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26/02/2016 | FRANCE | N°388221

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème ssr, 26 février 2016, 388221


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 388221, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 février, 22 mai et 8 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Deutsche Bahn AG demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction fiscale BOI-TFP-IFER-70 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 22 avril 2014, en tant qu'elle prévoit les conditions d'assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER)

des entreprises de transport ferroviaire qui n'ont pas leur siège en France ; ...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 388221, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 février, 22 mai et 8 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Deutsche Bahn AG demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction fiscale BOI-TFP-IFER-70 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 22 avril 2014, en tant qu'elle prévoit les conditions d'assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) des entreprises de transport ferroviaire qui n'ont pas leur siège en France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 390367, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai et 8 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Deutsche Bahn AG demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'instruction fiscale BOI-TFP-IFER-70 publiée au bulletin officiel des finances publiques-impôts le 4 février 2015, en tant qu'elle prévoit les conditions d'assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) des entreprises de transport ferroviaire qui n'ont pas leur siège en France ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 56, 58 et 92 ;

- la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Esther de Moustier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

1. Considérant que la société Deutsche Bahn demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'instruction fiscale référencée BOI-TFP-IFER-70 publiée le 22 avril 2014 et l'annulation de la même instruction dans sa version actualisée le 4 février 2015 en tant qu'elle prévoit les conditions d'assujettissement à l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux des entreprises de transport ferroviaire qui n'ont pas leur siège en France ; que ses requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

2. Considérant que la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 a créé un article 1635-0 quinquies au sein du code général des impôts instaurant, au profit des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics de coopération intercommunale, une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) ; qu'aux termes de l'article 1599 quater A du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur depuis la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 : " I.- L'imposition forfaitaire mentionnée à l'article 1635-0 quinquies s'applique au matériel roulant utilisé sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs. / II.- L'imposition forfaitaire est due chaque année par l'entreprise de transport ferroviaire qui dispose, pour les besoins de son activité professionnelle au 1er janvier de l'année d'imposition, de matériel roulant ayant été utilisé l'année précédente sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs. / III.- (...) Les matériels roulants retenus pour le calcul de l'imposition sont ceux dont les entreprises ferroviaires ont la disposition au 1er janvier de l'année d'imposition et qui sont destinés à être utilisés sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs. (...) Ne sont pas retenus pour le calcul de l'imposition les matériels roulants destinés à circuler en France exclusivement sur les sections du réseau ferré national reliant, d'une part, une intersection entre le réseau ferré national et une frontière entre le territoire français et le territoire d'un Etat limitrophe et, d'autre part, la gare française de voyageurs de la section concernée la plus proche de cette frontière. (...) / III bis. - Sans préjudice des dispositions du III : / 1° L'imposition forfaitaire n'est pas due par les entreprises de transport ferroviaire qui ont parcouru l'année précédant celle de l'imposition moins de 300 000 kilomètres sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs ; / 2° Pour les entreprises de transport ferroviaire qui ont parcouru l'année précédant celle de l'imposition entre 300 000 et 1 700 000 kilomètres sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs, le montant de l'imposition forfaitaire est égal au montant mentionné au III multiplié par un coefficient égal à : (nombre de kilomètres parcourus sur le réseau ferré national - 300 000)/1 400 000. / IV.- Le redevable de la taxe déclare, au plus tard le deuxième jour ouvré suivant le 1er mai de l'année d'imposition, le nombre de matériels roulants par catégorie et le nombre de kilomètres parcourus l'année précédant celle de l'imposition sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs. (...) " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que depuis l'intervention de la loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013, l'IFER n'est pas due par les entreprises de transport ferroviaire qui ont, l'année précédant celle de l'imposition, parcouru sur le réseau ferré national moins de 300 000 kilomètres pour des opérations de transport de voyageurs ; que, pour les entreprises de transport ferroviaire qui ont, l'année précédant celle de l'imposition, parcouru sur le réseau ferré national entre 300 000 et 1 700 000 kilomètres pour des opérations de transport de voyageurs, les redevables de l'IFER bénéficient d'un abattement dont le coefficient se réduit avec le nombre de kilomètres parcourus ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation. " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 58 du même traité : " 1. La libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports " ; que si l'article 56 précité ne s'applique pas en tant que tel aux services de transports, ces derniers étant régis par le titre du traité relatif aux transports, le principe de la libre prestation des services n'en est pas moins applicable à cette activité ; que ce principe s'oppose à l'application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre Etats membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un Etat membre ; qu'une telle réglementation ne peut être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général et est proportionnée à la réalisation des objectifs qu'elle poursuit, c'est-à-dire si elle est propre à garantir ces objectifs et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre ;

5. Considérant que les entreprises de transport ferroviaire sont assujetties à l'IFER à raison de leur matériel roulant destiné à être utilisé sur le réseau ferré national pour des opérations de transport de voyageurs pour un montant forfaitaire, indistinctement selon le lieu de leur siège, sans que la circulation effective de ces matériels roulants sur le réseau ferré national soit prise en compte pour déterminer l'assiette d'imposition ; que s'il n'est pas contesté que le matériel roulant des entreprises de transport ferroviaire n'ayant pas leur siège en France qui circule sur le réseau ferré national circule également, de manière non résiduelle, sur d'autres réseaux ferrés que le réseau français, tandis que le matériel roulant des opérateurs nationaux circule à titre principal sur le réseau ferré national, les dispositions précitées de l'article 1599 quater A du code général des impôts prévoient désormais que seules les entreprises ayant circulé l'année précédant celle de l'imposition plus de 1 700 000 kilomètres sur le réseau ferré national, ce qui correspond à une utilisation permanente et habituelle du réseau ferré national, sont pleinement imposées à l'IFER, les entreprises ne circulant qu'à titre résiduel ou ponctuellement sur le réseau ferré national bénéficiant d'un abattement partiel ou d'une exonération totale de l'IFER ; que les entreprises assujetties à l'IFER ne le sont en outre qu'au titre des matériels roulants destinés à circuler sur le réseau ferré national ; que la société requérante n'est par suite pas fondée à soutenir que l'IFER serait disproportionnée pour les entreprises de transport ferroviaire établies hors de France au regard de leur circulation sur le réseau ferré national en ce qu'elle ne tiendrait pas compte de la circulation effective sur ce réseau des matériels roulants au titre desquels elles sont assujetties et apporterait ainsi à l'exercice de leur activité une restriction portant atteinte à la libre prestation de services ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 92 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Jusqu'à l'établissement des dispositions visées à l'article 91, paragraphe 1, et sauf adoption à l'unanimité par le Conseil d'une mesure accordant une dérogation, aucun des États membres ne peut rendre moins favorables, dans leur effet direct ou indirect à l'égard des transporteurs des autres États membres par rapport aux transporteurs nationaux, les dispositions diverses régissant la matière au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, à la date de leur adhésion. " ; que le paragraphe 1 de l'article 91 du même traité dispose que : " En vue de réaliser la mise en oeuvre de l'article 90 et compte tenu des aspects spéciaux des transports, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions, établissent : / a) des règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d'un État membre, ou traversant le territoire d'un ou de plusieurs États membres ; / b) les conditions d'admission de transporteurs non résidents aux transports nationaux dans un État membre ; / c) les mesures permettant d'améliorer la sécurité des transports ; / d) toutes autres dispositions utiles. " ; que le Parlement européen et le Conseil ont adopté, sur le fondement de ces dispositions, la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ; que la société requérante n'est par suite pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article 92 précité, qui ne trouvent plus à s'appliquer en matière ferroviaire ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que le moyen tiré de ce que l'IFER, telle qu'elle résulte de la loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013, porterait atteinte à l'effet utile des directives 95/18/CE du Conseil du 19 juin 1995 concernant les licences des entreprises ferroviaires et 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la tarification de l'infrastructure ferroviaire ne peut qu'être écarté dès lors que ces directives ont été abrogées avec effet au 15 décembre 2012 par l'article 65 de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 ; que les dispositions de cette dernière directive ne font en outre pas obstacle à ce que les Etats membres soumettent les opérateurs ferroviaires utilisant leur réseau ferré national à une taxation à ce titre ;

8. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes " ; qu'aux termes de l'article 14 de cette convention : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation " ; qu'une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens de ces stipulations, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

9. Considérant que les entreprises ferroviaires circulant sur le réseau ferré national sont assujetties à l'IFER indistinctement selon leur siège social ; que la société requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que l'IFER a été instaurée en remplacement de la taxe professionnelle à laquelle étaient assujetties les seules entreprises françaises pour soutenir que l'IFER instaurerait une discrimination injustifiée entre entreprises ferroviaires selon qu'elles étaient ou non auparavant redevables de la taxe professionnelle ; que dès lors qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, ne sont pleinement assujetties à l'IFER, au titre du seul matériel roulant effectivement destiné à circuler sur le réseau ferré national, que les entreprises circulant à titre habituel et permanent sur ce réseau, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'IFER, du fait de son caractère forfaitaire, créerait une discrimination entre entreprises ferroviaires selon qu'elles utilisent le réseau ferroviaire national à titre marginal ou habituel ; qu'elle n'est pas non plus fondée à soutenir que les dispositions de l'article 1599 quater A du code général des impôts introduiraient une discrimination injustifiée entre les opérateurs ferroviaires étrangers et la Régie autonome des transports parisiens dont le matériel n'est assujetti à l'IFER que s'il est " destiné à être utilisé principalement sur le réseau ferré national " dès lors que la Régie autonome des transports parisiens, qui est soumise par l'article 1599 quater A bis du code général des impôts à une autre composante de l'IFER, ne se trouve pas dans une situation analogue à celle des opérateurs étrangers ; qu'enfin, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'IFER engendrerait une discrimination entre les entreprises de transport ferroviaires établies dans un autre Etat membre que la France et les autres entreprises de réseau établies dans un autre Etat membre que la France et exploitant des installations en France, qui exercent leur activité dans des secteurs aux caractéristiques différentes du secteur du transport ferroviaire et ne se trouvent dès lors pas dans une situation analogue à celle des opérateurs ferroviaires ;

10. Considérant que les instructions contestées se bornant à commenter le dispositif issu de la loi de finances rectificatives pour 2013 du 29 décembre 2013 qui ne méconnaissent pas, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les normes internationales invoquées par la requérante, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient l'autorité de la chose jugée résultant de la décision du Conseil d'Etat n° 368540 du 26 décembre 2013 annulant une précédente instruction pour méconnaissance du droit communautaire, ne peut qu'être écarté ; qu'il résulte en conséquence de tout ce qui précède que les requêtes de la société Deutsche Bahn doivent être rejetées ; que ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de la société Deutsche Bahn AG sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Deutsche Bahn AG et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème ssr
Numéro d'arrêt : 388221
Date de la décision : 26/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 fév. 2016, n° 388221
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Esther de Moustier
Rapporteur public ?: Mme Nathalie Escaut

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:388221.20160226
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