Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et cinq nouveaux mémoires, enregistrés les 3 février et 5 mai 2014, les 6 janvier, 23 juillet, 16 septembre et 1er octobre 2015 ainsi que le 6 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Voltalis demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur son recours gracieux tendant à l'abrogation des articles 8 et 9 du décret n° 2012-1405 du 14 décembre 2012 relatif à la contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité et portant création d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces articles du décret ;
3°) à titre subsidiaire, de saisir, avant dire droit, l'Autorité de la concurrence, sur le fondement de l'article L. 462-3 du code de commerce, en vue de l'inviter à fournir l'ensemble des éléments d'appréciation complémentaires susceptibles de permettre au Conseil d'Etat de rendre sa décision ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de rejeter les conclusions présentées par la société Electricité Réseau Distribution France (ERDF) et par l'association des distributeurs d'électricité en France sur ce même fondement.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bastien Lignereux, auditeur,
- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 avril 2016, présentée par l'association des distributeurs d'électricité en France ;
1. Considérant que l'association des distributeurs d'électricité en France justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi, son intervention en défense est recevable ;
2. Considérant que les articles L. 335-1 à L. 335-6 du code de l'énergie instituent un dispositif de contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité fondé sur l'obligation de disposer de garanties directes ou indirectes de capacités d'effacement de consommation et de production d'électricité pouvant être mises en oeuvre pour assurer l'équilibre entre la production et la consommation sur le territoire métropolitain continental ; qu'aux termes de l'article L. 335-3 de ce code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Les garanties de capacité dont doivent justifier les fournisseurs en application du présent chapitre portent sur des capacités dont le gestionnaire du réseau public de transport a certifié la disponibilité et le caractère effectif. / La capacité d'une installation de production ou d'une capacité d'effacement de consommation est certifiée par contrat conclu entre l'exploitant de cette capacité et le gestionnaire du réseau public de transport. Ce contrat prévoit les conditions dans lesquelles est assuré le contrôle de la capacité certifiée ainsi que la pénalité due par l'exploitant au gestionnaire du réseau public de transport dans le cas où la capacité effective est inférieure à celle certifiée (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 321-16 du même code : " Le gestionnaire du réseau de transport certifie la disponibilité et le caractère effectif des garanties de capacité prévues à l'article L. 335-2. / A cet effet, toute installation de production raccordée au réseau public de transport ou au réseau public de distribution et toute capacité d'effacement de consommation doit faire l'objet, par son exploitant, d'une demande de certification de capacité auprès du gestionnaire du réseau public de transport. " ;
3. Considérant que les articles 8 et 9 du décret contesté du 14 décembre 2012, dont les dispositions figurent aujourd'hui, sans modification autre que de pure forme, aux articles R. 335-13 et suivants du code de l'énergie, prévoient notamment que le dossier de demande de certification est présenté au gestionnaire du réseau de transport ou au gestionnaire du réseau de distribution, selon le réseau auquel est raccordée la capacité ; que lorsqu'un gestionnaire de réseau de distribution reçoit un tel dossier, il conclut avec l'exploitant un contrat et transmet au gestionnaire du réseau de transport le dossier, accompagné d'un exemplaire de ce contrat et d'une proposition de contrat de certification ; que, dans cette hypothèse, la conclusion du contrat entre l'exploitant et le gestionnaire du réseau de distribution est une condition préalable à la conclusion du contrat de certification entre le gestionnaire du réseau de transport et l'exploitant ; que le contrat de certification comprend les modalités de facturation, par le gestionnaire de réseau auquel est raccordée la capacité, des frais exposés par celui-ci pour la certification et le contrôle de la capacité ; qu'enfin, les gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité sont responsables du contrôle des capacités raccordées à leurs réseaux et informent le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité du résultat de ce contrôle ;
4. Considérant que la société Voltalis demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur son recours gracieux tendant à l'abrogation des articles 8 et 9 de ce décret ;
5. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 1211-4-2 du code général des collectivités territoriales, applicable à la date d'adoption du décret contesté, la commission consultative d'évaluation des normes " est consultée préalablement à leur adoption sur l'impact financier, qu'il soit positif, négatif ou neutre, des mesures règlementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics " ; que, d'une part, les dispositions des articles 8 et 9 du décret contesté, dont l'objet est exposé au point 3 ci-dessus, ont pour effet de créer des obligations pesant sur les gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 111-52 du code de l'énergie : " Les gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité sont, dans leurs zones de desserte exclusives respectives : / (...) 2° Les entreprises locales de distribution définies à l'article L. 111-54 (...) " ; que l'article L. 111-54 de ce code prévoit, dans sa rédaction alors applicable, que " Sont des " entreprises locales de distribution " les sociétés d'économie mixte dans lesquelles l'Etat ou les collectivités locales détiennent la majorité du capital, les coopératives d'usagers et les sociétés d'intérêt collectif agricole concessionnaires de gaz ou d'électricité, ainsi que les régies constituées par les collectivités locales, existant au 9 avril 1946 et dont l'autonomie a été maintenue après cette date. Ces organismes doivent, pour demeurer de droit des gestionnaires de réseaux de distribution dans leur zone de desserte, conserver leur appartenance au secteur public, quelle que soit leur forme juridique ou leur nature coopérative " ; qu'il résulte de ces dispositions que certaines collectivités territoriales sont gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité ; que, dès lors, les dispositions contestées, qui créent des obligations à l'égard de collectivités territoriales, devaient être soumises à la consultation préalable de la commission consultative d'évaluation des normes ; qu'à défaut d'une telle consultation, les dispositions contestées du décret du 14 décembre 2012 ont été adoptées au terme d'une procédure irrégulière ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et sans qu'il y ait lieu, en tout état de cause, de saisir pour avis l'Autorité de la concurrence, que la société Voltalis est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir du rejet implicite de sa demande tendant à l'abrogation des articles 8 et 9 du décret du 14 décembre 2012 ; que cette annulation implique nécessairement l'abrogation des articles 8 et 9 de ce décret ; qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'ordonner cette mesure dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision ;
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par la société ERDF et l'association des distributeurs d'électricité en France, qui n'ont pas la qualité de partie à la présente instance ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à ce titre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à la société Voltalis ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association des distributeurs d'électricité en France est admise.
Article 2 : La décision de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur la demande de la société Voltalis tendant à l'abrogation des articles 8 et 9 du décret du 14 décembre 2012 relatif à la contribution des fournisseurs à la sécurité d'approvisionnement en électricité et portant création d'un mécanisme d'obligation de capacité dans le secteur de l'électricité est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre d'abroger, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, les articles 8 et 9 du décret du 14 décembre 2012.
Article 4 : L'Etat versera à la société Voltalis une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Voltalis, au Premier ministre, à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, à la société Electricité Réseau Distribution France et à l'association des distributeurs d'électricité en France.