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28/11/2016 | FRANCE | N°404994

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 28 novembre 2016, 404994


Vu la procédure suivante :

Mme D...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer un document de voyage pour son enfantA... G... -C..., dans le délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte passé ce délai de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1609015 du 28 octobre 2016, le juge des référés du tribunal admini

stratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire ...

Vu la procédure suivante :

Mme D...C...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer un document de voyage pour son enfantA... G... -C..., dans le délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte passé ce délai de 100 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1609015 du 28 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 12 et 21 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la situation familiale et financière de la requérante est instable, précaire et néfaste pour l'enfant ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ainsi qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant, garanti par les stipulations de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990, ainsi qu'à son droit de mener une vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2016, le ministre des affaires étrangères et du développement international soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme C..., d'autre part, le ministre des affaires étrangères et du développement international et le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 22 novembre 2016 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- MmeC... ;

- Me Gaschignard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MmeC... ;

- les représentants du ministre des affaires étrangères et du développement international;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que Mme C...a obtenu le 12 juillet 2013 un agrément en vue d'adoption délivré par le président du conseil général de Seine-Maritime. Le 9 décembre 2013, elle a régulièrement engagé devant les autorités judiciaires de la République de Côte d'Ivoire une procédure en vue d'adopter l'enfant A...G..., de nationalité ivoirienne, né le 3 mai 2013 à Youpougon de père inconnu et de MmeE..., celle-ci ayant préalablement consenti à l'adoption de son enfant. Par un jugement rendu le 28 février 2014 devenu définitif, le tribunal de première instance d'Abidjan Plateau a prononcé l'adoption simple de l'enfant par Mme C.... Le 12 mai 2015, le ministre de la famille F...a autorisé l'enfant A...G...-C... à rejoindre sa mère adoptive en France. Toutefois, le consul général de France à Abidjan puis le ministre des affaires étrangères et du développement international ont refusé de délivrer le visa long séjour adoption demandé par Mme C...en faveur de son fils adoptif. Ces refus ont été suspendus par le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative en vertu de deux ordonnances respectivement en date des 19 avril et 27 juin 2016. L'administration persistant à ne pas faire droit à la demande de visa formée par Mme C..., celle-ci a alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer en faveur de son fils adoptif tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national, dans un délai de sept jours. Par une ordonnance n°1609015 du 28 octobre 2016, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande. Mme C...relève appel de cette ordonnance.

3. Il résulte de l'instruction que, faute d'avoir obtenu un visa permettant à son fils adoptif de venir en France et faute de pouvoir maintenir celui-ci sur le sol ivoirien compte tenu notamment de l'impossibilité de le confier à sa mère biologique ou à la famille de celle-ci, Mme C...a, avec l'accord des autorités ivoiriennes, transféré le jeune A...au Maroc à la fin du mois de décembre 2015. L'enfant y réside depuis lors, confié à la garde du compagnon de sa mère adoptive, M.B..., qui se charge de pourvoir à ses besoins quotidiens. MmeC..., elle-même tenue de conserver son activité professionnelle en France afin de pouvoir assumer financièrement l'éducation de son fils adoptif, rend visite à celui-ci environ toutes les trois semaines. Compte tenu de son état pulmonaire, la santé du jeune A...G...-C... est précaire et appelle un suivi médical régulier en pédiatrie. Quant à M.B..., qui se charge seul de pourvoir aux besoins quotidiens de l'enfant au Maroc en l'absence de tout soutien familial dans ce pays, il est lui-même, ainsi qu'en témoignent des certificats médicaux produits au dossier de l'instruction, atteint de troubles de santé sérieux, dont il n'est pas établi qu'ils peuvent être pris en charge sur place. Si M. B...devait se trouver, de manière inopinée, dans l'impossibilité de s'occuper du jeuneA..., cet enfant, qui n'est âgé que de trois ans et demi, resterait seul et sans aucun proche pour en assumer la charge. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances propres à l'espèce que la demande de Mme C...satisfait à la condition d'urgence particulière exigée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

4. Le ministre des affaires étrangères et du développement international soutient que les conditions dans lesquelles l'enfant a été adopté pourraient ne pas avoir été en tout point conformes aux principes régissant l'adoption internationale, résultant notamment de la convention de la Haye relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale. Toutefois, à la date de l'adoption, cette convention n'était pas en vigueur en Côte d'Ivoire. Il résulte par ailleurs de l'instruction, ainsi qu'il a été dit au point 2, que l'adoption a été prononcée avec l'accord de la mère biologique de l'enfant, MmeE..., par un jugement devenu définitif. Quant à la reconnaissance de l'enfant, il n'est pas établi qu'elle soit intervenue avant le 3 mai 2013, date de sa naissance. La circonstance, à la supposer établie, que Mme C...ne se serait pas intégralement conformée en 2013 et 2014 aux dispositions de droit français régissant l'adoption est sans incidence sur l'obligation faite à l'autorité administrative, par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Maintenir pour une durée indéterminée le jeune A...éloigné de sa mère adoptive contreviendrait à l'intérêt supérieur de cet enfant en bas âge et porterait une atteinte disproportionnée aux droits que Mme C...tient de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il suit de là que dans les circonstances particulières de l'espèce la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, doit être regardée comme remplie.

5. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer à l'enfant A...G...-C..., à titre provisoire et jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur l'instance engagée devant la juridiction administrative à la suite du refus opposé à la demande de visa formée par Mme C...pour son fils adoptif, tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national afin d'y rejoindre sa mère adoptive. Ce document provisoire sera délivré dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu, en l'état, d'assortir cette injonction d'une astreinte. L'Etat versera une somme de 3 000 euros à Mme C...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 28 octobre 2016 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des affaires étrangères et du développement international de délivrer à l'enfant A...G...-C..., à titre provisoire et jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur l'instance engagée devant la juridiction administrative à la suite du refus opposé à la demande de visa formée par Mme C...pour son fils adoptif, tout document de voyage lui permettant d'entrer sur le territoire national. Ce document provisoire sera délivré dans un délai de sept jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D...C...et au ministre des affaires étrangères et du développement international.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 404994
Date de la décision : 28/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 nov. 2016, n° 404994
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:404994.20161128
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