Vu la procédure suivante :
La Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par lequel le président du conseil général de la Vendée a rejeté sa demande tendant à ce qu'il s'abstienne d'installer tout élément de culte dans les locaux de l'hôtel de ce département durant la période des fêtes de la fin de l'année 2012. Par un jugement n° 1211647 du 14 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande que lui avait présentée la Fédération de la libre pensée de Vendée.
Par un arrêt n° 14NT03400 du 13 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel formé par le département de la Vendée, a annulé ce jugement, rejeté la demande présentée en première instance par la Fédération de la libre pensée de Vendée et rejeté le surplus des conclusions présentées devant elle.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 13 décembre 2015, 21 janvier et 15 février 2016, la Fédération de la libre pensée de Vendée demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 14NT03400 du 13 octobre 2015 de la cour administrative d'appel de Nantes ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge du département de la Vendée une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Iljic, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Fédération de la libre pensée de Vendée et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat du département de la Vendée ;
Considérant ce qui suit :
1. L'intervention de l'association EGALE, qui tend à ce que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions du pourvoi, a été enregistrée le 26 octobre 2016, soit postérieurement à la clôture de l'instruction. Cette intervention, qui, au surplus, n'a pas été présentée par le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, n'est, par suite, pas recevable.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une lettre du 3 septembre 2012, le président de la Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au président du conseil général de la Vendée de s'abstenir de procéder à l'installation de tout élément de culte, notamment d'une crèche de Noël, dans les locaux du conseil général, durant la période des fêtes de la fin de l'année 2012. Une crèche ayant néanmoins été installée dans le hall de l'hôtel du département durant le mois de décembre 2012, la Fédération de la libre pensée de Vendée a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président du conseil général de procéder à cette installation. Par un jugement du 14 novembre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à sa demande. Par un arrêt du 13 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes, faisant droit à l'appel formé par le département de la Vendée, a annulé ce jugement. La Fédération de la libre pensée de Vendée se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
3. Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ". La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat crée, pour les personnes publiques, des obligations, en leur imposant notamment, d'une part, d'assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes, d'autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et des services publics à l'égard des cultes, en particulier en n'en reconnaissant ni n'en subventionnant aucun. Ainsi, aux termes de l'article 1er de cette loi : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public " et, aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ". Pour la mise en oeuvre de ces principes, l'article 28 de cette même loi précise que : " Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions ". Ces dernières dispositions, qui ont pour objet d'assurer la neutralité des personnes publiques à l'égard des cultes, s'opposent à l'installation par celles-ci, dans un emplacement public, d'un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d'un culte ou marquant une préférence religieuse. Elles ménagent néanmoins des exceptions à cette interdiction. Ainsi, est notamment réservée la possibilité pour les personnes publiques d'apposer de tels signes ou emblèmes dans un emplacement public à titre d'exposition. En outre, en prévoyant que l'interdiction qu'il a édictée ne s'appliquerait que pour l'avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l'entrée en vigueur de la loi.
4. Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s'agit en effet d'une scène qui fait partie de l'iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s'agit aussi d'un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d'année.
5. Eu égard à cette pluralité de significations, l'installation d'une crèche de Noël, à titre temporaire, à l'initiative d'une personne publique, dans un emplacement public, n'est légalement possible que lorsqu'elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d'un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l'existence ou de l'absence d'usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. A cet égard, la situation est différente, selon qu'il s'agit d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique ou d'un service public, ou d'un autre emplacement public.
6. Dans l'enceinte des bâtiments publics, sièges d'une collectivité publique ou d'un service public, le fait pour une personne publique de procéder à l'installation d'une crèche de Noël ne peut, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, être regardé comme conforme aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques.
7. A l'inverse, dans les autres emplacements publics, eu égard au caractère festif des installations liées aux fêtes de fin d'année notamment sur la voie publique, l'installation à cette occasion d'une crèche de Noël par une personne publique est possible, dès lors qu'elle ne constitue pas un acte de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse.
8. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Nantes s'est fondée sur la circonstance que la crèche installée dans le hall du conseil général de la Vendée s'inscrivait dans le cadre de la préparation de la fête familiale de Noël pour estimer qu'elle ne constituait pas, en l'absence de tout élément de prosélytisme ou de revendication d'une opinion religieuse, un signe ou emblème religieux contraire à l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et au principe de neutralité des personnes publiques. En statuant de la sorte sans rechercher si cette installation résultait d'un usage local ou s'il existait des circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, la cour administrative d'appel de Nantes a entaché son arrêt d'erreur de droit.
9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la Fédération de la libre pensée de Vendée est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Vendée une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la Fédération de la libre pensée de Vendée, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association EGALE n'est pas admise.
Article 2 : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 13 octobre 2015 est annulé.
Article 3 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 4 : Le département de la Vendée versera à la Fédération de la libre pensée de Vendée une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par le département de la Vendée sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de la libre pensée de la Vendée, au département de la Vendée et au ministre de l'intérieur.