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27/07/2016 | FRANCE | N°401465

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 juillet 2016, 401465


Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet du Nord en date du 1er octobre 2015 portant remise aux autorités allemandes, sur le fondement des dispositions des articles L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

3°) d'ordonner au préfet du Nord,

à titre principal, de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile et, à titre sub...

Vu la procédure suivante :

Mme A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de l'admettre à l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet du Nord en date du 1er octobre 2015 portant remise aux autorités allemandes, sur le fondement des dispositions des articles L. 531-1 et L. 531-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

3°) d'ordonner au préfet du Nord, à titre principal, de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de quinze jours maximum, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) d'ordonner au préfet du Nord de lui procurer un hébergement adapté à sa situation et à celle de ses enfants et de pourvoir aux conditions de son accueil en qualité de demandeur d'asile, dans un délai de 24 heures, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son avocat de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à charge pour son avocat de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.

Par une ordonnance n° 1604585 du 28 juin 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, en premier lieu, admis Mme B...à l'aide juridictionnelle à titre provisoire, en deuxième lieu, enjoint au préfet du Nord de réexaminer la demande d'admission au séjour au titre de l'asile dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, en dernier lieu, enjoint au préfet d'indiquer à Mme B..., dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de son ordonnance, un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir avec ses enfants, sous astreinte de 250 euros par jour de retard.

Par un recours, enregistré le 13 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'annuler cette ordonnance ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions de la requête formée par Mme B... en première instance.

Il soutient que :

- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que, d'une part, Mme B..., en premier lieu, n'a pas introduit de recours en excès de pouvoir dans le délai de recours contentieux en vue de contester les arrêtés du 1er juillet et du 1er octobre 2015 portant respectivement refus d'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile et remise d'un demandeur d'asile aux autorités allemandes responsables de l'examen de la demande d'asile, en deuxième lieu, n'a pas déféré aux deux convocations des 23 novembre et 14 décembre 2015 délivrées par la préfecture l'informant et mettant en place son transfert jusqu'en Allemagne et, en dernier lieu, a tardé à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er octobre 2015 et que, d'autre part, cet arrêté a été confirmé par deux fois par le juge des référés du tribunal administratif de Lille, saisi par MmeB..., sur le fondement de l'article L. 521-2 puis L. 521-1 du code de justice administrative ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur de droit en ce que, d'une part, elle retient l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale alors que Mme B...s'est soustraite intentionnellement et systématiquement au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement la concernant et que, d'autre part, elle a méconnu les dispositions de l'article R. 742-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que le règlement (UE ) n° 604/2013 pour caractériser la carence des autorités administratives dans la prise en charge de l'hébergement de la famille de Mme B... sans tenir compte de la situation de l'hébergement des demandeurs d'asile dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais ;

- l'arrêté contesté ne porte pas d'atteinte grave et manifestement illégale à l'exercice du droit d'asile et à l'intérêt supérieur de l'enfant dès lors que, d'une part, il n'a pas pu aggraver l'état de santé et, en particulier, les difficultés d'ordre psychologique, dont souffrirait Mme B...et que, d'autre part, il n'a pas pour effet de séparer celle-ci de ses enfants.

Vu les pièces du dossier desquelles il ressort que le recours a été communiqué à MmeB... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur, d'autre part, Mme B...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 juillet 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Poupot, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au lundi 25 juillet à 15 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 22 juillet 2016, présenté par le ministre de l'intérieur qui conclut aux mêmes fins que son recours, par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 juillet 2016, présenté pour Mme B... ;

Vu :

- la Constitution et notamment son préambule et l'article 53-1 ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Le droit d'asile constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

2. Mme A...B..., ressortissante congolaise, née le 27 juillet 1979 à Kinshasa en République démocratique du Congo, a déposé le 23 juin 2015 à la préfecture du Nord une demande d'admission au séjour au titre de l'asile. Le 1er juillet 2015, le préfet du Nord a refusé son admission au séjour sur le fondement du 1° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur. Saisies le 10 août 2015 d'une demande de prise en charge en application de l'article 12.4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, les autorités allemandes ont donné leur accord le 11 septembre 2015. Par un arrêté du 1er octobre 2015, le préfet du Nord a décidé la remise de Mme B... aux autorités allemandes. Les 23 novembre et 24 décembre 2015, Mme B...et ses enfants ont été convoqués aux services de la police aux frontières de Lille mais ne se sont pas présentés. Le préfet, ayant considéré que l'intéressée avait pris la fuite, a prorogé le délai de son transfert vers l'Allemagne pour une durée de six mois, à compter du 31 mars 2016, en application de l'article 29 du règlement précité du 26 juin 2013. Par une ordonnance du 22 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet du Nord d'indiquer à MmeB..., dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de la présente ordonnance, un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir avec ses enfants. Par une ordonnance du 2 mai 2016, le même juge, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a rejeté la demande de Mme B...tendant, d'une part, à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 1er octobre 2015 et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au préfet du Nord, à titre principal, de l'admettre au séjour en qualité de demandeur d'asile et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation, dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par l'ordonnance contestée du 28 juin 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a, d'une part, enjoint au préfet du Nord de réexaminer la demande d'admission au séjour de l'asile présentée par Mme B...dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et, d'autre part, enjoint au préfet de lui indiquer, dans un délai de soixante-douze heures à compter de la notification de l'ordonnance, un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir avec ses enfants, sous astreinte de 250 euros par jour de retard. Le ministre de l'intérieur demande l'annulation de cette ordonnance.

3. Le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul Etat membre. Cet Etat est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre. Selon le même règlement, l'application des critères d'examen des demandes d'asile est écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 1 de l'article 17 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un Etat membre, soit de la clause humanitaire définie par le paragraphe 2 de ce même article 17 du règlement. Le paragraphe 2 de cet article prévoit en effet qu'un Etat membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, " rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ". La mise en oeuvre par les autorités françaises de l'article 17 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : " les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ".

4. Il résulte de l'instruction, des débats au cours de l'audience publique et des compléments apportés après celle-ci lors de la prolongation de l'instruction décidée par le juge des référés que, même si des incertitudes subsistent sur le parcours suivi par Mme B... pour entrer en France, un visa lui avait précédemment été délivré par les autorités allemandes, qui ont accepté de la prendre en charge, avec ses trois enfants. En ne se rendant pas, à deux reprises, aux convocations qui lui avaient été adressées, l'intéressée s'est délibérément soustraite à l'exécution de sa réadmission vers l'Allemagne. Si elle connaît des difficultés de santé, des soins équivalents à ceux qu'elle reçoit en France peuvent lui être délivrés en Allemagne. Le début de scolarisation de ses enfants en France, qui découle de l'inexécution délibérée de la réadmission, ne suffit pas à caractériser une situation qui ferait obstacle à celle-ci. Dans ces conditions, en refusant l'admission sur le territoire de Mme B... en application de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur, le préfet du Nord n'a porté une atteinte grave et manifestement illégale ni aux obligations qu'impose le respect du droit d'asile ni au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B...et de ses enfants.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et le rejet de la demande présentée par Mme B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Lille en date du 28 juin 2016 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par MmeB... devant le juge des référés du tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à Mme A...B....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 401465
Date de la décision : 27/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 jui. 2016, n° 401465
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:401465.20160727
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