Vu la procédure suivante :
Par une décision du 20 mars 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de la société Allianz IARD et de la société Allianz Vie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 15 de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 19 décembre 2012 portant extension d'accords et d'avenants examinés en sous-commission des conventions et accords du 6 décembre 2012, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de cassation se soit prononcée sur le pourvoi dirigé contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2014.
Par un arrêt n° 15-12276 et 15-12796 du 1er juin 2016, la Cour de cassation a statué sur ce pourvoi.
Les parties ont été invitées à indiquer au Conseil d'Etat quelles seraient les conséquences d'une annulation rétroactive de l'article 15 de l'arrêté du 19 décembre 2012.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par la décision du Conseil d'Etat du 20 mars 2015 ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le code du travail ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
- la décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 du Conseil constitutionnel ;
- l'arrêt C-25/14 et C-26/14 du 17 décembre 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Frédéric Puigserver, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de l'Institution de prévoyance du groupe Mornay - IPGM.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 novembre 2016, présentée pour Klesia prévoyance ;
1. En vertu de l'article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, les " garanties collectives dont bénéficient les salariés ", qui ont notamment pour objet, aux termes de l'article L. 911-2 du même code, de prévoir " la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité " en complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale, peuvent notamment être déterminées par voie de conventions ou d'accords collectifs. En vertu de l'article L. 911-3 du même code, ces accords peuvent être étendus dans les conditions prévues par le code du travail, sous réserve des dispositions spécifiques applicables lorsqu'ils ont pour objet exclusif la détermination de telles garanties collectives. En vertu de l'article L. 912-1 de ce code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, restée applicable au litige conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, ces accords peuvent prévoir une mutualisation des risques dont ils organisent la couverture auprès d'une entreprise régie par le code des assurances, d'une institution relevant du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale ou d'une mutuelle relevant du code de la mutualité, à laquelle adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de ces accords, sous réserve de comporter une clause fixant les conditions et la périodicité, ne pouvant excéder cinq ans, du réexamen des modalités d'organisation de la mutualisation des risques.
2. Par l'article 15 de l'arrêté attaqué du 19 décembre 2012, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a étendu l'accord collectif national du 8 décembre 2011 relatif au régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés, conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la pharmacie d'officine du 3 décembre 1997, qui a notamment pour objet de désigner l'Institution de prévoyance du groupe Mornay (IPGM) comme l'unique organisme gestionnaire de ce régime complémentaire de prévoyance, portant sur la couverture des risques décès, invalidité et incapacité de travail et le remboursements de frais de soins de santé.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation ".
4. Dans un arrêt C-25/14 et C-26/14 du 17 décembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé, s'agissant des prestations de services qui impliquent une intervention des autorités nationales, que l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne s'applique non pas à toute opération, mais uniquement à celles qui présentent un intérêt transfrontalier certain, du fait qu'elles sont objectivement susceptibles d'intéresser des opérateurs économiques établis dans d'autres États membres. Elle a dit pour droit que cette obligation de transparence s'oppose à l'extension, par un État membre, à l'ensemble des employeurs et des travailleurs salariés d'une branche d'activité, d'un accord collectif, conclu par les organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs salariés pour une branche d'activité, qui confie à un unique opérateur économique, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire obligatoire institué au profit des travailleurs salariés, sans que la réglementation nationale prévoie une publicité adéquate permettant à l'autorité publique compétente de tenir pleinement compte des informations soumises, relatives à l'existence d'une offre plus avantageuse.
5. En premier lieu, les prestations objet de l'avenant du 8 décembre 2011 peuvent être légalement proposées par des entreprises d'assurance établies dans d'autres Etats membres de l'Union européenne. L'extension de cet avenant donne vocation à l'organisme désigné à assurer durant cinq ans, pour l'ensemble des salariés cadres et assimilés des pharmacies d'officine, la couverture des risques décès, invalidité et incapacité de travail et le remboursement de frais de santé, en complément des prestations de la sécurité sociale. Il ressort de l'avis d'appel d'offres publié au Journal officiel de l'Union européenne le 28 avril 2011 que le montant estimé des cotisations s'élève à 43 266 000 euros hors taxes par an, calculé comme le montant des cotisations pour 2009 majoré de 5 %. Eu égard à l'importance des montants que représentent les cotisations des employeurs et des salariés à ce régime, à la taille nationale du marché considéré et à l'avantage que représente la désignation pour proposer d'autres services d'assurance, l'octroi du droit de gérer ce régime présente un intérêt transfrontalier certain. Par suite, l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne lui est applicable.
6. En second lieu, pour assurer le respect de l'obligation de transparence, l'autorité ministérielle, qui envisage d'étendre, en application de l'article L. 911-3 du code de la sécurité sociale, un accord collectif instituant un régime de prévoyance collective, conclu dans le cadre des articles L. 911-1 et L. 911-2 du même code, et désignant, conformément à l'article L. 912-1 du code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014, un unique organisme gestionnaire de ce régime, doit s'assurer que sa décision a été précédée d'un degré de publicité adéquat permettant, d'une part, une ouverture à la concurrence et, d'autre part, le contrôle de l'impartialité de la procédure d'attribution. Si l'obligation de transparence n'impose pas nécessairement de procéder à un appel d'offres pour sélectionner l'organisme gestionnaire du régime, il exige en revanche, lorsqu'un tel appel d'offres a été organisé afin de mettre en concurrence les entreprises et que l'avis d'appel à candidatures rendu public comporte les critères de sélection des offres et, le cas échéant, leurs modalités de mise en oeuvre, de respecter les règles ainsi posées au vu desquelles l'offre la plus avantageuse doit être sélectionnée.
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, par un avis d'appel d'offres publié le 28 avril 2011 au Journal officiel de l'Union européenne, les " entreprises d'assurance relevant du code des assurances, institutions de prévoyance relevant du titre III du livre IX du code de la sécurité sociale et mutuelles relevant du livre II du code de la mutualité " ont été invitées à présenter une offre pour la gestion du régime de prévoyance en cause. Selon les termes de cet avis, la gestion du régime serait attribuée à l'entreprise ayant présenté l'" offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères énoncés dans le cahier des charges ". Le cahier des charges imposait aux candidats d'apporter des réponses à des questions regroupées en quatre rubriques, relatives à l'activité et l'environnement du candidat, à sa solvabilité, à son expérience et au régime à assurer, les trois dernières faisant l'objet d'une notation assortie de pondérations figurant dans une " méthode de notation des candidats ". Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le choix de l'offre la plus avantageuse devait s'exercer sur le fondement de ces critères et de la méthode de notation rendus publics, au vu desquels les entreprises étaient appelées à présenter leurs offres.
8. Cependant, le même avis mentionnait également que les modalités d'organisation du marché " sont précisées par le protocole d'accord joint au dossier de candidature " et la note de présentation de l'appel d'offres remise aux candidats rappelait que le protocole d'accord du 18 avril 2011 relatif à l'organisation d'un appel d'offres en vue de désigner une ou plusieurs entreprises d'assurance chargées d'assurer le régime de prévoyance considéré, de même que l'accord collectif national étendu du 2 décembre 2009 relatif au régime de prévoyance des salariés cadres et assimilés de la pharmacie d'officine, faisaient partie du dossier de candidature. Par son arrêt du 16 octobre 2014, confirmé sur ce point par l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 1er juin 2016, la cour d'appel de Paris a interprété ces accords en ce sens que le choix final du ou des assureurs revenait aux seuls partenaires sociaux composant la commission paritaire nationale, qui n'étaient pas liés par la notation attribuée aux différentes offres. La cour d'appel a en conséquence estimé, eu égard au choix discrétionnaire que s'étaient réservés les partenaires sociaux, que ces derniers s'étaient conformés à leurs propres règles en choisissant l'offre de l'Institution de prévoyance du groupe Mornay, pourtant classée en troisième position à l'issue de la procédure d'appel d'offres.
9. Ainsi, eu égard à la contradiction entre, d'une part, les critères clairement énoncés par l'avis d'appel d'offres lui-même, ainsi que leurs conditions de mise en oeuvre, qui devaient normalement conditionner le choix de l'offre la plus avantageuse et, d'autre part, le choix discrétionnaire que se réservaient les partenaires sociaux, par le renvoi de cet avis aux stipulations des accords du 2 décembre 2009 et du 18 avril 2011, la publicité assurée avant la conclusion de l'accord du 8 décembre 2011 n'a pas permis d'assurer le respect des exigences de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
10. D'autre part, l'article D. 2261-3 du code du travail prévoit que l'adoption d'un arrêté d'extension doit être précédée de la publication au Journal officiel de la République française d'un avis, qui indique le lieu où l'accord a été déposé et invite les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations dans un délai de quinze jours. Toutefois, en l'absence de disposition explicite ou de pratique en ce sens, les opérateurs ne pouvaient raisonnablement envisager que le ministre chargé du travail refuse l'extension sollicitée par les signataires de l'accord au motif qu'une offre plus avantageuse aurait été portée à sa connaissance. Dans ces conditions, ni la mise à disposition du public de l'avenant, ni la publication au Journal officiel de la République française le 9 février 2012 de l'avis prévu par l'article D. 2261-3 du code du travail, ne peuvent, même prises ensemble, être regardées comme une publicité adéquate permettant au ministre de tenir compte de l'existence d'une offre plus avantageuse. Dans ces conditions, la décision du ministre chargé du travail n'a pas été précédée d'une publicité de nature à assurer le respect des exigences découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
11. Par suite, les sociétés requérantes sont fondées à soutenir, par un moyen utilement soulevé, que le ministre chargé du travail ne pouvait, sans méconnaître l'obligation de transparence, procéder à l'extension de l'accord collectif en cause.
12. Il résulte de ce qui précède que la société Allianz IARD et la société Allianz Vie sont fondées à demander l'annulation de l'article 15 de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 19 décembre 2012 portant extension d'accords et d'avenants examinés en sous-commission des conventions et accords du 6 décembre 2012.
Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :
13. Dans son arrêt du 17 décembre 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les effets de cet arrêt ne concernent pas les accords collectifs portant désignation d'un organisme unique pour la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire ayant été rendus obligatoires par une autorité publique pour l'ensemble des employeurs et des travailleurs salariés d'une branche d'activité avant la date de prononcé de cet arrêt, sans préjudice des recours juridictionnels introduits avant cette date. Elle a précisé au point 52 de son arrêt que le maintien des effets des décisions d'extension en cause au principal se justifiait, essentiellement, au regard de la situation des employeurs et des travailleurs salariés qui ont souscrit, sur le fondement des conventions collectives étendues en cause, un contrat de prévoyance complémentaire s'inscrivant dans un contexte social particulièrement sensible et qui ont ainsi conclu des engagements contractuels leur accordant des garanties de prévoyance complémentaire en se fondant sur une situation juridique que la Cour n'a précisée, en ce qui concerne la portée concrète de l'obligation de transparence découlant de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, que dans cet arrêt. Dès lors, eu égard à ces motifs, il y a lieu de différer l'annulation de l'article 15 de l'arrêté attaqué au 1er juillet 2017 et de prévoir que les effets des dispositions annulées doivent être regardés comme définitifs y compris pour la période restant à courir, sous réserve des actions contentieuses mettant en cause des actes pris sur son fondement, engagées avant l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, soit le 17 décembre 2015.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Allianz IARD et à la société Allianz Vie d'une somme de 1 500 euros chacune. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de la société Allianz IARD et de la société Allianz Vie, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 15 de l'arrêté du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 19 décembre 2012 portant extension d'accords et d'avenants examinés en sous-commission des conventions et accords du 6 décembre 2012 est annulé. Cette annulation prendra effet le 1er juillet 2017.
Article 2 : Les effets produits antérieurement au 1er juillet 2017 par les dispositions de l'article 15 de l'arrêté du 19 décembre 2012 doivent être réputés définitifs, sous réserve des actions contentieuses mettant en cause des actes pris sur son fondement engagées avant le 17 décembre 2015.
Article 3 : L'Etat versera à la société Allianz IARD et à la société Allianz Vie une somme de
1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de Klesia prévoyance, de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, de la Fédération nationale du personnel d'encadrement des industries chimiques et connexes (CFE-CGC), de la Fédération nationale de la pharmacie (Force ouvrière), de la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et sociaux (CFTC) et de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Allianz IARD, à la société Allianz Vie et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Copie en sera adressée à Klesia prévoyance, à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, à la Fédération nationale du personnel d'encadrement des industries chimiques et connexes (CFE-CGC), à la Fédération nationale de la pharmacie (Force ouvrière), à la Fédération nationale des syndicats chrétiens des services de santé et sociaux (CFTC) et à l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine.