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07/12/2015 | FRANCE | N°378323

France | France, Conseil d'État, 7ème / 2ème ssr, 07 décembre 2015, 378323


Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 20 décembre 2011 du ministre de la défense rejetant sa demande, présentée en qualité d'ayant droit, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par un jugement n° 1200275 du 28 mars 2013, le tribunal a fait droit à sa demande et a enjoint au ministre de proposer à Mme A...une réparation intégrale du préjudice subi

par son époux.

Par un arrêt n° 13LY01435 du 20 février 2014, la cour adm...

Vu la procédure suivante :

Mme B...A...a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 20 décembre 2011 du ministre de la défense rejetant sa demande, présentée en qualité d'ayant droit, tendant au bénéfice de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Par un jugement n° 1200275 du 28 mars 2013, le tribunal a fait droit à sa demande et a enjoint au ministre de proposer à Mme A...une réparation intégrale du préjudice subi par son époux.

Par un arrêt n° 13LY01435 du 20 février 2014, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement sur recours du ministre de la défense.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 avril 2014, 21 juillet 2014 et 25 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter le recours du ministre de la défense ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- le décret n° 2010-653 du 11 juin 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, auditeur,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de Mme A...;

1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; qu'aux termes du I de l'article 4 de cette même loi, dans sa version applicable au litige : " Les demandes d'indemnisation sont soumises à un comité d'indemnisation (...) " et qu'aux termes du II de ce même article : " Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé (...) " ; qu'aux termes de l'article 7 du décret du 11 juin 2010, pris pour l'application de la loi du 5 janvier 2010, dans sa rédaction alors applicable : " (...) Le comité d'indemnisation détermine la méthode qu'il retient pour formuler sa recommandation au ministre en s'appuyant sur les méthodologies recommandées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. (...) " ;

2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu faire bénéficier toute personne souffrant d'une maladie radio-induite ayant résidé ou séjourné, durant des périodes déterminées, dans des zones géographiques situées en Polynésie française et en Algérie, d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ; que, toutefois, cette présomption peut être renversée lorsqu'il est établi que le risque attribuable aux essais nucléaires, apprécié tant au regard de la nature de la maladie que des conditions particulières d'exposition du demandeur, est négligeable ; qu'à ce titre, l'appréciation du risque peut notamment prendre en compte le délai de latence de la maladie, le sexe du demandeur, son âge à la date du diagnostic, sa localisation géographique au moment des tirs, les fonctions qu'il exerçait effectivement, ses conditions d'affectation, ainsi que, le cas échéant, les missions de son unité au moment des tirs ;

3. Considérant que le calcul de la dose reçue de rayonnements ionisants constitue l'un des éléments sur lequel l'autorité chargée d'examiner la demande peut se fonder afin d'évaluer le risque attribuable aux essais nucléaires ; que si, pour ce calcul, l'autorité peut utiliser les résultats des mesures de surveillance de la contamination tant interne qu'externe des personnes exposées, qu'il s'agisse de mesures individuelles ou collectives en ce qui concerne la contamination externe, il lui appartient de vérifier, avant d'utiliser ces résultats, que les mesures de surveillance de la contamination interne et externe ont, chacune, été suffisantes au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé, et sont ainsi de nature à établir si le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; qu'en l'absence de mesures de surveillance de la contamination interne ou externe et en l'absence de données relatives au cas des personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur du point de vue du lieu et de la date de séjour, il appartient à cette même autorité de vérifier si, au regard des conditions concrètes d'exposition de l'intéressé précisées ci-dessus, de telles mesures auraient été nécessaires ; que si tel est le cas, l'administration ne peut être regardée comme rapportant la preuve de ce que le risque attribuable aux essais nucléaires doit être regardé comme négligeable et la présomption de causalité ne peut être renversée ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a été affecté à bord du bâtiment de débarquement de chars Cheliff en Polynésie française entre le 23 septembre 1966 et le 8 août 1967, puis à compter du 9 août 1967 à bord du bâtiment de soutien logistique Rance effectuant un voyage retour vers la métropole ; qu'il a développé un cancer du poumon, diagnostiqué en février 2002 dont il est décédé le 26 janvier 2005 ;

5. Considérant que, pour déterminer si le risque attribuable aux essais nucléaires était ou non négligeable, la cour administrative d'appel de Lyon a recherché sans erreur de droit les conditions d'exposition de l'intéressé ; que, toutefois, si elle a ainsi tenu compte des missions exercées par M.A..., celles du Cheliff sur lequel ce dernier était affecté et enfin la position de ce bâtiment lors de l'essai " Rigel " du 24 septembre 1966, elle n'a pas recherché quelle était la position de ce même navire lors des quatre autres essais nucléaires ayant eu lieu dans la zone durant le séjour de M. A...; que ce faisant, elle n'a pu vérifier si les mesures de surveillance au titre de la contamination externe et celles au titre de la contamination interne étaient suffisantes au regard de l'ensemble des conditions d'exposition de l'intéressé et ne pouvait, dès lors, sans commettre d'erreur de droit, déduire des résultats des seules mesures existantes que le risque attribuable aux essais nucléaires était négligeable ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt doit être annulé ;

6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances d'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à Mme A...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 20 février 2014 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Lyon.

Article 3 : L'Etat versera à Mme A...la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B...A...et au ministre de la défense.


Synthèse
Formation : 7ème / 2ème ssr
Numéro d'arrêt : 378323
Date de la décision : 07/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 07 déc. 2015, n° 378323
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Charline Nicolas
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:378323.20151207
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