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16/11/2016 | FRANCE | N°404790

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 16 novembre 2016, 404790


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de suspendre l'exécution de l'arrêté du 22 juillet 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans la commune de Trégueux, avec l'obligation de se présenter deux fois par jour au commissariat de police de Saint-Brieuc les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et de demeurer, tous les jours, de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il rÃ

©side. Par une ordonnance n° 1604256 du 28 septembre 2016, le juge des réf...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rennes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de suspendre l'exécution de l'arrêté du 22 juillet 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence dans la commune de Trégueux, avec l'obligation de se présenter deux fois par jour au commissariat de police de Saint-Brieuc les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et de demeurer, tous les jours, de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il réside. Par une ordonnance n° 1604256 du 28 septembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2016, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'écarter des débats, avant dire droit, tous les éléments du dossier afférents aux commentaires et documents trouvés sur sa page Facebook au cours de la perquisition administrative réalisée le 10 décembre 2015, notamment la note blanche pages 2 à 6, ou d'ordonner la cancellation de la note blanche et tout autre élément provenant de l'exploitation des données du compte Facebook ou d'autres données informatiques saisies au cours de la perquisition administrative du 10 décembre 2015 ;

3°) de faire droit à sa demande de première instance ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Sevaux, Mathonnet de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- les copies de données informatiques réalisées au cours de la perquisition du 10 décembre 2015, ainsi que leur exploitation, sont illégales en application de la décision QPC n° 2016-536 du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel ;

- la condition d'urgence est remplie ;

- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir ainsi qu'à sa liberté personnelle ;

- l'arrêté contesté est illégal dès lors qu'il repose sur des commentaires et documents dont la présence a été constatée sur sa page Facebook ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il repose sur des éléments qui ne sont ni précis ni circonstanciés, et qui sont sérieusement contestés ;

- il est disproportionné dès lors que ces éléments ne sauraient justifier la mesure d'assignation à résidence ;

- il porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir dès lors qu'aucun élément nouveau n'a été avancé par l'administration depuis le premier arrêté d'assignation à résidence en date du 14 janvier 2016.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 novembre 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code pénal ;

- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;

- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;

- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;

- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;

- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 8 novembre 2016 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- M.A... ;

- M.C... ;

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de MM. C... etA... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction à mardi 15 novembre 2016 à 18 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. En application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain, puis prorogé successivement, pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015, pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016, par l'article unique de la loi du 19 février 2016, pour une durée de deux mois à compter du 26 mai 2016, par l'article unique de la loi du 20 mai 2016 et pour une durée de six mois, par l'article 1er de la loi du 21 juillet 2016, à compter de l'entrée en vigueur de celle-ci. ;

3. Aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 20 novembre 2015 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que, sur le fondement des dispositions citées au point 3, M. B...a fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence le 14 janvier 2016, l'astreignant à résider sur le territoire de la commune de Trégeux, à se présenter deux fois par jour à 9 heures et 17 heures au commissariat de police de Saint-Brieuc, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés et chômés, et de demeurer, tous les jours, de 20 heures à 6 heures, dans les locaux où il réside. L'assignation à résidence de M.A..., ainsi définie, a été renouvelée les 24 février, 24 mai et 22 juillet 2016. Par un arrêté du 20 octobre 2016, le périmètre de l'assignation à résidence a été élargi à la commune de Saint-Brieuc. M. A...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 juillet 2016. Par une ordonnance du 28 septembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. M. A...relève appel de cette ordonnance.

En ce qui concerne la condition d'urgence :

5. Aux termes du second alinéa de l'article 14-1 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 21 juillet 2016 : " La condition d'urgence est présumée satisfaite pour le recours juridictionnel en référé formé contre une mesure d'assignation à résidence ". Aucun des éléments que le ministre de l'intérieur, qui ne la conteste pas, a fait valoir, dans ses écritures et au cours de l'audience publique, ne conduit à remettre en cause, au cas d'espèce, la présomption d'urgence ainsi instituée par la loi.

En ce qui concerne la condition tenant à l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l'intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, ou dans la détermination des modalités de l'assignation à résidence. Le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte.

7. Il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur s'est appuyé,, pour prendre la décision d'assignation à résidence litigieuse, sur les éléments mentionnés dans une " note blanche " des services de renseignement versée au débat contradictoire ainsi que sur les résultats de la perquisition qui a été effectuée le 10 décembre 2015 au domicile du frère du requérant où ce dernier résidait qui l'ont conduit à estimer qu'il existait des raisons sérieuses de penser que M. A...constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics. Il ressort de ceux de ces éléments qui ont été repris dans les motifs de l'arrêté litigieux, que M. A...appartient à un groupe de convertis radicalisés évoluant dans le même environnement familial, qu'il en est le membre le plus violent, que le 20 juin 2015, il a été interpellé en compagnie d'autres membres de ce groupe avec lesquels ils s'apprêtaient à mener une expédition punitive à l'encontre de sa compagne au motif qu'elle était également la compagne d'une autre personne avec laquelle elle avait tenté de partir en Syrie, enfin que, lors de la perquisition administrative menée le 10 décembre 2015, un drapeau noir a été découvert dans sa chambre, dans son ordinateur, des messages de soutien à l'Etat islamique et, dans son véhicule, une réplique d'arme automatique.

8. Le requérant demande que les éléments extraits de son ordinateur, à savoir les captures d'écran de certaines pages de son " compte Facebook " soient mis à l'écart des pièces du dossier. Il soutient, pour ce faire, qu'ils ont été recueillis dans le cadre d'une opération effectuée sur le fondement des dispositions du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 aux termes duquel " Il peut être accédé, par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement terminal dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d'accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support " et dont le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution celles de la seconde phrase, dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016. Il résulte de l'instruction que la perquisition administrative, qui a été effectuée le 10 décembre 2015 sur le fondement de dispositions alors en vigueur dès lors que la déclaration d'inconstitutionnalité de la seconde phrase du troisième alinéa du paragraphe I de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la loi du 20 novembre 2015 a pris effet à compter de la date de la publication de la décision du 19 février 2016, a conduit au recueil d'éléments de fait qui ont été portés à la connaissance du ministre de l'intérieur. Dans ces conditions, celui-ci n'a pas commis d'illégalité manifeste en fondant, dans l'exercice de son pouvoir de police administrative, son appréciation du risque de menace pour la sécurité et l'ordre publics, sur ces éléments, qui ont été versés au dossier et contradictoirement discutés dans le cadre de la présente instance. Il résulte de ce qui précède que la demande tenant à ce que ces éléments soient mis à l'écart des pièces du dossier doit, en tout état de cause, être rejetée.

9. M.A..., s'il admet être l'auteur des messages d'insulte à l'égard des soldats français engagés en Syrie et du signal approuvant le message d'un tiers réprouvant de manière ironique la minute de silence en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, soutient que ces réactions, qu'il regrette aujourd'hui, s'expliquent par le choc émotionnel qu'ont provoqué ces attentats. Il conteste, plus généralement, l'ensemble des affirmations du ministre de l'intérieur en particulier, l'existence d'un groupe de convertis ainsi que la violence et la conception de l'islam qui lui sont prêtées. En dépit des attestations produites par M.A..., il ne résulte pas de l'instruction que les conclusions que le ministre a tirées de la découverte, dans la chambre et le véhicule de l'intéressé, d'un drapeau noir et d'une réplique d'une arme automatique ainsi que des messages extraits de son compte Facebook doivent être regardées comme utilement remises en cause.

10. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en renouvelant l'assignation à résidence de M. A...et en la maintenant jusqu'à ce jour, au motif qu'il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement de l'intéressé constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir.

11. Il résulte de ce qui précède que M A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes. a rejeté sa demande. Son appel, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doit donc être rejeté.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 404790
Date de la décision : 16/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 16 nov. 2016, n° 404790
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SEVAUX, MATHONNET

Origine de la décision
Date de l'import : 17/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:404790.20161116
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