Vu la procédure suivante :
L'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France (ADDH-CCIF) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 août 2016 du maire de la commune de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) portant interdiction d'accès aux plages et de baignade à toute personne n'ayant pas une tenue correcte. Par une ordonnance n° 1603706 du 12 septembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Par une requête, enregistrée le 19 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Cagnes-sur-Mer le versement de la somme de 1 euro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle est recevable à solliciter la suspension de l'exécution de l'arrêté municipal contesté ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors, d'une part, que l'arrêté contesté a vocation à s'appliquer jusqu'au 15 octobre 2016, d'autre part, que l'ADDH - CCIF a tenté d'obtenir sans succès le retrait de la mesure déférée par la voie de la médiation ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle ;
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 34 de la Constitution, l'article 225-1 du code pénal et l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2016, la commune de Cagnes-sur-Mer conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée au ministère de l'intérieur, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France, d'autre part, la commune de Cagnes-sur-Mer ainsi que le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 septembre 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- les représentants de l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France ;
- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Cagnes-sur-Mer ;
et à l'issue de laquelle l'instruction a été close ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'est constituée une situation d'urgence particulière, justifiant qu'il se prononce dans de brefs délais, le juge des référés peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale.
2. Le maire de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) a pris, le 24 août 2016, un arrêté prévoyant notamment, à son article 1er, que " l'accès aux plages publiques et à la baignade sur la commune de Cagnes-sur-Mer est interdit [...] à toute personne n'ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes moeurs et de la laïcité, respectant les règles d'hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime ". Il a ainsi entendu interdire le port de tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse lors de la baignade et sur les plages.
3. L'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France (ADDH-CCIF) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice de suspendre cet arrêté sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande par une ordonnance du 12 septembre 2016, dont l'association relève appel.
4. En vertu de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé, sous le contrôle administratif du préfet, de la police municipale qui, selon l'article L. 2212-2 de ce code, " a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ". L'article L. 2213-23 dispose en outre que : " Le maire exerce la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés...Le maire réglemente l'utilisation des aménagements réalisés pour la pratique de ces activités. Il pourvoit d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours. Le maire délimite une ou plusieurs zones surveillées dans les parties du littoral présentant une garantie suffisante pour la sécurité des baignades et des activités mentionnées ci-dessus. Il détermine des périodes de surveillance... ".
5. Si le maire est chargé par les dispositions citées au point 4 du maintien de l'ordre dans la commune, il doit concilier l'accomplissement de sa mission avec le respect des libertés garanties par les lois. Il en résulte que les mesures de police que le maire d'une commune du littoral édicte en vue de réglementer l'accès à la plage et la pratique de la baignade doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées au regard des seules nécessités de l'ordre public, telles qu'elles découlent des circonstances de temps et de lieu, et compte tenu des exigences qu'impliquent le bon accès au rivage, la sécurité de la baignade ainsi que l'hygiène et la décence sur la plage. Il n'appartient pas au maire de se fonder sur d'autres considérations et les restrictions qu'il apporte aux libertés doivent être justifiées par des risques avérés d'atteinte à l'ordre public.
6. Il résulte de l'instruction que le maire de Cagnes-sur-Mer a pris l'arrêté litigieux pour prévenir les troubles à l'ordre public susceptibles de se produire compte tenu de l'état de tension révélé, selon lui, après les attentats de Nice du 14 juillet 2016 et de Saint-Etienne-du-Rouvray du 26 juillet 2016, par l'altercation verbale, survenue le 23 août 2016 sur l'une des plages de la commune, entre une famille, dont deux membres portaient des costumes de bain communément dénommés " burkinis ", et d'autres usagers de la plage. Aucun autre trouble n'a été invoqué, notamment lors de l'audience orale. L'incident qui a entraîné l'intervention de l'arrêté litigieux n'est cependant pas susceptible, compte tenu de sa nature et, au demeurant, de sa gravité limitée, malgré la proximité des attentats de Nice et le maintien de l'état d'urgence, de faire apparaître des risques avérés de troubles à l'ordre public de nature à justifier légalement la mesure d'interdiction contestée. Dans ces conditions, le maire ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs de police, édicter des dispositions qui interdisent l'accès à la plage et la baignade aux personnes portant des tenues manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse. L'arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle. Les conséquences de l'application de telles dispositions sont en l'espèce constitutives d'une situation d'urgence qui justifie que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il y a donc lieu d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 12 septembre 2016 et d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du maire de Cagnes-sur-Mer en date du 24 août 2016.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif contre l'islamophobie en France. Il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Cagnes-sur-Mer, en application de ces dispositions, la somme que demande l'association requérante.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice en date du 12 septembre 2016 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'arrêté du maire de Cagnes-sur-Mer en date du 24 août 2016 est suspendue.
Article 3 : Les conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Association de défense des droits de l'homme - Collectif de lutte contre l'islamophobie en France, à la commune de Cagnes-sur-Mer et au ministre de l'intérieur.