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11/12/2015 | FRANCE | N°384242

France | France, Conseil d'État, 6ème / 1ère ssr, 11 décembre 2015, 384242


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Gadiou, Chevallier et la SCP Odent, Poulet à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison, d'une part, du dépôt tardif d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, rejeté pour irrecevabilité, et, d'autre part, de la perte de leur dossier de fond, et à leur verser, in solidum, une somme de 55 866 euros à titre de dommages et intérêts, augment

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2°) de mettre à la cha...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) de condamner la SCP Gadiou, Chevallier et la SCP Odent, Poulet à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis à raison, d'une part, du dépôt tardif d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, rejeté pour irrecevabilité, et, d'autre part, de la perte de leur dossier de fond, et à leur verser, in solidum, une somme de 55 866 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts légaux capitalisés au bout d'un an ;

2°) de mettre à la charge de ces deux SCP la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- l'ordonnance du 10 septembre 1817, notamment son article 13 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- l'avis du 28 mai 2014 du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,

- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, avocat de M. et MmeB..., à la SCP Tiffreau, Marlange, de la Burgade, avocat de la SCP Gadiou, Chevallier et à la SCP Boutet, Hourdeaux, avocat de la SCP Odent, Poulet ;

1. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 13 de l'ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, l'ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation, fixe le nombre des titulaires et contient des dispositions pour la discipline intérieure de l'Ordre, dans sa rédaction issue du décret du 11 janvier 2002 relatif à la discipline des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation : " (...) Les actions en responsabilité civile professionnelle engagées à l'encontre d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation sont portées, après avis du conseil de l'ordre, devant le Conseil d'Etat, quand les faits ont trait aux fonctions exercées devant le tribunal des conflits et les juridictions de l'ordre administratif, et devant la Cour de cassation dans les autres cas.(...) " ;

2. Considérant que, par un jugement du 5 février 2010, le tribunal administratif de Toulouse n'a que partiellement fait droit à la demande de M. et Mme B...tendant à ce que le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) du canton de Saint-Lys, le département de la Haute-Garonne et l'entreprise Etablissements Baylac et Dumont soient condamnés à les indemniser in solidum à hauteur de 45 236 euros au titre des dommages occasionnés par l'exécution de travaux de réhabilitation et de curage de fossés en leur allouant une somme de 10 000 euros ; que, par un arrêt du 6 janvier 2011, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté leur requête tendant à la réformation de ce jugement ; que, par une ordonnance du 23 septembre 2011, la présidente de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a rejeté pour tardiveté le pourvoi de M. et Mme B...dirigé contre cet arrêt ;

3. Considérant que les requérants ont demandé à la SCP Odent, Poulet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, de les représenter en cassation ; que, après avoir reçu le dossier de fond transmis par les intéressés, la SCP Odent, Poulet a décliné cette demande, au motif qu'elle était l'avocat de l'une des parties au litige ; que les requérants se sont alors tournés vers la SCP Gadiou, Chevallier, également avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que le dossier a toutefois été égaré lors de sa transmission à ce deuxième avocat ; que les requérants soutiennent, en premier lieu, qu'en omettant d'accomplir les diligences nécessaires pour que leur pourvoi soit formé dans le délai, les avocats ont commis une faute, qui leur a fait perdre une chance sérieuse d'obtenir tant l'annulation de l'arrêt du 6 janvier 2011 de la cour administrative d'appel de Bordeaux que l'indemnisation des préjudices causés par les travaux litigieux ; qu'ils soutiennent, en second lieu, que cette irrecevabilité et la perte fautive, lors des échanges entre les avocats, de leur dossier de fond leur ont également causé un préjudice moral ;

Sur les conclusions indemnitaires fondées sur la perte de chance sérieuse :

4. Considérant que, pour apprécier si l'avocat a commis une faute, il y a lieu de déterminer s'il a normalement accompli avec les diligences suffisantes les devoirs de sa charge, à condition que son client l'ait mis en mesure de le faire ; qu'il appartient notamment à l'avocat de recueillir auprès de ses clients l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer, au mieux, la défense de leurs intérêts ; que, pour l'appréciation de la responsabilité de l'avocat, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, du comportement du client et de ses autres conseils ; que, dans le cas où il y aurait eu négligence, il y a lieu de déterminer si cette négligence, en privant le client d'une chance sérieuse de succès du recours, a été de nature à lui porter un préjudice de nature à lui ouvrir droit à réparation ;

5. Considérant que la SCP Gadiou, Chevallier soutient qu'elle a été induite en erreur sur le délai imparti pour introduire le pourvoi ; qu'elle fait notamment valoir que le courrier du 10 février 2011 qui lui a été adressé par M. et Mme B...était accompagné d'une lettre du 27 janvier 2011 du greffe de la cour administrative d'appel transmettant aux intéressés copie de l'arrêt attaqué et que ces derniers ne l'ont alertée que le 10 mars 2011 sur l'existence d'une précédente lettre du greffe datée du 6 janvier 2011, soit le jour même de la lecture de l'arrêt ; qu'il résulte toutefois de l'instruction, d'une part, que la lettre du greffe du 27 janvier 2011, qui faisait mention d'une copie de l'arrêt attaqué, ne pouvait être regardée comme la notification initiale de cet arrêt, et, d'autre part, qu'était jointe au courrier du 10 février 2011 de M. et Mme B... une copie de la lettre par laquelle la SCP Odent, Poulet, tout en indiquant qu'elle ne pouvait se charger de leur pourvoi, suggérait, à titre de précaution, de retenir la date limite du 7 mars 2011 pour introduire le pourvoi ; qu'ainsi, la SCP Gadiou, Chevallier ne peut soutenir qu'elle n'a pas été informée en temps utile de l'incertitude sur la date limite d'introduction du pourvoi ; qu'il en résulte qu'en omettant d'accomplir les diligences nécessaires pour que le Conseil d'Etat soit saisi du pourvoi dans le délai de recours imparti par le code de justice administrative, la SCP Gadiou, Chevallier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de M. et Mme B...; qu'en revanche, la responsabilité de la SCP Odent, Poulet n'est pas susceptible d'être engagée ;

6. Considérant, toutefois, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. et Mme B... auraient perdu une chance sérieuse d'obtenir la cassation de l'arrêt qu'ils entendaient attaquer, eu égard aux moyens qu'ils soulèvent, tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en jugeant que l'exception de prescription quadriennale avait été régulièrement soulevée par le SIVOM du canton de Saint-Lys et en confirmant que les dommages antérieurs à l'année 1996 ne pouvaient être indemnisés, de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant qu'ils n'avaient pas saisi le SIVOM d'une réclamation au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, propre à interrompre le délai de prescription, avant leur lettre du 4 mai 2001, de ce que la cour aurait également dénaturé les pièces du dossier en jugeant qu'elles n'étaient pas de nature à établir que les premiers juges avaient procédé à une appréciation insuffisante du préjudice lié aux malfaçons constatées postérieurement aux travaux litigieux, de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en rejetant leurs conclusions tendant à une indemnisation complémentaire à raison d'engagements que le SIVOM avait pris à leur égard et n'avait pas tenus, enfin de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier en jugeant qu'ils n'établissaient pas que les malfaçons constatées lors des travaux de curage des fossés étaient à l'origine de la surconsommation d'eau dont l'indemnisation était demandée ;

7 Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. et Mme B...au titre de la perte de chance sérieuse d'obtenir la cassation de l'arrêt qu'ils entendaient attaquer doivent être rejetées ;

Sur le préjudice moral :

8. Considérant, d'une part, qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment que l'irrecevabilité qui a été opposée au pourvoi de M. et Mme B...est imputable à une faute de la SCP Gadiou, Chevallier ; que la circonstance que cette irrecevabilité n'a pas privé M. et Mme B..., ainsi qu'il a été dit au point 7, d'une chance sérieuse d'obtenir gain de cause, ne fait pas obstacle à ce que les intéressés demandent réparation à cet avocat du préjudice moral qui a pu leur être ainsi occasionné ; qu'en l'espèce, il y a lieu de retenir l'existence d'un tel préjudice, dont il sera fait une juste appréciation en condamnant la SCP Gadiou, Chevallier à verser à M. et Mme B...la somme de 2 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

9. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que le dossier de fond que M. et Mme B...avaient adressé à la SCP Odent, Poulet n'est pas parvenu à la SCP Gadiou, Chevallier ; que, dans les circonstances de l'espèce, la perte du dossier doit être regardée comme imputable à la SCP Odent, Poulet, à laquelle il appartenait de s'assurer de son bon acheminement à son destinataire ; que si la perte du dossier n'a pas eu d'incidence sur l'issue du litige, dès lors que la SCP Gadiou, Chevallier a été en mesure d'instruire le pourvoi, cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle à ce que les intéressés demandent réparation du préjudice moral qui a pu leur être ainsi occasionné ; qu'en l'espèce, il y a lieu de retenir l'existence d'un tel préjudice, dont il sera fait une juste appréciation en condamnant la SCP Odent, Poulet à verser à M. et Mme B...la somme de 1 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCP Odent, Poulet et de la SCP Gadiou, Chevallier la somme de 1 500 euros chacune au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

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Article 1er : La SCP Odent, Poulet et la SCP Gadiou, Chevallier sont condamnées à verser à M. et Mme B...respectivement une somme de 1 000 euros et une somme de 2 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision.

Article 2 : La SCP Odent, Poulet et la SCP Gadiou, Chevallier verseront à M. et Mme B...la somme de 1 500 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B...est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme A...B..., à la SCP Gadiou, Chevallier, à la SCP Odent, Poulet.

Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.


Synthèse
Formation : 6ème / 1ère ssr
Numéro d'arrêt : 384242
Date de la décision : 11/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES - MAGISTRATS ET AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AUXILIAIRES DE LA JUSTICE - AVOCATS - AVOCATS AU CONSEIL D'ETAT ET À LA COUR DE CASSATION - RESPONSABILITÉ - PRÉJUDICE INDEMNISABLE - PRÉJUDICE MORAL - INCLUSION.

37-04-04-01 La circonstance que l'irrecevabilité opposée au pourvoi d'un requérant, imputable à son avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ne l'a pas privé d'une chance sérieuse d'obtenir gain de cause, ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé demande réparation à cet avocat du préjudice moral qui a pu lui être ainsi occasionné.

PROFESSIONS - CHARGES ET OFFICES - CONDITIONS D'EXERCICE DES PROFESSIONS - PROFESSIONS S'EXERÇANT DANS LE CADRE D'UNE CHARGE OU D'UN OFFICE - AVOCATS AUX CONSEILS - RESPONSABILITÉ - PRÉJUDICE INDEMNISABLE - PRÉJUDICE MORAL - INCLUSION.

55-03-05-01 La circonstance que l'irrecevabilité opposée au pourvoi d'un requérant, imputable à son avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ne l'a pas privé d'une chance sérieuse d'obtenir gain de cause, ne fait pas obstacle à ce que l'intéressé demande réparation à cet avocat du préjudice moral qui a pu lui être ainsi occasionné.


Publications
Proposition de citation : CE, 11 déc. 2015, n° 384242
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Xavier de Lesquen
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE ; SCP BOUTET, HOURDEAUX ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:384242.20151211
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