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06/09/2016 | FRANCE | N°401828

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 06 septembre 2016, 401828


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 26 juillet et 26 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Global Patrimoine Investissement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 7 juin 2016 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 500 000 euro

s et l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements finan...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 26 juillet et 26 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Global Patrimoine Investissement demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 7 juin 2016 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 500 000 euros et l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant une durée de trois ans et, d'autre part, ordonné la publication de cette décision sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers ;

2°) d'enjoindre à l'Autorité des marchés financiers, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de retirer de son site internet cette décision ou, à titre subsidiaire, d'insérer sur ce site une mention indiquant que la décision du 7 juin 2016 a été suspendue ;

3°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête en annulation de la décision litigieuse ressortit à la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'amende prononcée à son encontre est d'un montant tel qu'il entraînera son dépôt de bilan et sa liquidation, que la mesure d'interdiction la prive de la possibilité d'exercer son activité principale, que la publication de la décision litigieuse porte une atteinte irrémédiable à sa réputation et à son image et qu'aucun intérêt public ne fait obstacle à la mesure de suspension sollicitée ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ;

- la décision contestée est entachée d'un vice d'incompétence, d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique, dès lors qu'aucun conseil en investissements financiers n'a été prodigué s'agissant du produit Girardin Industriel et du produit dénommé " France Energies Rendement 7 % " et que les prescriptions du code monétaire et financier et du règlement général de l'Autorité des marchés financiers encadrant l'exercice de cette activité étaient, par suite, inapplicables ;

- en tout état de cause, le grief tiré de l'existence de plusieurs informations inexactes et/ou trompeuses dans différents supports à destination des prospects et clients, en méconnaissance des prescriptions de l'article 325-5 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, est infondé ;

- cette décision méconnaît le principe général des droits de la défense ainsi que le principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnaît les principes de légalité des peines et des délits, de non rétroactivité de la loi pénale la plus sévère et de sécurité juridique ;

- la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a omis de prendre en compte, dans l'établissement de la sanction financière, le deuxième critère visé par le cinquième alinéa du III de l'article L. 612-5 du code monétaire et financier, relatif aux avantages et profits éventuellement tirés des manquements par la personne mise en cause et a déterminé la quantum de cette sanction en fonction du montant des souscriptions, critère qui est à la fois extra legem et contra legem ;

- la publication immédiate et illimitée dans le temps de la décision contestée méconnaît les articles 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les droits au respect de la vie privée, à un procès équitable et à un recours effectif et le principe de la présomption d'innocence constitutionnellement garantis ;

- la sanction litigieuse méconnaît le principe de proportionnalité des peines.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2016, l'Autorité des marchés financiers conclut :

- à titre principal, au rejet de la requête ;

- à titre subsidiaire, pour le cas où le caractère disproportionné de la mesure de publication de la décision de la commission des sanctions serait retenu, à ce qu'il lui soit seulement enjoint d'insérer sur son site internet une mention indiquant que la décision a été suspendue en tant qu'elle concerne la société Global Patrimoine Investissement ;

- à ce qu'il soit mise à la charge de la société Global Patrimoine Investissement la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'Autorité soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code monétaire et financier ;

- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la société Global Patrimoine Investissement, d'autre part, l'Autorité des marchés financiers ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 29 août 2016 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Sureau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la société Global Patrimoine Investissement ;

- Me Ohl, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Autorité des marchés financiers ;

- les représentants de l'Autorité des marchés financiers ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er septembre 2016, présentée pour la société Global Patrimoine Investissement ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 septembre 2016, présentée pour l'Autorité des marchés financiers ;

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée Global Patrimoine Investissement (GPI), créée en 2010 et dont la dénomination commerciale est " Legendre Patrimoine ", a fait l'objet d'une enquête ouverte le 25 novembre 2013 par l'Autorité des marchés financiers sur le fondement de l'article L. 621-9 du code monétaire et financier. Au terme de cette enquête, le collège de l'Autorité a, le 30 avril 2015, décidé de notifier des griefs à la société. Par une décision du 7 juin 2016, la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a, d'une part, prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 500 000 euros et une sanction disciplinaire d'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant une durée de trois ans et, d'autre part, ordonné la publication de cette décision sur le site internet de l'Autorité. La société GPI demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. En premier lieu, le I de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier définit les conseillers en investissements financiers comme les personnes exerçant à titre de profession habituelle, notamment, le conseil en investissement mentionné au 5. de l'article L. 321-1. Le II de l'article L. 541-1 précise que ces conseillers peuvent également exercer d'autres activités de conseil en gestion de patrimoine. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a relevé que le produit Girardin porte sur la souscription d'actions de sociétés par actions simplifiées, qui constituent des titres en capital émis par elles et sont donc des instruments financiers au sens de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier. Elle a estimé que la description de l'activité de la société GPI faite par sa principale actionnaire et son président révélait que la recommandation de réaliser la souscription de ce produit, adaptée ou fondée sur l'examen de leur situation propre, était adressée, à leur demande, à des investisseurs potentiels, ce qui caractérise le service de conseil en investissement défini au 5. de l'article D. 321-1 du code monétaire et financier, précisé par l'article 314-43 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers. La commission a ensuite considéré que les diligences effectuées par la société GPI pour obtenir d'investisseurs potentiels la souscription du produit dénommé " France Energies Rendement 7 % ", qui porte sur l'acquisition de parts de sociétés en participation qui ne figurent pas sur la liste des instruments financiers dressée par l'article L. 211-1 du code monétaire et financier, participaient d'une activité de conseil en gestion de patrimoine et relevaient, par suite, des " autres activités de gestion du patrimoine " qu'un conseiller en investissements financiers peut exercer, en application du II de l'article L. 541-1 du même code. C'est par une motivation surabondante que la décision relève qu'au surplus, divers éléments confortent cette qualification de conseiller en investissements financiers, comme l'immatriculation de la société GPI en tant que telle et son adhésion à l'association nationale des conseils financiers - conseils en investissements financiers (ANACOFI-CIF). Ainsi, le moyen tiré de ce que la commission des sanctions de l'Autorité a entaché sa décision d'incompétence, d'une erreur de droit et d'une erreur de qualification juridique en estimant que la société GPI avait prodigué un conseil en investissements financiers manque en fait s'agissant du produit dénommé " France Energies Rendement 7 % " et n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée s'agissant du produit Girardin.

4. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que les éléments retenus par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers ne suffisent pas à caractériser un manquement par la société GPI aux prescriptions de l'article 325-5 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, relatif au caractère exact, clair et non trompeur des informations délivrées par un conseiller en investissements financiers, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

5. En troisième lieu, dès lors que les éléments retenus par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à caractériser l'exercice par la société GPI d'une activité de conseiller en investissements financiers au sens de l'article L. 541-1 du code monétaire et financier, le moyen tiré de ce que, faute d'une preuve suffisante de l'existence d'une telle activité, la décision contestée méconnaît le principe général des droits de la défense ainsi que le principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 6 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

6. En quatrième lieu, dans la mesure où c'est à l'issue de l'analyse de l'activité spécifique de la société GPI que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a conclu à l'exercice habituel d'un conseil en investissements financiers, le moyen tiré de ce qu'en qualifiant ainsi, de façon générale, la pratique des mandats de recherche, la décision contestée méconnaît les principes de légalité des peines et des délits, de non rétroactivité de la loi pénale la plus sévère et de sécurité juridique n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

7. En cinquième lieu, aux termes du cinquième alinéa, devenu sixième alinéa du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier : " Le montant de la sanction et le montant de la majoration sont fixés en fonction de la gravité des manquements commis et en fonction des avantages ou des profits éventuellement tirés de ces manquements ". Ces dispositions n'interdisent pas à l'autorité disciplinaire de prononcer une sanction pécuniaire en l'absence d'avantages ou de profits tirés des manquements constatés. Par ailleurs, il ressort des termes mêmes de la décision contestée que c'est pour apprécier la gravité des manquements retenus contre la société GPI, et non pour déterminer le quantum de la sanction pécuniaire prononcée à son encontre, que la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a tenu compte du montant de la collecte réalisée par cette société au titre des souscriptions des produits Girardin et " France Energies Rendement 7 % ". Ainsi, le moyen tiré de ce que la décision contestée aurait été prise en méconnaissance des dispositions du III de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

8. En sixième lieu, les exigences du recours effectif, du droit à un procès équitable et du principe de la présomption d'innocence n'impliquent pas que l'effet d'une sanction prononcée par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers soit différé à l'issue des recours juridictionnels dirigés contre celles-ci, y compris lorsque cette sanction est assortie d'une publication. Il est au demeurant loisible aux personnes faisant l'objet d'une telle sanction, comportant une mesure de publication, de former un recours en annulation et d'en demander la suspension. Par suite, le moyen tiré de ce que la publication immédiate et illimitée dans le temps de la décision contestée méconnaîtrait les articles 6, 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que les droits à un procès équitable et à un recours effectif et le principe de la présomption d'innocence, constitutionnellement garantis, ainsi, en tout état de cause, que le droit au respect de la vie privée, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

9. En septième et dernier lieu, eu égard à la gravité des manquements relevés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers et aux éléments versés au dossier quant à la situation économique et financière de la société GIP, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait le principe de proportionnalité des peines n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de cette décision.

10. Aucun des moyens soulevés ne paraissant, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, la demande de la société GPI tendant à la suspension de l'exécution de cette décision doit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition tenant à l'existence d'une situation d'urgence, être rejetée. La présente ordonnance n'appelant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction présentées par la société requérante ne peuvent qu'être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Autorité des marchés financiers, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'Autorité des marchés financiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la société Global Patrimoine Investissement est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Autorité des marchés financiers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Global Patrimoine Investissement et à l'Autorité des marchés financiers.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 401828
Date de la décision : 06/09/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 06 sep. 2016, n° 401828
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP OHL, VEXLIARD

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401828.20160906
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