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25/07/2016 | FRANCE | N°400777

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 25 juillet 2016, 400777


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juin et 18 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision rejetant implicitement sa demande tendant à l'édiction des mesures réglementaires prévues au 4° de l'article 726 du code de procédure pénale dans sa

version issue de l'article 11 de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 ;

2°) d'en...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 juin et 18 juillet 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision rejetant implicitement sa demande tendant à l'édiction des mesures réglementaires prévues au 4° de l'article 726 du code de procédure pénale dans sa version issue de l'article 11 de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 ;

2°) d'enjoindre, au besoin sous astreinte, au Premier ministre de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a un intérêt à agir ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'absence d'édiction du décret empêche l'entrée en vigueur des dispositions législatives et fait obstacle à la mise en oeuvre des droits que ces dispositions énoncent ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision implicite contestée ;

- la décision est manifestement entachée d'illégalité en ce que le Premier ministre a méconnu l'obligation de prendre les mesures nécessaires à l'application des lois ;

- le refus du Premier ministre est également illégal en ce qu'il est contraire au principe constitutionnel des droits de la défense.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 juillet 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la Section française de l'Observatoire international des prisons ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 18 juillet 2016, l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de la requête et conclut à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle se réfère aux moyens exposés dans la requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale, notamment son article L. 726 ;

- la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014, notamment son article 11 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Section française de l'Observatoire international des prisons et l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), d'autre part, le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 20 juillet 2016 à 9 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Sureau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons et de l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus ;

- les représentantes de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

1. Considérant que l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus a un intérêt à la suspension de l'exécution de la décision contestée ; que son intervention est par suite recevable ;

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; qu'il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence ; que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

3. Considérant qu'aux termes du 4° de l'article 726 du code de procédure pénale, dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales : " Le régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté est déterminé par un décret en Conseil d'Etat./Ce décret précise notamment : (...) 4° La procédure disciplinaire applicable, au cours de laquelle la personne peut être assistée par un avocat choisi ou commis d'office, en bénéficiant le cas échéant de l'aide de l'Etat pour l'intervention de cet avocat "; que sur ce fondement, les articles R. 57-7-5 et suivants du code de procédure pénale, créés par un décret du 23 décembre 2010, ont défini les différentes caractéristiques de la procédure disciplinaire applicable aux personnes détenues ; que l'article 11 de la loi citée ci-dessus a complété le 4° de l'article 726 pour prévoir que le décret qui définit la procédure disciplinaire " détermine les conditions dans lesquelles le dossier de la procédure disciplinaire est mis à sa disposition et celles dans lesquelles l'avocat, ou l'intéressé s'il n'est pas assisté d'un avocat, peut prendre connaissance de tout élément utile à l'exercice des droits de la défense, sous réserve d'un risque d'atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes " ; que l'association requérante conclut à la suspension du rejet opposé implicitement à sa demande, présentée le 22 décembre 2015, que soit pris ce décret ;

4. Considérant que pour établir que l'exécution de la décision litigieuse crée une situation d'urgence, l'association requérante fait valoir qu'au-delà de la généralité des termes employés par le législateur, la modification du code de procédure pénale opérée en 2014 a pour but essentiel, ainsi qu'en attestent les travaux parlementaires, de rendre possible l'accès par une personne détenue mise en cause dans une procédure disciplinaire aux enregistrements des systèmes de vidéosurveillance installés dans l'établissement pénitentiaire ; qu'en l'état actuel du droit, faute de dispositions règlementaires adaptées, il n'est pas possible aux détenus auxquels il est envisagé d'infliger une sanction disciplinaire, d'avoir accès à ces enregistrements, souvent seuls susceptibles de venir utilement étayer leur défense ; que ne donnent en effet réellement cette possibilité ni le droit d'accès, direct ou indirect, à ces enregistrements, ménagé en application des règles fixées par la loi 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui est trop restrictif et ouvert selon des délais incompatibles avec ceux régissant la procédure disciplinaire, ni l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale, selon lequel " le dossier de la procédure est mis à disposition " de la défense, qui est sans portée lorsque, comme c'est très majoritairement le cas, la procédure disciplinaire n'est pas engagée à partir de ces enregistrements ; qu'eu égard au grand nombre de sanctions quotidiennement prononcées, à l'atteinte substantielle aux droits de la défense qu'emporte cette impossibilité d'accès et à la circonstance que plus de deux années se sont écoulées depuis l'entrée en vigueur de la modification du code de procédure pénale, il y a donc urgence au sens des dispositions citées ci-dessus de l'article L.521-1 du code de justice administrative ;

5. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3 les dispositions règlementaires relatives à la procédure disciplinaire applicable aux personnes détenues qu'appelait nécessairement l'article 726 du code de procédure pénale ont été prises, en dernier lieu en 2010 ; qu'il en résulte que si la procédure a été engagée à partir notamment des enregistrements de vidéoprotection, ceux-ci font partie du dossier de cette procédure, lequel doit être mis à disposition de la personne détenue ou de son avocat ; que dans le cas où la procédure n'a pas été engagée à partir de ces enregistrements ou en y faisant appel, il appartient à la personne détenue ou à son avocat, s'ils le jugent utiles au besoin de la défense et si ces enregistrements existent, de demander à y accéder ; qu'un refus ne saurait être opposé à de telles demandes au motif de principe que le visionnage de ces enregistrements serait susceptible en toute circonstance de porter atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes ;

6. Considérant que s'il ressort des pièces du dossier ainsi que des informations échangées au cours de l'audience qu'un projet de décret en préparation et les nouveaux moyens techniques dont disposeront les établissements pénitentiaires devraient faciliter le recours à la videoprotection dans le cadre des procédures disciplinaires, il n'apparaît toutefois pas en l'état de l'instruction que le respect du principe constitutionnel du respect des droits de la défense, qu'a rappelé le législateur dans la modification apportée par la loi du 27 mai 2014 au code de procédure pénale, soit conditionné par la publication de ce décret ; qu'il n'est pas non plus établi, en l'absence de données précises sur ce point, que la mise en oeuvre de ce principe ait été entravée par l'absence de dispositions réglementaires adéquates et pour ce seul motif ; qu'au demeurant, selon les informations données au cours de l'audience, le projet de décret envisagé devrait être prochainement transmis au Conseil d'Etat ; qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances, et sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence de moyens de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, que la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie ; qu'il y a lieu, par suite, de rejeter la requête y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus est admise.

Article 2 : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons, à l'association d'avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 400777
Date de la décision : 25/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 jui. 2016, n° 400777
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:400777.20160725
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