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06/04/2016 | FRANCE | N°398217

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 06 avril 2016, 398217


Vu la procédure suivante :

M. C...D...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2016 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et aux autorités consulaires françaises en Algérie de prendre toute mesure de nature à permettre son retour immédiat sur le territoire national, sous astreinte de 500 euros par jour

de retard à compter du huitième jour suivant la notification de l'ord...

Vu la procédure suivante :

M. C...D...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 11 janvier 2016 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé son expulsion du territoire français, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et aux autorités consulaires françaises en Algérie de prendre toute mesure de nature à permettre son retour immédiat sur le territoire national, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification de l'ordonnance. Par une ordonnance n° 1603217/9 du 16 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par une requête enregistrée le 24 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie ;

- la mesure d'expulsion contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir, à son droit à mener une vie privée et familiale normale et à ses droits à la sécurité et à la vie ;

- elle est intervenue en méconnaissance des articles L. 522-1, L. 521-3, L. 523-2 et L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. D..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 30 mars 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Lesourd, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M.D... ;

- le représentant de M. D... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction jusqu'au 5 avril 2016 à 10 heures ;

Vu la mesure d'instruction supplémentaire par laquelle le juge des référés a demandé au ministre de l'intérieur de produire le procès-verbal des perquisitions menées dans les mosquées de Stains et d'Aubervilliers, l'expertise technique du téléphone et de l'ordinateur ;

Vu les pièces, enregistrées le 1er avril 2016, par lesquelles le ministre de l'intérieur produit des documents relatifs aux mosquées de Stains et d'Aubervilliers ainsi qu'une note blanche relative à M.D... ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant que, par un arrêté du 11 janvier 2016, le ministre de l'intérieur a prononcé l'expulsion du territoire français, en urgence absolue, de M.D..., ressortissant algérien né le 5 août 1982, au motif notamment qu'il était susceptible à tout moment de fomenter, commettre ou apporter un soutien logistique à une action terroriste en France ; que cet arrêté a reçu exécution le 19 janvier 2016 ; que, par une ordonnance du 16 mars 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et aux autorités consulaires françaises en Algérie de prendre toute mesure de nature à permettre son retour immédiat sur le territoire national ; que M. D...relève appel de cette ordonnance ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public " ; qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 522-1 du même code : " I. - Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : / 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : / a) Du président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, ou d'un juge délégué par lui, président ; / b) D'un magistrat désigné par l'assemblée générale du tribunal de grande instance du chef-lieu du département ; / c) D'un conseiller de tribunal administratif " ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour prononcer l'expulsion en urgence absolue de M.D..., le ministre de l'intérieur s'est fondé, notamment, sur les éléments mentionnés dans des " notes blanches " des services de renseignement, soumises au débat contradictoire, ainsi que sur le passé judiciaire de l'intéressé ; qu'il ressort de ces éléments, repris dans les motifs de l'arrêté du 11 janvier 2016, que M. D...a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement pour avoir commis, en 2002, un vol à main armée en compagnie d'Amédy Coulibaly, ultérieurement auteur d'actes à caractère terroriste en janvier 2015 à Paris et à Montrouge ; qu'il a fait l'objet de sept autres condamnations pénales, pour un total cumulé de plus de cinq ans d'emprisonnement ; qu'il fréquente assidûment les salles de prière El Rawda, à Stains, et La Fraternité, à Aubervilliers, connues pour leur prêches extrémistes et anti-occidentaux ; qu'il est employé au sein d'un garage automobile situé à Saint-Brice-sous-Forêt, dans le Val-d'Oise, lequel héberge une salle de prière clandestine au sein de laquelle se rassemblent des personnes radicalisées favorables au jihad, quatre d'entre elles ayant effectivement quitté la France en février 2015 pour rejoindre la zone irako-syrienne ; que ces personnes sont soupçonnées d'avoir été en lien avec M. F...B..., actuellement détenu pour une tentative présumée d'attentat contre une église de Villejuif, et d'être affidées au groupe de M. E...A... ; que M. D...est resté en contact avec elles par l'utilisation de réseaux de communications ; qu'une tentative de mise en vente du garage a eu lieu en septembre 2015 en vue de financer le départ de plusieurs personne faisant partie du même groupe, dont M.D..., pour rejoindre " Daech " ; qu'à la même date celui-ci a quitté son domicile familial pour résider tantôt au garage, tantôt à l'hôtel, laissant présumer qu'il était susceptible à tout moment de participer à une action terroriste ;

5. Considérant, en premier lieu, que M. D...soutient qu'il ne fréquentait qu'épisodiquement la mosquée "La Fraternité " et que s'il se rendait, au plus une fois par semaine, à la mosquée El Rawda, c'est en raison de sa proximité avec son lieu de travail ; qu'au demeurant aucun des responsables de ces deux mosquées n'a été inquiété au motif qu'elles diffuseraient des messages extrémistes ; qu'il n'a pas une pratique fondamentaliste de l'islam ; qu'il n'était pas employé du garage de Saint-Brice-sous-Forêt, dans lequel il venait simplement s'approvisionner en pièces détachées ou procéder à des réparations de véhicules ; qu'il n'est pas demeuré en relation avec les responsables ou employés du garage qui ont quitté le territoire français ; que le garage n'a pas été vendu mais placé en liquidation judiciaire ; qu'il n'avait pas quitté son domicile familial, au sein duquel il a d'ailleurs été assigné à résidence en novembre 2015 ;

6. Considérant, toutefois, que M. D...ne conteste pas utilement les éléments très précis et circonstanciés produits par le ministre et complétés au cours de l'instruction sur la dangerosité du réseau constitué autour du garage de Saint-Brice-sous-Forêt, sur les parcours de ses membres et sur les liens qu'il entretenait avec eux ; qu'ainsi, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le moyen tiré de ce que l'arrêté serait entaché d'une illégalité grave et manifeste en tant qu'il prononce l'expulsion de M. D...sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de son lien avec des activités à caractère terroriste, ne peut qu'être écarté ; que, pour les mêmes raisons, si M. D...est lié par un pacte civil de solidarité avec une ressortissante française dont il a eu deux enfants âgés de trois ans et d'un an et demi et si sa famille proche est de nationalité française ou réside en France, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M.D..., ainsi qu'à l'intérêt supérieur de ses enfants, une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ;

7. Considérant, en deuxième lieu, qu'eu égard au comportement de M.D..., qui était de nature à conduire les autorités à estimer que celui-ci présentait un risque grave et immédiat pour la sécurité publique, il ne saurait davantage être soutenu que le ministre aurait commis une illégalité grave et manifeste en retenant qu'était caractérisée une situation d'urgence absolue, justifiant, en application de l'article L. 522-1 du même code, que ne puissent être respectées les exigences procédurales de droit commun, alors même que, dans un premier temps, M. D...a fait l'objet d'une assignation à résidence ;

8. Considérant, enfin, que si M. D...affirme être placé sous surveillance policière depuis son retour en Algérie, il n'apporte aucun élément précis sur les risques de traitement inhumain ou dégradant auxquels il serait personnellement exposé ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par voie de conséquence, qu'être rejetées ;

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C...D...et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 398217
Date de la décision : 06/04/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 avr. 2016, n° 398217
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP LESOURD

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:398217.20160406
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