Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 24 décembre 2013, 24 mars 2014 et 9 décembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E...D...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 12 avril 2013 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a sursis à statuer sur les griefs qui lui ont été notifiés jusqu'à ce qu'il soit procédé à un supplément d'instruction et la décision du 18 octobre 2013 par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 400 000 euros et ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'Autorité ;
2°) de mettre à la charge de l'Autorité des marchés financiers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 68-678 du 26 juillet 1968 ;
- le règlement général de l'Autorité des marchés financiers ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M.D..., à la SCP Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de M. B..., et à la SCP Vincent, Ohl, avocat de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 mars 2016, présentée par M. D...;
1. Considérant que les dispositions du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier permettent à l'Autorité des marchés financiers d'infliger une sanction, notamment, à toute personne qui s'est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d'initié, dès lors que celle-ci concerne un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé, dans les conditions déterminées par son règlement général ; qu'il résulte de l'instruction que la société SNCF Participations, qui était alors le principal actionnaire de la société GEODIS, a lancé le 6 avril 2008 une offre publique d'achat (OPA) amicale sur la totalité des actions de cette société, en valorisant celle-ci à plus d'un milliard d'euros et en offrant une prime de près de 33 % par rapport au dernier cours coté avant l'annonce et de 57 % par rapport au cours de clôture du mois précédent ; que, par la décision du 18 octobre 2013 que M. D...conteste, la commission des sanctions a infligé à ce dernier, " managing director " au sein d'UBS, banque qui participait à la réalisation de l'OPA de la société SNCF Participations, une sanction pécuniaire de 400 000 euros pour avoir transmis une information privilégiée sur cette opération, détenue dès le 19 mars 2008, à son cousin, M. C...B...; que la même décision a, par ailleurs, retenu que M. B...avait utilisé l'information privilégiée en cause et réalisé par ce biais une plus-value de plus de 6 millions d'euros, et lui a infligé une sanction pécuniaire de 14 millions d'euros ;
2. Considérant que M. B...doit être regardé comme justifiant, dans les circonstances particulières de l'espèce, d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision du 18 octobre 2013 que conteste M.D..., ainsi que de la décision du 12 avril 2013 par laquelle la commission des sanctions avait d'abord sursis à statuer, dont M. D...demande aussi l'annulation ; qu'ainsi, son intervention est recevable ;
3. Considérant qu'aux termes du II de l'article R. 621-40 du code monétaire et financier : " Lors de la séance, le rapporteur présente son rapport. (...) Lorsque la formation s'estime insuffisamment éclairée, elle demande au rapporteur de poursuivre ses diligences selon la procédure définie aux II et III de l'article R. 621-39. " ; que, par sa décision du 12 avril 2013, la commission des sanctions a notamment estimé que l'information relative au projet d'offre publique d'achat de SNCF-Participations sur les titres GEODIS présentait, dès le 14 mars 2008 et jusqu'au communiqué du 6 avril 2008, toutes les caractéristiques d'une information privilégiée et que M. D...était détenteur de cette information privilégiée au plus tard à compter de la réception d'un courriel du 20 mars 2008 ; que, avant de se prononcer sur la transmission de l'information privilégiée par M. D...à M. B...et sur son utilisation par ce dernier, la commission des sanctions a estimé utile, compte tenu, notamment, des arguments avancés par les mis en cause, que le rapporteur de l'affaire effectue des diligences complémentaires sur le fondement du II de l'article R. 621-40 ; que la commission des sanctions a dès lors sursis à statuer sur les griefs d'utilisation et de transmission de l'information privilégiée notifiés à M. B... et à M. D...et a demandé au rapporteur de rechercher notamment si les ordres sur les titres GEODIS que M. B...indiquait avoir émis entre le 1er février 2008 et le 31 mars 2008 avaient été reçus par différents établissements financiers ; que le supplément d'instruction ainsi prévu par l'article R. 621-40 est en principe confié au rapporteur de l'affaire ; que la circonstance que le rapporteur chargé du supplément d'instruction se soit déjà prononcé, dans son rapport initial, sur le point en litige et ait porté une appréciation, en l'état de l'instruction, sur les faits reprochés à M. B...et sur la valeur de ses arguments en défense ne faisait pas obstacle à ce que la commission des sanctions lui demandât d'effectuer des diligences complémentaires sur ce point ; qu'en confiant ainsi le supplément d'instruction au rapporteur d'origine, la commission des sanctions n'a pas méconnu le principe d'impartialité ; que, par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que le rapporteur, dont la mission avait été clairement définie par la commission des sanctions dans sa décision du 12 avril 2013, n'aurait pas respecté les droits de la défense lors de cette phase d'investigation complémentaire ; qu'en particulier, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, il n'était pas tenu, si, pour les raisons qu'il a exposées dans son rapport complémentaire, il ne l'estimait pas utile, de donner suite à la demande de M. B...tendant à ce que soient annexés certains documents à la liste des questions posées aux autorités de régulation libanaises ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les investigations complémentaires du rapporteur auraient été effectuées en méconnaissance du principe d'impartialité, du principe d'égalité des armes et des droits de la défense ne peut qu'être écarté en ses différentes branches ;
4. Considérant que, pour caractériser la détention par M. D...d'une information privilégiée, la commission des sanctions s'est notamment appuyée, dans la décision contestée du 18 octobre 2013, sur un échange de courriels intervenu le 19 mars 2008 entre M. D... et M.A..., son supérieur hiérarchique au sein de la banque UBS ; qu'il résulte de l'instruction que cet élément de preuve avait été versé au dossier d'enquête dès l'ouverture de la procédure de sanction ; qu'il a été évoqué au cours de la séance publique du 20 septembre 2013, préalable à la décision du 18 octobre 2013, lors de laquelle le requérant a été interrogé à ce sujet ; qu'il était loisible au requérant de compléter ses observations orales par des observations écrites ; qu'il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qui est soutenu, la commission des sanctions ne s'est pas fondée sur un élément de preuve qui aurait été soustrait au débat contradictoire et n'a pas méconnu les droits de la défense ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 20 mars 2008, M. D... a été destinataire d'un courriel intitulé " Call report for Société Nationale de Chemins de Fer (SNCF), France ", contenant tous les éléments de l'information privilégiée relative au projet d'OPA sur la société GEODIS ; que le rapporteur, qui dispose, en vertu des dispositions du I de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier, d'un large pouvoir d'appréciation pour procéder à toutes les diligences qu'il juge utile, a estimé qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de la défense visant à obtenir de la banque UBS des informations ayant pour objet, selon elle, de démontrer que M. D...n'aurait jamais ouvert le courriel reçu le 20 mars 2008 ; qu'il n'a ainsi méconnu ni les droits de la défense ni l'égalité des armes ;
6. Considérant que l'article L. 632-7 du code monétaire et financier fixe les conditions dans lesquelles l'Autorité des marchés financiers peut conclure, avec des autorités homologues, des accords de coopération prévoyant notamment l'échange d'informations ; que l'article L. 632-16 du même code fixe les conditions dans lesquelles l'Autorité peut conduire des activités de surveillance, de contrôle et d'enquêtes à la demande d'autorités étrangères ; que ces dispositions, qui dérogent aux dispositions de la loi du 26 juillet 1968 visée ci-dessus relative à la communication de documents et renseignements d'ordre financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, n'ont ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que l'Autorité des marchés financiers utilise, pour les besoins d'une enquête dont elle a la responsabilité, des informations obtenues d'autorités étrangères en dehors de tout accord de coopération préalable ; qu'il était ainsi loisible à l'Autorité de solliciter les autorités libanaises pour obtenir certains renseignements relatifs à l'activité de M.B..., alors même qu'elle n'aurait pas au préalable conclu d'accord de coopération avec ces dernières ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que l'Autorité des marchés financiers aurait obtenu les informations litigieuses au terme d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la Financial Services Authority, ou FSA, autorité de régulation financière britannique, a accédé aux demandes de communication d'informations présentées par l'Autorité des marchés financiers en précisant que ces informations pourraient être communiquées à la Commission de contrôle des banques du Liban, ou CCB, en l'informant de leur caractère confidentiel ; que, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de l'instruction que l'Autorité des marchés financiers aurait transmis les informations en cause directement à la SIC libanaise, entité judiciaire en charge de la lutte contre le blanchiment des capitaux, mais qu'elle les a adressées, conformément à l'accord passé avec la FSA, à la Commission de contrôle des banques du Liban ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que l'Autorité des marchés financiers aurait méconnu les termes de l'autorisation donnée par la FSA en transmettant les informations litigieuses directement à la SIC manque en fait ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 622-1 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : " Toute personne mentionnée à l'article 622-2 doit s'abstenir d'utiliser l'information privilégiée qu'elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d'acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. / Elle doit également s'abstenir de : / 1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à raison desquelles elle lui a été communiquée ; / (...) " ;
9. Considérant qu'à défaut de preuve matérielle contre une personne mentionnée aux articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, la détention et l'utilisation d'une information privilégiée peuvent être établies par un faisceau d'indices concordants ; que, de même, la communication d'une information privilégiée peut être établie par un faisceau d'indices concordants, sans que la commission des sanctions n'ait l'obligation d'établir précisément les circonstances dans lesquelles l'information est parvenue jusqu'à la personne qui l'a reçue ;
10. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas contesté, que l'information relative au projet d'OPA de SNCF Participations sur les titres GEODIS présentait, dès le 14 mars 2008 et jusqu'au communiqué du 6 avril suivant, toutes les caractéristiques d'une information privilégiée ; que, d'une part, il résulte de l'instruction que les acquisitions de titres GEODIS que M. C...B...a réalisées du 20 mars au 4 avril 2008, pour une exposition de près de 8 millions d'euros, ne correspondaient pas à ses habitudes d'investissement et présentaient un caractère atypique, massif, et extrêmement risqué, au regard de la liquidité de la valeur ; qu'elles ne pouvaient ainsi s'expliquer que par l'assurance que la communication de l'information privilégiée en cause lui donnait que le cours des titres GEODIS allait bientôt connaître une forte hausse ; que, d'autre part, il résulte de l'instruction que, contrairement à ce qu'il avait initialement soutenu, M. D...a été destinataire, notamment les 20 et 25 mars 2008, de courriels portant sur l'intervention de la banque UBS dans l'offre d'achat de GEODIS par la SNCF et contenant tous les éléments de l'information privilégiée et qu'il a rencontré le 19 mars 2008 le " vice-chairman " de la banque UBS qui l'a informé de l'opération d'acquisition en cause ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction que M. D...et M. B...ont des relations d'affaires étroites, témoignant de forts liens de confiance ; qu'ainsi, en 2007, M. D... a transféré des fonds pour un montant global de 2 millions d'euros sur le compte bancaire de M. B...à la Banque du Liban et d'Outre-Mer ; qu'ils ont réalisé ensemble un projet immobilier pour lequel ils ont été fréquemment en contact, notamment en mars 2008 ; que ce projet immobilier a trouvé son dénouement le 20 avril 2008 et a permis à M. D...de réaliser une plus-value de l'ordre d'un million d'euros ; que M. D...a laissé la moitié des trois millions d'euros qui lui revenaient, dans l'attente de l'acquisition d'un bien immobilier qui n'est en définitive pas intervenue, sur le compte bancaire de M. B...; que ce compte bancaire est celui qui a été utilisé par M. B...pour financer l'acquisition des titres GEODIS le 3 avril 2008 ; qu'enfin, il résulte aussi de l'instruction que les acquisitions, soudaines et massives, de titres GEODIS par M. B...à compter du 20 mars 2013 à 16h13, sont intervenues moins de vingt-quatre heures après le moment où, le 19 mars au soir, M. D...a reçu l'information privilégiée du " vice chairman " de la banque UBS avec lequel il avait eu rendez-vous au siège de la banque ; qu'au regard de l'ensemble de ces indices précis et concordants, la commission des sanctions a pu, à bon droit, estimer que les opérations réalisées par M. B...ne pouvaient s'expliquer que par le fait que M. D...lui avait communiqué l'information privilégiée portant sur le projet d'OPA de SNCF-Participations sur GEODIS ;
11. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la décision attaquée : " La commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l'encontre des personnes suivantes : / a) Les personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9, au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 613-21 ; / b) Les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 11° à 15° du II de l'article L. 621-9 au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur, sous réserve des dispositions de l'article L. 613-21 ; / (...) " ; qu'en vertu du III du même article, les sanctions applicables sont, pour les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8°, 11°, 12° et 15° du II de l'article L. 621-9, l'avertissement, le blâme, le retrait temporaire ou définitif de la carte professionnelle, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des activités, éventuellement assortis d'une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 1,5 million d'euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés en cas de pratiques mentionnées aux c et d du II ou à 300 000 euros ou au quintuple des profits éventuellement réalisés dans les autres cas ;
12. Considérant que le manquement de transmission d'information privilégiée commis par M. D...revêt une particulière gravité, en méconnaissance d'une obligation essentielle pour l'intégrité et la sécurité du marché et la protection de l'épargne investie ; qu'il a été commis en toute connaissance de cause par l'intéressé, qui exerçait à l'époque des faits d'importantes fonctions au sein de la banque UBS, qui exigeaient une abstention totale de communication à des tiers des informations privilégiées auxquelles il avait accès ; que, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de porter le montant de la sanction pécuniaire infligée par la commission des sanctions à M. D...à 600 000 euros et de prononcer à son encontre, comme le demande le président de l'Autorité des marchés financiers dans son recours incident, en plus de cette sanction pécuniaire, un blâme ; qu'il y a également lieu de prévoir que l'Autorité des marchés financiers mentionnera la présente décision, qui réforme la décision du 18 octobre 2013, sur son site internet ;
13. Considérant que les conclusions présentées par M. D...au titre dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à sa charge le versement à l'Autorité des marchés financiers d'une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de M. B...est admise.
Article 2 : La requête de M. D...est rejetée.
Article 3 : La sanction financière prononcée à l'encontre de M. D...est portée à 600 000 euros. Un blâme est prononcé à l'encontre de M.D.... Ces sanctions seront mentionnées sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.
Article 4 : La décision de la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers du 18 octobre 2013 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions du recours incident du président de l'Autorité des marchés financiers est rejeté.
Article 6 : M. D...versera à l'Autorité des marchés financiers une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. E...D..., à M. C...B...et à l'Autorité des marchés financiers.
Copie en sera transmise pour information au ministre des finances et des comptes publics.