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19/02/2016 | FRANCE | N°396145

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 19 février 2016, 396145


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association ELENA France, l'association action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), la fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, l'association JRS France - service jésuites des réfugiés, agissant par leurs représentants légaux, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de

justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 15 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association ELENA France, l'association action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), la fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, l'association JRS France - service jésuites des réfugiés, agissant par leurs représentants légaux, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 9 octobre 2015 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant la liste des pays d'origine sûrs, en particulier en ce qu'elle y inscrit la République du Kosovo ;

2°) de mettre à la charge de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le versement d'une somme de 600 euros par association requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision litigieuse préjudicie d'une manière grave et immédiate à leur propre situation, aux intérêts des demandeurs d'asile, aux intérêts supérieurs de l'enfant protégés par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990, ainsi qu'à un intérêt public, la décision contestée portant atteinte à l'efficience du traitement des demandes d'asile adressées à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et l'effectivité des deux annulations successives par le Conseil d'Etat de la liste des pays d'origine sûrs en tant qu'elle incluait la République du Kosovo ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision litigieuse ;

- elle a été prise par une autorité incompétente, au terme d'une procédure irrégulière ;

- elle est entachée d'une méconnaissance de l'article L. 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des articles 37 et 38 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation sur la situation du Kosovo à la date du 16 décembre 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 février 2016, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les associations requérantes n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Par une intervention, enregistrée le 8 février 2016, le ministre de l'intérieur demande que le Conseil d'Etat rejette la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par les associations requérantes n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la loi n°2015-925 du 29 juillet 2015 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part l'association ELENA France, l'association action des chrétiens pour l'abolition de la torture, la fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, le mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, l'association JRS France - Service Jésuites des Réfugiés, d'autre part, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 11 février 2016 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association ELENA France et autres ;

- le représentant de l'association ELENA France ;

- la représentante de l'association ACAT ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- les représentants de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

1. Considérant que le ministre de l'intérieur a intérêt au maintien de l'exécution de la décision du 9 octobre 2015 du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides fixant la liste des pays d'origine sûrs, en particulier en ce qu'elle y inscrit la République du Kosovo ; qu'ainsi son intervention en défense est recevable ;

2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ; que la condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque l'exécution de la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

3. Considérant que, par une décision du 9 octobre 2015, le conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a abrogé la décision du 30 juin 2005 modifiée fixant la liste des pays d'origine sûrs et fixé, sur le fondement de l'article 722-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 37 de l'annexe I de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, une nouvelle liste de ces pays sur laquelle figure notamment la République du Kosovo ; que, pour justifier de l'urgence à suspendre l'exécution de cette décision, les associations requérantes font valoir qu'elle prive les ressortissants de la République du Kosovo, notamment les enfants, des garanties attachées à l'examen des demandes d'asile, qu'elle porte atteinte à l'efficience du traitement des demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qu'elle fait obstacle à l'effectivité de deux décisions successives d'annulation pour excès de pouvoir de la liste des pays d'origine sûrs prononcées par le Conseil d'Etat statuant au contentieux en tant que cette liste comportait la République du Kosovo et, qu'enfin, elle contrevient à leurs intérêts propres ;

4. Considérant, toutefois, que l'inscription sur la liste des pays d'origine sûrs a pour unique objet de déterminer les pays dont les ressortissants verront leur demande d'octroi de l'asile ou de la protection subsidiaire traitée par l'OFPRA selon la procédure accélérée prévue à l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et n'a pas pour effet de les priver des garanties qui s'attachent à la mise en oeuvre du droit d'asile ; qu'en particulier, l'admission au séjour d'un demandeur d'asile ne peut être refusée au motif que l'intéressé serait ressortissant d'un pays d'origine sûr ; que si l'OFPRA statue, lorsque la demande relève de la procédure accélérée, dans un délai de quinze jours, le V de l'article L. 723-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que l'office n'en procède pas moins, dans cette hypothèse, à un examen individuel de chaque demande après convocation à un entretien personnel et dans le respect des garanties procédurales de droit commun ; que l'office a, au demeurant, en vertu de ces mêmes dispositions, toujours la faculté de ne pas statuer en procédure accélérée lorsque cela lui paraît nécessaire pour assurer un examen approprié de la demande, en particulier si le demandeur provenant d'un pays inscrit sur la liste mentionnée au cinquième alinéa de l'article L. 722-1 invoque des raisons sérieuses de penser que son pays d'origine ne peut pas être considéré comme sûr en raison de sa situation personnelle et au regard des motifs de sa demande ; qu'en outre, en vertu des dispositions de l'article L. 743-1 inséré au code de l'entrée et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, les demandeurs d'asile ressortissants d'un pays d'origine sûr bénéficient, lorsqu'ils forment un recours contre le rejet de leur demande par l'OFPRA, du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ; qu'ils conservent le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et de l'allocation prévue à l'article L.744-9 ; que si, en vertu de l'article L. 731-2 du même code, il est en principe statué sur les recours formés devant cette juridiction par les demandeurs d'asile ressortissant d'un pays d'origine sûr non en formation collégiale mais par un juge unique et dans un délai de cinq semaines, cette circonstance n'est pas de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate aux intérêts des intéressés ou à un intérêt public ; qu'au demeurant ce même article précise que, de sa propre initiative ou à la demande du requérant, le juge unique peut, à tout moment de la procédure, renvoyer l'examen de l'affaire à une formation collégiale s'il estime que celle-ci ne relève pas de l'article L. 723-2 ou qu'elle soulève une difficulté sérieuse ; que l'inscription d'un pays sur la liste des pays d'origine sûrs ne préjudicie par suite pas, par elle-même, de manière grave et immédiate aux intérêts de ceux de ses ressortissants qui forment une demande d'asile en France ;

5. Considérant que si les associations requérantes soutiennent en outre que l'inscription, par la décision contestée, de la République du Kosovo sur la liste des pays d'origine sûrs a pour effet de soumettre les demandes d'asile présentées avant le 1er novembre 2015 par les ressortissants de ce pays à un examen selon les règles de procédure, qu'ils estiment moins protectrices, applicables antérieurement à la réforme du droit d'asile opérée par la loi du 29 juillet 2015 et qu'il en découle une atteinte grave et immédiate à la situation des intéressés, l'examen de ces demandes par priorité par l'OFPRA, en application des dispositions des anciens articles L. 723-1 et L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui leur demeurent... ; que s'il résulte du 2° de l'article L. 741-4 que le préfet peut, sous l'empire de ces dispositions, refuser l'admission provisoire au séjour d'un demandeur d'asile en provenance d'un pays considéré comme sûr, l'intéressé peut, en vertu de l'article L. 742-6, se maintenir sur le territoire français jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA ; que ce dernier procède, dans tous les cas, à un examen individuel de la situation de chaque demandeur ; qu'il en va de même, le cas échant, de la Cour nationale du droit d'asile ; que les demandeurs d'asile relevant de cette catégorie ont également droit, jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, au bénéfice de l'allocation temporaire d'attente ainsi que d'un hébergement d'urgence ; que, si ces demandeurs font l'objet d'une mesure d'éloignement, ils peuvent introduire, devant la juridiction administrative, un recours suspensif, à l'occasion duquel peut en particulier être discuté le choix du pays de renvoi, au regard notamment des risques auxquels l'intéressé soutiendrait, le cas échéant, être exposé en cas de retour dans ce pays ; qu'en cas d'éloignement effectif, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que le recours que l'intéressé a pu présenter à la Cour nationale du droit d'asile soit examiné ; que la décision contestée ne porte pas davantage à la situation des demandeurs d'asile ressortissants de la République du Kosovo ayant déposé une demande d'asile entre la date de son entrée en vigueur et le 1er novembre 2015 une atteinte grave et immédiate ;

6. Considérant que contrairement à ce qui est soutenu, la décision attaquée est, par elle-même, sans incidence sur la situation des mineurs accompagnant leurs parents ou sur celle des mineurs isolés, auxquelles elle ne porte, par suite, aucune atteinte de nature à caractériser une situation d'urgence ;

7. Considérant que l'examen, selon la procédure accélérée, des demandes d'asiles présentées par les ressortissants de pays considérés comme des pays d'origine sûrs ne préjudicie pas, contrairement à ce qui est soutenu, au traitement efficient des demandes d'asile dans leur ensemble par l'OFPRA et la Commission nationale du droit d'asile ; qu'au contraire, le recours à cette procédure, auquel il peut toujours être renoncé lorsque cela paraît nécessaire pour assurer un examen approprié de la demande, est de nature à favoriser un traitement adapté aux nécessités de la situation de chaque demandeur d'asile ; que la décision attaquée ne porte ainsi aucune atteinte à un intérêt public de nature à caractériser une situation d'urgence ; que la circonstance que le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, par des décisions n° 349174, 349356, 349357, 349653 et 350189 du 26 mars 2012 et n° 375474 et 375920 du 10 octobre 2014, annulé l'inscription de la République du Kosovo sur la liste des pays d'origine sûrs n'est pas davantage de nature à créer, par elle-même, une situation d'urgence au sens des dispositions précitées de l'article L. 521-1 du code de justice administrative en l'absence de préjudice grave et immédiat causé par cette décision à la situation des demandeurs d'asile concernés, le respect de la condition d'urgence s'appréciant de manière indépendante de la question de l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ;

8. Considérant, enfin, que l'existence d'un préjudice porté par la décision contestée à la situation propre des associations requérantes n'est pas établie ;

9. Considérant que, dans ces conditions, et alors que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, sera normalement en mesure de se prononcer sur la requête en annulation dans les prochains mois, la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie ; qu'il en résulte que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, la requête de l'association Elena et autres doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention du ministre de l'intérieur est admise.

Article 2 : La requête de l'Association ELENA France et autres est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Elena, premier requérant dénommé, à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et au ministre de l'intérieur. Les autres requérants seront informés de la présente décision par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui les représente devant le Conseil d'Etat.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 396145
Date de la décision : 19/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 fév. 2016, n° 396145
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2016:396145.20160219
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