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08/07/2016 | FRANCE | N°386792

France | France, Conseil d'État, 1ère - 6ème chambres réunies, 08 juillet 2016, 386792


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Holding Désile demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 2° de l'article 1er du décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, en tant qu'il insère dans le code de commerce les articles D. 23-10-1 et D. 23-10-2, ainsi que l'article 2 du même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L.

761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
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Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Holding Désile demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le 2° de l'article 1er du décret n° 2014-1254 du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, en tant qu'il insère dans le code de commerce les articles D. 23-10-1 et D. 23-10-2, ainsi que l'article 2 du même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- la décision du 22 mai 2015 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Holding Désile ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015 statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Holding Désile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Thoumelou, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 23-10-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire, applicable à la date du décret attaqué : " Dans les sociétés qui n'ont pas l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise en application de l'article L. 2322-1 du code du travail, lorsque le propriétaire d'une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d'une société à responsabilité limitée ou d'actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d'une société par actions veut les céder, les salariés en sont informés, et ce au plus tard deux mois avant la cession, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d'achat de cette participation (...) " ; que les deux premiers alinéas de l'article L. 23-10-7 du code de commerce prévoient une semblable information des salariés dans les sociétés soumises à l'obligation de mettre en place un comité d'entreprise et se trouvant, à la clôture du dernier exercice, dans la catégorie des petites et moyennes entreprises au sens de l'article 51 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, le chef d'entreprise devant alors, au plus tard en même temps qu'il procède à l'information et à la consultation du comité d'entreprise en application de l'article L. 2323-19 du code du travail, porter l'intention du propriétaire à la connaissance des salariés, en leur indiquant qu'ils peuvent présenter au cédant une offre de rachat ; que la SARL Holding Désile demande l'annulation pour excès de pouvoir de certaines des dispositions du décret du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise, pris sur le fondement de ces dispositions ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la SARL Holding Désile, à la date d'introduction de sa requête, détenait plus de 50 % du capital d'une société par actions simplifiée entrant dans le champ de l'article L. 23-10-1 du code du travail ; qu'à ce titre, elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du décret qu'elle attaque, dont les dispositions sont susceptibles de s'appliquer à elle en cas de cession de sa participation dans cette société ; que le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique n'est donc pas fondé à soutenir que ses conclusions sont irrecevables faute d'intérêt à agir ;

Sur la base légale du décret attaqué :

3. Considérant que, par une décision du 22 mai 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a renvoyé au Conseil constitutionnel la question, soulevée par la SARL Holding Désile, de la conformité à la Constitution des articles 20 et 98 de la loi du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire ; que, par sa décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les quatrième et cinquième alinéas de l'article L. 23-10-1 et les troisième et quatrième alinéas de l'article L. 23-10-7 du code de commerce issus de l'article 20 de cette loi, qui ouvraient aux salariés la possibilité d'une action en nullité en cas de méconnaissance de l'obligation d'information prévue par ces articles ; qu'en revanche, il a déclaré conformes à la Constitution les trois premiers alinéas de l'article L. 23-10-1, le premier alinéa de l'article L. 23-10-3, les premier, deuxième et cinquième alinéas de l'article L. 23-10-7 ainsi que le premier alinéa de l'article L. 23-10-9 du code de commerce issus de l'article 20 de cette loi et les mots " et 20 " figurant à l'article 98 de la même loi ; que la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée ne prive pas de base légale les dispositions contestées du décret attaqué, qui concernent la définition de la notion de cession, les modalités de l'information des salariés et les conditions d'entrée en vigueur de la nouvelle obligation ;

Sur la légalité de l'article 1er du décret attaqué, en tant qu'il a inséré dans le code de commerce l'article D. 23-10-1 :

4. Considérant que l'article D. 23-10-1 définit la date de cession mentionnée par l'article L. 23-10-1 comme la date à laquelle s'opère le transfert de propriété ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1583 du code civil, la vente " est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé " ; que, toutefois, les parties peuvent librement déroger à ces dispositions pour convenir que la propriété de la chose vendue sera transférée à l'acheteur à une date ultérieure ; qu'en outre, selon le dernier alinéa de l'article L. 228-1 du code de commerce, applicable aux sociétés par actions : " (...) le transfert de propriété résulte de l'inscription des valeurs mobilières au compte de l'acheteur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat " ; que l'article R. 228-10 du même code précise, pour l'application de cette disposition, que " l'inscription au compte de l'acheteur est faite à la date fixée par l'accord des parties et notifiée à la société émettrice " ;

6. Considérant que par les dispositions de l'article L. 23-10-1 du code de commerce, le législateur a entendu permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d'achat de la participation dont la cession est envisagée, en donnant au cédant la liberté de choisir, le cas échéant, entre cette offre et une offre tierce ; qu'en particulier, dans sa décision du 17 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a jugé que l'obligation d'information prévue par l'article L. 23-10-1 du code de commerce avait pour objet de garantir aux salariés le droit de présenter une offre de reprise sans que celle-ci s'impose au cédant ; que l'effectivité de ce droit implique qu'il puisse être exercé en temps utile pour que le cédant, sans y être tenu, soit en mesure d'accepter une offre de reprise présentée par les salariés ; qu'il suit de là que la date de la cession, par rapport à laquelle le délai de deux mois est déterminé, doit nécessairement s'entendre comme la date de conclusion de la vente, et non comme celle du transfert de propriété, dont les parties ont la faculté de convenir qu'il interviendra plus de deux mois plus tard ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en définissant la date de la cession, au sens de l'article L. 23-10-1 du code de commerce, comme " la date à laquelle s'opère le transfert de propriété ", le pouvoir réglementaire a méconnu les dispositions de cet article ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés à l'appui des mêmes conclusions, la société requérante est fondée à soutenir que l'article 1er du décret attaqué est illégal en tant qu'il a inséré l'article D. 23-10-1 dans le code de commerce ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'article 1er du décret attaqué, en tant qu'il a inséré dans le code de commerce l'article D. 23-10-2 :

8. Considérant qu'aux termes de l'article D. 23-10-2 également inséré dans le code de commerce par le décret attaqué : " L'information des salariés mentionnée aux articles L. 23-10-3 et L. 23-10-9 peut être effectuée selon les modalités suivantes : / 1° Au cours d'une réunion d'information des salariés à l'issue de laquelle ces derniers signent le registre de présence à cette réunion ; / 2° Par un affichage. La date de réception de l'information est celle apposée par le salarié sur un registre accompagnée de sa signature attestant qu'il a pris connaissance de cet affichage ; / 3° Par courrier électronique, à la condition que la date de réception puisse être certifiée ; / 4° Par remise en main propre, contre émargement ou récépissé, d'un document écrit mentionnant les informations requises ; / 5° Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La date de réception est celle qui est apposée par l'administration des postes lors de la remise de la lettre à son destinataire ; / 6° Par acte extrajudiciaire ; / 7° Par tout autre moyen de nature à rendre certaine la date de réception " ;

9. Considérant que les articles L. 23-10-1 et L. 23-10-7 du code de commerce prévoient la notification aux salariés de l'intention du propriétaire de céder une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d'une société à responsabilité limitée ou d'actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d'une société par actions ; que selon le premier de ces articles, l'objectif en est de permettre " à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d'achat de cette participation " ; que ce même article fait partir de cette information le délai de deux mois avant l'expiration duquel il ne peut être procédé à la cession ; qu'enfin, aux termes tant du premier alinéa de l'article L. 23-10-3 que du premier alinéa de l'article L. 23-10-9 du même code : " L'information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers " ;

10. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les salariés doivent être informés individuellement, c'est-à-dire directement, et non le cas échéant par l'intermédiaire de leurs représentants, de la cession envisagée, par un moyen permettant de conférer date certaine à cette information ; qu'elles n'imposent pas nécessairement que les modes collectifs d'information susceptibles d'être prévus soient assortis de l'exigence que l'employeur s'assure de la prise de connaissance effective de l'information par chaque salarié ; que, toutefois, la liste des modalités d'information prévue à l'article D. 23-10-2 du code de commerce est de nature à rendre certaine la date de sa réception par les salariés et, dès lors, ne méconnaît pas les dispositions législatives pour l'application desquelles elle a été fixée ; que, par suite, la SARL Holding Désile n'est pas fondée à soutenir que l'article 1er du décret attaqué serait illégal en tant qu'il a inséré l'article D. 23-10-2 dans le code de commerce ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation de l'article 2 du décret attaqué :

11. Considérant que selon l'article 2 du décret attaqué : " Une cession intervenant à l'issue d'une négociation exclusive organisée par voie contractuelle n'est pas soumise aux exigences d'information préalable des salariés si le contrat de négociation exclusive a été conclu avant le 1er novembre 2014 " ; que la SARL Holding Désile doit être regardée comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de cet article en tant seulement qu'il n'excepte pas, des cessions soumises à l'obligation d'information préalable des salariés, les autres cessions intervenant en vertu d'engagements contractés avant la publication de la loi du 31 juillet 2014 ;

12. Considérant que l'article 98 de la loi du 31 juillet 2014 prévoit que les dispositions nouvelles insérées aux articles L. 123-10-1 et suivants du code de commerce " s'appliquent aux cessions conclues trois mois au moins après la date de publication de la présente loi " ; que ces dispositions faisaient obstacle à ce que le pouvoir réglementaire excepte du champ d'application des obligations nouvelles des cessions, telles que précisées au point 6, conclues plus de trois mois après la publication de la loi, au seul motif qu'elles l'auraient été en vertu d'engagements contractés précédemment ; que, par suite, les moyens tirés de leur méconnaissance, ainsi que de la violation des principes de non-rétroactivité et de sécurité juridique, ne peuvent qu'être écartés ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SARL Holding Désile est fondée à demander l'annulation du décret qu'elle attaque en tant seulement qu'il a inséré l'article D. 23-10-1 dans le code de commerce, par des dispositions qui sont divisibles des autres dispositions du décret ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à la SARL Holding Désile au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'article 1er du décret du 28 octobre 2014 relatif à l'information des salariés en cas de cession de leur entreprise est annulé en tant qu'il a inséré l'article D. 23-10-1 dans le code de commerce.

Article 2 : L'Etat versera à la SARL Holding Désile une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Holding Désile est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SARL Holding Désile, au Premier ministre et au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.


Synthèse
Formation : 1ère - 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 386792
Date de la décision : 08/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2016, n° 386792
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Thoumelou
Rapporteur public ?: M. Rémi Decout-Paolini

Origine de la décision
Date de l'import : 27/12/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:386792.20160708
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