Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 22 juin 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...E..., M. F...-C... D...et M. C... B...demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors, d'une part, que les dispositions du décret contesté entreront en vigueur le 1er août 2016 et, d'autre part, que l'application de ces dispositions aura pour conséquence d'obliger tous les commissaires-priseurs atteints par la limite d'âge à cesser leurs fonctions sans qu'il leur soit laissé un délai raisonnable pour exercer leur droit de présentation afin d'organiser la transmission de leur office sans perturber le fonctionnement du service public ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret méconnaît le principe de sécurité juridique en ce que, d'une part, il porte une atteinte brutale à des situations légalement acquises et que, d'autre part, les dispositions transitoires prévues par le décret ne permettent pas d'atténuer cette brutalité à l'égard de ceux qui auront soixante-et-onze ans le 1er août 2016 ;
- il porte atteinte au droit de propriété et au droit au respect des biens garantis par les dispositions des articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en empêchant, en l'absence de mesures transitoires, les commissaires-priseurs ayant atteint la limite d'âge d'exercer leur droit de présentation dans des conditions normales ;
- il est contraire aux principes d'égalité devant les charges publiques et d'égalité devant la loi, en ce que, d'une part, il réduit substantiellement la valeur patrimoniale des offices et que, d'autre part, il introduit une différence de traitement injustifiée entre les commissaires-priseurs à raison de leur âge ;
- il méconnaît le principe de non discrimination à raison de l'âge garanti par le droit de l'Union européenne, et notamment la directive du Conseil n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 dans la mesure où, en l'absence de dispositions transitoires, il contraint les professionnels concernés a cessé leur activité sans avoir eu le temps de prendre les mesures, notamment de nature économique et financière, qu'une telle situation nécessite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté.
Par une mesure d'instruction supplémentaire, le juge des référés a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, le 28 juin 2016, de produire une étude d'impact sur l'instauration de la limite d'âge de la profession de commissaire-priseur judiciaire ou tout élément en tenant lieu précisant le nombre de professionnels de plus de 68, 69, 70 et 71 ans ainsi qu'une évaluation du nombre de professionnels susceptibles de se porter acquéreurs d'offices ;
Par un mémoire en réplique, enregistré le 29 juin 2016, M.E..., M. D... et M. B... maintiennent les conclusions de leur requête et les mêmes moyens.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. E..., M. D... et M. B...et, d'autre part, le Premier ministre et le garde des sceaux, ministre de la justice ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 28 juin 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. E..., de M. D...et de M. B...;
- les représentants du garde des sceaux, ministre de la justice ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction jusqu'au 6 juillet 2016 à 12 heures ;
Vu la mesure d'instruction supplémentaire par laquelle le juge des référé a, lors de l'audience publique, demandé au garde des sceaux, ministre de la justice, de produire des éléments relatifs, en premier lieu, à la situation démographique des commissaires-priseurs judiciaires, en deuxième lieu, au dispositif de la suppléance des officiers publics et ministériels et, en troisième lieu, aux délais de traitement d'un dossier de cession par les services de la Chancellerie ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 juillet 2016, par lequel M. E..., M. D... et M. B...précisent qu'ils concluent à ce que le juge des référés ordonne la suspension de l'exécution des dispositions du décret contesté en tant qu'elles sont prises pour déterminer les modalités d'application de l'article 55 de la loi du 5 août 2016 fixant la limite d'âge pour exercer la profession de commissaires-priseurs et le régime de l'autorisation pour continuer d'exercer leurs fonctions jusqu'à ce que le Conseil d'Etat ait statué sur la requête au fond dont il est saisi, et persistent dans leurs conclusions accessoires ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 juillet 2016, par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, produit les éléments demandés dans le cadre du supplément d'instruction et persiste dans ses écritures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive du Conseil n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 ;
- le code des relations entre l'administration et le public ;
- la loi du 28 avril 1816 modifiée sur les finances ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- l'ordonnance du 26 juin 1816 ;
- l'ordonnance n° 45-2593 du 2 novembre 1945 ;
- l'ordonnance n° 2016-727 du 2 juin 2016 ;
- l'ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 ;
- le décret n° 55-604 du 20 mai 1955 ;
- le décret n° 73-541 du 19 juin 1973 ;
- le décret n°75-770 du 14 août 1975 ;
- le code de justice administrative ;
1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;
2. Considérant que l'article 55 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques instaure une limite d'âge à l'exercice de la profession de commissaire-priseur judiciaire et modifie en conséquence l'ordonnance du 26 juin 1816 établissant, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commissaires-priseurs judiciaires dans les villes chefs-lieux d'arrondissement, ou qui sont le siège d'un tribunal de grande instance, et dans celles qui, n'ayant ni sous-préfecture ni tribunal, renferment une population de cinq mille âmes et au-dessus, en y insérant un article 1-1-2 qui dispose que " les commissaires-priseurs judiciaires cessent leurs fonctions lorsqu'ils atteignent l'âge de soixante-dix ans. Sur autorisation du ministre de la justice, ils peuvent continuer d'exercer leurs fonctions jusqu'au jour où leur successeur prête serment, pour une durée qui ne peut excéder douze mois " ; que le II de l'article 55 de la loi du 6 août 2015 précise que ces dispositions entrent en vigueur le premier jour du douzième mois suivant celui de sa promulgation ; qu'en application de ces dispositions, l'article 10 du décret du 20 mai 2016 relatif aux officiers publics et ministériels insère, après le titre IV du décret du 19 juin 1973, un titre IV bis précisant que " (...) Le délai de douze mois prévu pour la prolongation d'activité court à compter du soixante-dixième anniversaire de l'intéressé " ; que l'article 9 de ce décret modifie l'article 1-2 de l'ordonnance du 26 juin 1816 et prévoit que " Les suppressions d'offices ne peuvent intervenir qu'à la suite : 1° Du décès, de la démission ou de la destitution de leur titulaire / 2° De l'atteinte, par leur titulaire, de la limite d'âge fixée pour l'exercice des fonctions de commissaire-priseur judiciaire ou, le cas échéant, de l'expiration de l'autorisation de prolongation d'activité prévue par les l'article 1-1-2 de la présente ordonnance / 3° Si le titulaire de l'office est une société, de sa dissolution. " ; que l'article 12 du décret du 20 mai 2016 modifie également le décret du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels et à certains auxiliaires de justice en remplaçant l'article 5 par les dispositions suivantes : " la gestion des offices publics et ministériels dépourvus de titulaire, notamment en raison du décès ou de la démission, volontaire ou d'office, de celui-ci, de la survenance de la limite d'âge ou, le cas échéant, de l'expiration de l'autorisation de prolongation d'activité délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice, est provisoirement assurée par un ou plusieurs suppléants. Il en est de même lorsque le titulaire est temporairement empêché, par cas de force majeure, d'exercer ses fonctions. " ; qu'enfin, l'article 16 du décret du 20 mai 2016 prévoit à titre transitoire que " Par dérogation aux dispositions des articles 58-1 du décret n° 73 -609 du 5 juillet 1973 susvisé, 37 du décret n° 75-770 du 14 août 1975 susvisé et 35-1 du décret n° 73-541 du 19 juin 1973 susvisé, les notaires, huissiers de justice et commissaires-priseurs judiciaires nés entre le 2 août 1945 et le 1er octobre 1946 peuvent solliciter l'autorisation de prolongation d'activité jusqu'au 30 septembre 2016. Ils bénéficient, jusqu'à cette date, d'une autorisation de plein droit de poursuivre leur activité. En cas de demande formée avant cette date, l'autorisation est automatiquement prorogée jusqu'à la date de notification de la réponse du garde des sceaux, ministre de la justice. Les deux alinéas précédents ne peuvent avoir pour effet de permettre aux personnes visées au premier alinéa d'exercer leurs fonctions au-delà de la date de leur soixante-et-onzième anniversaire " ; que, dans le dernier état de leurs écritures, M. E..., M. D...et M. B...demandent au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions du décret du 20 mai 2016 en tant qu'elles sont prises pour déterminer les modalités d'application de l'article 55 de la loi du 5 août 2016 fixant la limite d'âge pour exercer la profession de commissaire-priseur et le régime de l'autorisation pour continuer d'exercer leurs fonctions afin de faire obstacle à ce que les commissaires-priseurs judiciaires âgés de soixante-et-onze ans et plus puissent être atteints par la limite d'âge aussi longtemps que cette suspension produira ses effets ;
3. Considérant, en premier lieu, que, dans sa décision 2015-715 DC du 5 août 2015, le Conseil constitutionnel a estimé qu'en fixant à soixante-dix ans l'âge limite pour l'exercice de la profession de commissaire-priseur judiciaire et en permettant une prolongation d'activité pendant une durée maximale d'un an avant que le successeur ne prête serment, le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre de ces professionnels ni à aucune autre exigence constitutionnelle ; qu'il a, en conséquence, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1-1-2 de l'ordonnance du 26 juin 1816 ; que les dispositions de cet article font par elles-mêmes obstacle, à compter de la date de leur entrée en vigueur, à la poursuite de l'exercice de la profession de commissaire-priseur au-delà de l'âge de soixante-et-onze ans ; qu'en ne prévoyant pour aucun des professionnels concernés, dans le cadre de dispositions transitoires, la possibilité de poursuivre l'exercice de cette profession à compter du 1er août 2016 au-delà de la date de leur soixante-et-onzième anniversaire, le décret contesté a, par suite, fait une exacte application de la loi ; qu'il en résulte que les moyens tirés de ce que le décret contesté méconnaîtrait le principe de sécurité juridique tel qu'il est garanti en droit interne ainsi que les principes d'égalité devant les charges publiques et devant la loi et le droit de propriété tel que garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne sont pas de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que si ces dispositions font obstacle à la poursuite par un commissaire-priseur de son activité au-delà de l'âge de soixante-et-onze ans et hors le cas de la suppléance, dont le décret du 20 mai 1955 prévoit qu'elle peut notamment être confiée à des commissaires-priseurs à la retraite, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de priver le professionnel atteint par la limite d'âge de la propriété de l'office ou des parts qu'il détient dans la société qui en est propriétaire, pas plus que de son droit de présentation d'un successeur ; que si les requérants font cependant valoir que l'insuffisante durée de la période transitoire qui leur aurait permis d'obtenir, dans des conditions économiques et financières " normales ", l'agrément de leur successeur avant d'être atteints par la limite d'âge a porté atteinte à la valeur patrimoniale de ce bien, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office qui est celui du juge des référés, que cette atteinte serait telle qu'elle excèderait de façon manifeste la marge d'appréciation dont le législateur disposait au regard de l'intérêt général légitime, et au demeurant non contesté, poursuivi par l'entrée en vigueur d'un âge limite d'exercice de la profession de commissaire-priseur ;
5. Considérant, en troisième lieu, que les requérants invoquent également la méconnaissance du principe de non discrimination garanti par la Charte des droits fondamentaux et précisé par la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ; qu'ils font valoir que la méconnaissance de la directive résulte du caractère inapproprié et non nécessaire des moyens mis en oeuvre pour l'atteindre, au sens du §1 de l'article 6 de la directive qui dispose que " Nonobstant l'article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ", en l'absence de dispositions transitoires permettant une entrée en vigueur plus progressive de cette limite d'âge à l'égard des professionnels les plus proches de celle-ci ; que si le délai de près de douze mois laissé par le législateur avant l'entrée en vigueur de cette limite d'âge pourrait, dans certains cas, s'avérer insuffisamment long, au regard notamment des délais habituels pour trouver un successeur, alors au surplus que les textes pris pour l'application d'autres dispositions de la loi du 5 août 2015 qui ont modifié les conditions d'exercice de cette profession n'ont été publiés qu'en juin 2016, puis pour obtenir son agrément par le ministre, il n'en résulte pas pour autant, en l'état de l'instruction et eu égard à l'office du juge des référés, qu'il serait manifeste que les moyens mis en oeuvre pour atteindre l'objectif légitime poursuivi par le législateur ne seraient pas appropriés ni nécessaires ; qu'il n'en résulte pas non plus une méconnaissance manifeste des principes de sécurité juridique et de confiance légitime protégés par le droit de l'Union européenne ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens invoqués par M.E..., M. D...et M. B...n'apparaît, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du décret du 20 mai 2016 ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition d'urgence est remplie, leurs conclusions à fin de suspension de l'exécution de ce décret ne peuvent être accueillies ; que doivent être également rejetées leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M.E..., M. D...et M. B...est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...E..., à M. F...-C...D..., à M. C...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée, pour information, au Premier ministre.