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27/11/2015 | FRANCE | N°378266

France | France, Conseil d'État, 5ème / 4ème ssr, 27 novembre 2015, 378266


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard à réparer les préjudices qu'il a subis du fait de sa prise en charge, le 21 septembre 2005, au service des urgences de cet établissement. Les caisses primaires d'assurance maladie du Doubs et de la Haute-Saône ont demandé le remboursement de leurs débours. Par un jugement n° 1101435 du 29 janvier 2013, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à M. A...une indemnité de 17 000 euros, sous déduction d'une

somme de 12 000 euros déjà versée, et rejeté les demandes des caisses...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard à réparer les préjudices qu'il a subis du fait de sa prise en charge, le 21 septembre 2005, au service des urgences de cet établissement. Les caisses primaires d'assurance maladie du Doubs et de la Haute-Saône ont demandé le remboursement de leurs débours. Par un jugement n° 1101435 du 29 janvier 2013, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à verser à M. A...une indemnité de 17 000 euros, sous déduction d'une somme de 12 000 euros déjà versée, et rejeté les demandes des caisses.

Par un arrêt n° 13NC00505, 13NC00568 du 20 février 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur la requête de M.A..., réformé ce jugement en portant à 64 212,30 euros l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard et a rejeté l'appel formé par la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs.

Par un pourvoi enregistré le 22 avril 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il rejette son appel ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Collet, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs, à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de M. A... ;

1. Considérant que, par un jugement du tribunal administratif de Besançon du 29 juillet 2013, le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard a été reconnu responsable d'un retard dans le diagnostic et la prise en charge du cancer de la vessie dont M. A...était atteint lorsqu'il a été admis aux urgences du centre hospitalier le 21 septembre 2005, à l'origine d'une perte de chance, évaluée au taux de 20 %, d'échapper aux conséquences de ce cancer et, notamment, de subir une ablation de la vessie ; que le tribunal administratif a mis à la charge du centre hospitalier le versement à M. A...d'une indemnité de 17 000 euros mais a rejeté les demandes des caisses primaires d'assurance maladie du Doubs et de la Haute-Saône tendant au remboursement de leurs débours ; que, par un arrêt du 20 février 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a estimé comme les premiers juges que le centre hospitalier devait réparer, au titre d'une perte de chance, 20 % du dommage corporel, mais, faisant partiellement droit à l'appel de M.A..., a porté à 64 212,30 euros l'indemnité due à celui-ci ; que la cour a, en revanche, rejeté l'appel formé par la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs au motif que cette caisse n'avait pas justifié la part de ces débours effectivement imputable à la dégradation de l'état de santé résultant du retard dans le diagnostic du cancer ; que la caisse se pourvoit contre l'arrêt en tant qu'il rejette ses conclusions ; qu'en réponse à la communication de ce pourvoi, M. A... présente des conclusions tendant à ce que l'arrêt soit annulé en tant qu'il limite la responsabilité du centre hospitalier à 20 % du dommage corporel ;

Sur le pourvoi de la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs :

2. Considérant que l'arrêt attaqué rejette les conclusions de la CPAM du Doubs tendant au remboursement de ses débours au motif que les justificatifs produits ne font pas apparaître le quantum des débours liés au seul cancer de la vessie ; que, cependant, il résultait nécessairement des constatations de la cour sur la faute commise par le centre hospitalier et la perte de chance qui en était résultée pour M. A...qu'une partie au moins des dépenses dont la caisse faisait état était directement liée à la faute de l'hôpital ; qu'il appartenait à la cour, dès lors qu'elle estimait insuffisants les éléments produits, d'inviter la caisse à les préciser et, au besoin, d'ordonner une expertise ou toute autre mesure d'instruction afin de vérifier l'imputabilité des dépenses au cancer de la vessie ; que la cour a ainsi méconnu son office ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la CPAM du Doubs est fondée à demander l'annulation de l'arrêt du 20 février 2014 en tant qu'il statue sur les préjudices indemnisables au titre des pertes de revenus avant consolidation et des dépenses de santé ; que, compte tenu du lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d'assurance maladie à laquelle elle est affiliée, l'erreur de droit commise par la cour doit entraîner l'annulation de cet arrêt en tant qu'il se prononce sur ces postes de préjudice tant en ce qui concerne les droits de la caisse que de ceux de la victime ;

Sur le pourvoi de M.A... :

3. Considérant qu'eu égard au lien que les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale établissent entre la détermination des droits de la victime d'un accident et celle des droits de la caisse de sécurité sociale à laquelle elle est affiliée, quand un arrêt ayant statué sur des conclusions indemnitaires de la victime et de la caisse dirigées contre l'auteur de l'accident a fait l'objet d'un pourvoi de la victime introduit dans le délai légal, la caisse peut former à son tour un pourvoi, même si le délai légal est expiré ; que, de même, le pourvoi régulièrement exercé par la caisse ouvre à la victime la possibilité de former un pourvoi, malgré l'expiration du délai ; que, dans ces conditions, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, les conclusions présentées par M. A...contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy en tant qu'il détermine le montant de son préjudice indemnisable sont recevables ;

4. Mais considérant qu'il ressort des termes de son arrêt que la cour administrative d'appel de Nancy a imputé au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard deux fautes distinctes consistant, d'une part, à ne pas avoir réalisé d'examens complémentaires à la suite de l'échographie abdominale du 21 septembre 2005 mettant en évidence la présence d'un polype et, d'autre part, à ne pas avoir informé M.A... de la présence de ce polype et l'avoir ainsi empêché de faire procéder à ces examens complémentaires par d'autres médecins ; qu'en estimant que ces deux fautes s'étaient combinées pour faire perdre au patient une chance d'éviter l'aggravation de son état de santé et l'ablation de sa vessie et en évaluant à 20 %, comme les premiers juges, le taux de cette perte de chance, la cour a suffisamment motivé son arrêt et n'a pas commis d'erreur de droit ; que, par suite, M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il détermine l'étendue de la responsabilité du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard ;

5. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy doit être annulé en tant seulement qu'il statue sur les droits de M. A...et de la CPAM du Doubs au titre des pertes de revenus avant consolidation et des dépenses de santé ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Belfort-Montbéliard une somme de 3 500 euros à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. A...au titre des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 20 février 2014 est annulé en tant qu'il statue sur les droits de M. A...et de la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs au titre des pertes de revenus avant consolidation et des dépenses de santé.

Article 2 : Le pourvoi de M. A...est rejeté.

Article 3 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy dans la mesure de la cassation prononcée.

Article 4 : Le centre hospitalier de Belfort-Montbéliard versera à la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie du Doubs, à M. B... A...et au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard.


Synthèse
Formation : 5ème / 4ème ssr
Numéro d'arrêt : 378266
Date de la décision : 27/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

PROCÉDURE - POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE - QUESTIONS GÉNÉRALES - DEVOIRS DU JUGE - LITIGE INDEMNITAIRE TENDANT À LA RÉPARATION DU DOMMAGE CORPOREL PAR L'AUTEUR DE L'ACCIDENT - REJET DES CONCLUSIONS INDEMNITAIRES AU MOTIF QUE LES JUSTIFICATIFS PRODUITS NE FONT PAS APPARAÎTRE LE QUANTUM DES DÉBOURS LIÉS AU SEUL POSTE DE PRÉJUDICE EN CAUSE - MÉCONNAISSANCE PAR LE JUGE DE SON OFFICE [RJ1] - CONSÉQUENCES POUR LE JUGE DE CASSATION [RJ2].

54-07-01-07 Le juge dont les constatations sur la faute commise par un centre hospitalier et la perte de chance qui en était résultée pour la victime impliquent qu'une partie au moins des dépenses dont la caisse de sécurité sociale fait état devant lui est directement liée à la faute de l'hôpital méconnaît son office en rejetant les conclusions de la caisse au motif que les justificatifs qu'elle produit ne font pas apparaître le quantum des débours liés au seul préjudice en cause. Il lui appartenait, s'il estimait insuffisants les éléments produits, d'inviter la caisse à les préciser et, au besoin, d'ordonner une expertise ou toute autre mesure d'instruction afin de vérifier l'imputabilité des dépenses à ce poste de préjudice.,,,Compte tenu du lien qu'établissent les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d'assurance maladie à laquelle elle est affiliée, annulation de l'arrêt en tant qu'il se prononce sur ce poste de préjudice tant en ce qui concerne les droits de la caisse que ceux de la victime.

RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RÉPARATION - ÉVALUATION DU PRÉJUDICE - LITIGE INDEMNITAIRE TENDANT À LA RÉPARATION DU DOMMAGE CORPOREL PAR L'AUTEUR DE L'ACCIDENT - REJET DES CONCLUSIONS INDEMNITAIRES AU MOTIF QUE LES JUSTIFICATIFS PRODUITS NE FONT PAS APPARAÎTRE LE QUANTUM DES DÉBOURS LIÉS AU SEUL POSTE DE PRÉJUDICE EN CAUSE - MÉCONNAISSANCE PAR LE JUGE DE SON OFFICE [RJ1].

60-04-03 Le juge dont les constatations sur la faute commise par un centre hospitalier et la perte de chance qui en était résultée pour la victime impliquent qu'une partie au moins des dépenses dont la caisse de sécurité sociale fait état devant lui est directement liée à la faute de l'hôpital méconnaît son office en rejetant les conclusions de la caisse au motif que les justificatifs qu'elle produit ne font pas apparaître le quantum des débours liés au seul préjudice en cause. Il lui appartenait, s'il estimait insuffisants les éléments produits, d'inviter la caisse à les préciser et, au besoin, d'ordonner une expertise ou toute autre mesure d'instruction afin de vérifier l'imputabilité des dépenses à ce poste de préjudice.


Références :

[RJ1]

Cf. CE, 15 décembre 2010, Groupement d'intérêt économique garde ambulancière 80 et autres, n° 330867, T. pp. 923-981., ,

[RJ2]

Cf. CE, Section, 1er juillet 2005, S., n° 234403, p. 300.


Publications
Proposition de citation : CE, 27 nov. 2015, n° 378266
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Lionel Collet
Rapporteur public ?: M. Nicolas Polge
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE ; LE PRADO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:378266.20151127
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