Vu la procédure suivante :
Par un arrêt n° 69134 du 10 mars 2014, la Cour des comptes a notamment constitué M. B... A..., comptable du grand port maritime de Dunkerque, débiteur envers cet établissement, au titre des exercices 2007 à 2011, d'une somme de 711 730 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 5 août 2013.
Par un pourvoi, enregistré le 12 mai 2014 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre des finances et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler l'article 2 de cet arrêt de la Cour des comptes, constituant M. A... débiteur de cette somme.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des juridictions financières ;
- le code des ports maritimes ;
- la loi n° 63-156 du 23 février 1963, modifiée notamment par la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;
- le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 ;
- le décret n° 2008-1038 du 9 octobre 2008 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Clémence Olsina, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
1. Considérant, d'une part, que l'article 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963, dans sa rédaction issue de l'article 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011, prévoit que le comptable public engage sa responsabilité personnelle et pécuniaire au titre des contrôles qu'il est tenu d'assurer, et notamment lorsqu'une dépense a été irrégulièrement payée ; qu'ainsi aux termes du I de cet article : " (...) Les comptables publics sont personnellement et pécuniairement responsables des contrôles qu'ils sont tenus d'assurer en matière de recettes, de dépenses et de patrimoine dans les conditions prévues par le règlement général sur la comptabilité publique. / La responsabilité personnelle et pécuniaire prévue ci-dessus se trouve engagée dès lors qu'un déficit ou un manquant en monnaie ou en valeurs a été constaté, qu'une recette n'a pas été recouvrée, qu'une dépense a été irrégulièrement payée ou que, par le fait du comptable public, l'organisme public a dû procéder à l'indemnisation d'un autre organisme public ou d'un tiers ou a dû rétribuer un commis d'office pour produire les comptes " ; que les dispositions du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, dans sa rédaction alors applicable, précisent les modalités d'exercice par le comptable public des contrôles qui lui incombent, notamment en matière de dépenses ; qu'ainsi, aux termes de l'article 12 de ce décret : " Les comptables sont tenus d'exercer : / (...) B. - En matière de dépenses, le contrôle : / De la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué ;/ De la disponibilité des crédits ; / De l'exacte imputation des dépenses aux chapitres qu'elles concernent selon leur nature ou leur objet ; / De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après ;/ Du caractère libératoire du règlement. / De la validité de la créance dans les conditions prévues à l'article 13 ci-après (...) " ; qu'aux termes de l'article 13 du même décret : " En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La justification du service fait et l'exactitude des calculs de liquidation ; / L'intervention préalable des contrôles réglementaires et la production des justifications. / En outre, dans la mesure où les règles propres à chaque organisme public le prévoient, les comptables publics vérifient l'existence du visa des membres du corps du contrôle général économique et financier sur les engagements et les ordonnancements émis par les ordonnateurs principaux. / Les comptables publics vérifient également l'application des règles de prescription et de déchéance " ; que s'agissant plus particulièrement du contrôle de la production des justifications, l'article 47 du même décret, applicable aux opérations comptables de l'Etat, des établissements publics nationaux, des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, prévoit que les opérations de dépense " doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l'accord du ministre intéressé " ; qu'aux termes de l'article 129 du même décret, applicable aux opérations comptables de l'Etat : " Les justifications mentionnées aux articles ci-dessus font l'objet d'une nomenclature générale établie par le ministre des finances et, le cas échéant, d'une nomenclature particulière définie par le règlement de comptabilité du ministère intéressé. / Lorsque certaines opérations n'ont pas été prévues par les nomenclatures, les justifications produites doivent, en tout état de cause, constater la régularité de la dette et celle du paiement " ; qu'en vertu de l'article 207 du même décret, les ordres de dépenses des établissements publics à caractère industriel et commercial dotés d'un agent comptable " sont appuyés des pièces justificatives nécessaires, et notamment des factures, mémoires, marchés, baux ou conventions " ; qu'enfin, aux termes de l'article 215 du même décret, applicable aux opérations des mêmes établissements : " La liste des pièces justificatives de recettes et de dépenses est préparée par l'agent comptable et proposée par l'ordonnateur à l'agrément du ministre des finances. (...) " ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu'à ce titre, il leur revient d'apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d'une part, complètes et précises, d'autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée ; que la circonstance qu'une opération n'a pas été prévue par la nomenclature des pièces justificatives applicable à l'organisme public concerné ne saurait dispenser le comptable public d'exercer tous les contrôles qui lui incombent, et notamment celui du caractère suffisant et cohérent des pièces fournies par l'ordonnateur ; que, dans une telle hypothèse, il appartient au comptable public de s'assurer de la production de toute pièce justificative pertinente, nécessaire à l'exercice des contrôles qui lui incombent en vertu des lois et règlements ; qu'en vertu des dispositions du B de l'article 12 et de l'article 13 du décret du 29 décembre 1962 cité ci-dessus, alors applicables, les pièces justificatives pertinentes et nécessaires à l'exercice des contrôles incombant au comptable sont celles qui lui permettent de contrôler la qualité de l'ordonnateur ou de son délégué, la disponibilité des crédits, l'exacte imputation des dépenses aux chapitres qu'elles concernent et, au titre du contrôle de la validité de la créance, la justification du service fait, l'exactitude des calculs de liquidation, l'intervention préalable des contrôles réglementaires, l'existence du visa des membres du corps du contrôle général économique et financier, lorsque celui-ci est exigé par les textes, et l'application des règles de prescription et de déchéance ; qu'il est loisible au comptable d'identifier les pièces justificatives pertinentes et nécessaires à l'exercice de ses contrôles en se référant, lorsque cela est pertinent, aux prescriptions de la nomenclature applicable ou de toute autre nomenclature comptable, pour des opérations similaires ;
3. Considérant, d'autre part, qu'en vertu de l'article 215 du décret du 29 décembre 1962, tout établissement public à caractère industriel et commercial est, en principe, doté d'une liste des pièces justificatives qui lui est propre, préparée par l'agent comptable et proposée par l'ordonnateur à l'agrément du ministre des finances ; que l'instruction codificatrice n° 02-072-M95 du 2 septembre 2002 portant réglementation budgétaire, financière et comptable des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial comporte, à son annexe n° 11, une nomenclature des pièces justificatives, qui, sans être exhaustive, précise cependant les justificatifs exigibles pour certaines opérations comptables des établissements publics à caractère industriel et commercial ; que cette instruction, si elle n'a pas le caractère d'une nomenclature applicable au sens de l'article 47 du décret du 29 décembre 1962, est, eu égard à son objet et à ses caractéristiques, un document de référence pour le comptable d'un tel établissement public ; qu'ainsi, en l'absence d'une liste des pièces justificatives propre à l'établissement public ou dans le silence de celle-ci sur une opération déterminée, il appartient au comptable de se référer à la nomenclature annexée à cette instruction pour exiger les pièces justificatives correspondantes de l'ordonnateur ; que lorsque cette instruction est également silencieuse sur l'opération en cause, il appartient au comptable de déterminer les pièces justificatives nécessaires et pertinentes selon les principes rappelés au point précédent ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article R. 113-12 puis de l'article R. 103-4 du code des ports maritimes, le fonctionnement comptable du port autonome puis du grand port maritime de Dunkerque était assuré, pendant les exercices comptables en cause, dans les conditions prévues, pour les établissements publics à caractère industriel et commercial dotés d'un agent comptable, par les articles 190 à 225 du décret du 29 décembre 1962 cité ci-dessus ; qu'une liste des pièces justificatives de recettes et de dépenses propre au grand port maritime de Dunkerque n'avait pas été agréée dans les conditions prévues par l'article 215 du même décret ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que M.A..., comptable du grand port maritime de Dunkerque, a versé, au cours des années 2007 à 2011, des subventions à deux associations justifiées par les délibérations du conseil d'administration du port autorisant leur versement ; que pour juger que le comptable avait manqué aux obligations lui incombant au titre du contrôle des justificatifs de telles dépenses, la Cour des comptes a relevé qu'en l'absence de nomenclature spécifique applicable au grand port maritime et dans le silence de la nomenclature annexée à l'instruction codificatrice du 2 septembre 2002 portant réglementation budgétaire, financière et comptable des établissements publics nationaux à caractère industriel et commercial, il appartenait au comptable, pour déterminer les pièces justificatives requises à l'appui du paiement des subventions litigieuses, de se référer à la nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l'Etat, laquelle exigeait, dès lors que de telles subventions excédaient 23 000 euros, la production de la convention prévue par l'article 10 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ; que faute d'apprécier s'il était pertinent et nécessaire pour le comptable public, au titre des contrôles lui incombant, d'exiger de l'ordonnateur la production d'une convention avec l'association recevant une subvention et en jugeant qu'une telle pièce devait être exigée au seul motif que la nomenclature de l'Etat, qui n'était pas applicable à l'établissement en cause, l'exigeait pour des opérations similaires, la Cour des comptes a méconnu les principes rappelés au point 2 et ainsi commis une erreur de droit ; qu'au demeurant, la nomenclature annexée à l'instruction du 2 septembre 2002 précisait les justificatifs exigibles pour le versement de subventions et ne faisait pas référence à la nécessité de produire une convention conclue avec leur bénéficiaire ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le ministre des finances et des comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la Cour des comptes du 10 mars 2014 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre des finances et des comptes publics, à M. B...A...et au parquet général près la Cour des comptes.