l'arrêté du 21 novembre 2016 l'obligeant à quitter sans délai le territoire français, fixant l'Union des Comores pour pays de destination et lui interdisant de retourner pendant trois ans sur le territoire français, les dispositions du 3° de l'article L. 514-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne s'opposent plus à ce que cet arrêté soit immédiatement exécuté, alors même que le requérant en a demandé l'annulation par une requête pendante devant le tribunal administratif de Mayotte. Par suite, ainsi que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte l'avait d'ailleurs jugé, M. A...satisfait, en l'état de l'instruction, à la condition d'urgence particulière exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Sur l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Pour prendre l'arrêté contesté obligeant M. A...à quitter le territoire français, le préfet de Mayotte s'est notamment fondé sur l'absence de démonstration par le requérant, d'une part, d'une résidence commune avec Mme E..., qui se trouve en situation régulière sur le territoire français et qui est la mère de son enfantB..., d'autre part, de sa contribution à l'entretien et à l'éducation de cet enfant.
7. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. A...justifie, par les documents qu'il produit, d'une résidence habituelle à Mayotte depuis 2008 au moins. L'acte de naissance de son filsB..., né le 20 mai 2010 à Mayotte, fait état d'une résidence commune avec la mère de cet enfant, Mme C...E.... Si le couple a été séparé pendant une période au cours de laquelle Mme E...a eu avec un ressortissant français un autre enfant, né le 28 août 2012, il a par la suite repris la vie commune, ainsi qu'en attestent notamment les avis d'impôt sur le revenu 2014 et 2015 des intéressés, qui font l'objet d'une imposition distincte car ils ne sont pas mariés civilement, mais religieusement depuis 2008. L'acte de naissance de leur fille Hayria, née à Mayotte le 4 mai 2016 et dont l'arrêté contesté ne fait pas mention, fait également apparaître une résidence commune. La communauté de vie est ainsi établie depuis 2008, abstraction faite de la période de séparation du couple, qui a cessé à la fin de l'année 2013, et nonobstant les changements d'adresse fréquents sur l'ensemble de la période. Indépendamment de l'existence de ce foyer, la participation de M. A...à l'entretien et à l'éducation de ses deux enfants est également établie par de nombreuses pièces versées au dossier, en particulier des attestations circonstanciées ainsi que, s'agissant du jeuneB..., les reçus de paiement délivrés en 2015 et 2016 par la caisse des écoles de la ville de Mamoudzou à M.A..., désigné en qualité de responsable légal de l'enfant. Il résulte enfin de l'instruction que le requérant participe également à l'éducation et à l'entretien de l'autre fils de MmeE..., El Habib, dont il apparaît d'ailleurs comme le responsable légal sur la fiche individuelle de renseignements éditée par le vice-rectorat de l'académie de Mayotte. Dans la mesure où les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant font obligation à l'autorité administrative d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant, il apparaît qu'en l'état de l'instruction, l'obligation faite à M. A...de quitter sans délai le territoire français, avec l'Union des Comores pour pays de destination, a porté et continue de porter une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de mener une vie privée et familiale normale, qui constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a, par l'ordonnance attaquée, rejeté ses conclusions tendant à la suspension de l'arrêté du 21 novembre 2016 en tant qu'il lui fait obligation de quitter sans délai le territoire français et fixe l'Union des Comores pour pays de destination ainsi que, par voie de conséquence, en tant qu'il lui interdit de revenir sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention du Groupe d'information et de soutien aux immigrés (GISTI) est admise.
Article 2 : L'ordonnance n° 1600918 du 23 novembre 2016 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée en tant qu'elle rejette la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 21 novembre 2016 du préfet de Mayotte obligeant M. A...à quitter sans délai le territoire français, fixant l'Union des Comores pour pays de destination et lui interdisant de retourner pendant trois ans sur le territoire français.
Article 3 : L'exécution de l'arrêté du 21 novembre 2016 du préfet de Mayotte obligeant M. A...à quitter sans délai le territoire français, fixant l'Union des Comores pour pays de destination et lui interdisant de retourner pendant trois ans sur le territoire français est suspendue.
Article 4 : L'Etat versera à M. A...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. D...A..., au Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI) et au ministre de l'intérieur.