Vu la procédure suivante :
La société Metro Holding France, venant aux droits de la société CRFP Cash, a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sur l'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2003 ainsi que des pénalités correspondantes. A l'appui de sa demande, elle a demandé au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le paragraphe b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts. Par une ordonnance du 28 septembre 2010, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a rejeté cette demande de transmission puis, par un jugement n° 0903518 du 8 juillet 2011, le tribunal administratif a rejeté la demande de la société requérante.
Par un arrêt n° 11VE03279 du 29 janvier 2013, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la société Metro Holding France ainsi que sa contestation du refus de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui avait été opposé par ordonnance du 28 septembre 2010.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 mars et 28 juin 2013 et les 24 avril et 28 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Metro Holding France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'arrêt C-138/07 du 12 février 2009 de la Cour de justice des communautés européennes ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Esther de Moustier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Metro Holding France venant aux droits de la société CRFP Cash ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au cours de l'année 2003, la société CRFP Cash a cédé à son actionnaire unique, la société Metro Holding France, les actions qu'elle détenait dans le capital de celle-ci, représentant 20 % de son capital ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier au 23 septembre 2003, l'administration fiscale a rehaussé d'un montant de 146 829 710 euros le résultat imposable de la société Metro Holding France, venue aux droits de la société CRFP Cash, au motif que le produit exceptionnel enregistré par cette dernière à la suite de la vente des actions dites d'autocontrôle qu'elle détenait dans la société Metro Holding France était exclu du bénéfice du régime des sociétés mères, en application du paragraphe b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, dès lors que ces actions n'étaient pas assorties de droits de vote ; que la société Metro Holding France se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 janvier 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a, par l'article 2 de cet arrêt, rejeté son appel tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires, après avoir, par l'article 1er, rejeté la contestation du refus opposé par le tribunal à sa demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'alinéa b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts ;
2. Considérant que les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;
3. Considérant que la société Metro Holding France soutenait devant la cour administrative d'appel de Versailles que le b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts méconnaissait le droit communautaire et instaurait en conséquence une discrimination à rebours, contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques dès lors que les sociétés mères détenant des filiales en France se voyaient appliquer le droit interne, tandis que les sociétés mères détenant des filiales dans d'autres Etats membres de la communauté européenne étaient soumises aux dispositions communautaires, plus favorables ; qu'en écartant ce grief d'inconstitutionnalité au motif que, portant sur un défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux de la France ou au droit communautaire, il ne pouvait être invoqué à l'appui d'un moyen d'inconstitutionnalité soulevé sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution, la cour s'est méprise sur la portée des écritures de la société requérante et a, par suite, commis une erreur de droit ; que, par suite, la société est fondée à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'elle attaque ;
4. Considérant qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, d'examiner immédiatement la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour ;
5. Considérant que l'article 3 de la directive du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'Etats membres différents, dans sa rédaction en vigueur en 2003, dispose : " 1. Aux fins de l'application de la présente directive : / a) la qualité de société mère est reconnue au moins à toute société d'un Etat membre qui remplit les conditions énoncées à l'article 2 et qui détient, dans le capital d'une société d'un autre État membre remplissant les mêmes conditions, une participation minimale de 25 % ; (...) / 2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres ont la faculté : / - par voie d'accord bilatéral, de remplacer le critère de participation dans le capital par celui de détention des droits de vote (...) " ; qu'aux termes de son article 4, dans sa rédaction alors en vigueur : " 1. Lorsqu'une société mère reçoit, à titre d'associée de sa société filiale, des bénéfices distribués autrement qu'à l'occasion de la liquidation de celle-ci, l'Etat de la société mère: / - soit s'abstient d'imposer ces bénéfices, - soit les impose, tout en autorisant cette société à déduire du montant de son impôt la fraction de l'impôt de la filiale afférente à ces bénéfices et, le cas échéant, le montant / de la retenue à la source perçue par l'Etat membre de résidence de la filiale en application des dispositions dérogatoires de l'article 5, dans la limite du montant de l'impôt national correspondant. (...) " ;
6. Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en 2003 : " 1. Le régime fiscal des sociétés mères, tel qu'il est défini à l'article 216, est applicable aux sociétés (...) qui détiennent des participations satisfaisant aux conditions ci-après : / (...) b. les titres de participation doivent représenter au moins 5 % du capital de la société émettrice ; ce pourcentage s'apprécie à la date de mise en paiement des produits de la participation (...). 6. Le régime fiscal des sociétés mères n'est pas applicable : / (...) b.ter. aux produits des titres auxquels ne sont pas attachés des droits de vote (...) " ; que l'article 216 du même code dispose : " I. Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci, défalcation faite d'une quote-part de frais et charges (...) " ;
7. Considérant que le régime des sociétés mères résultant des articles 145 et 216 du code général des impôts, issu de textes législatifs antérieurs à la directive du 23 juillet 1990 et qui n'a pas été modifié à la suite de l'intervention de cette directive, doit être regardé comme assurant la transposition de ses objectifs ; que le législateur n'a pas entendu traiter différemment les situations concernant uniquement des sociétés françaises, qui sont hors du champ de cette directive, et celles qui, concernant des sociétés d'Etats membres différents, sont seules dans son champ ; que l'obligation de l'Etat membre ayant choisi le système prévu au premier tiret du paragraphe 1 de l'article 4 précité de la directive, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, de s'abstenir d'imposer les bénéfices que la société mère reçoit, à titre d'associée, de sa société filiale n'est assortie d'aucune condition et est exprimée sous la seule réserve des paragraphes 2 et 3 du même article ainsi que de celle prévue au paragraphe 2 de l'article 1er de cette directive, qui précise que celle-ci ne fait pas obstacle à l'application de dispositions nationales ou conventionnelles nécessaires afin d'éviter les fraudes et abus ; que, par conséquent, en excluant la possibilité de déduire du bénéfice net total de la société mère les produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n'est attaché, alors que ni l'article 4, ni l'article 1er de la directive ne prévoient une telle restriction, les dispositions du b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts méconnaissent les objectifs de la directive dont elles assurent la transposition ; qu'elles ne peuvent, dès lors, être légalement appliquées qu'aux situations concernant uniquement des sociétés françaises, qui sont hors du champ de cette directive, et que le juge, saisi de moyens en ce sens, doit en écarter l'application lorsque sont en cause des sociétés d'Etats membres différents ;
8. Considérant que, dans ces conditions, les dispositions du b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts créent une différence de traitement entre les sociétés mères françaises, selon que les filiales dont elles perçoivent des distributions sont établies en France ou dans d'autres Etats membres de l'Union européenne ; que ces dispositions, qui doivent être regardées comme applicables au litige dont était saisie la cour dès lors qu'elles ont été opposées à la société requérante, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 présente un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel et de surseoir à statuer sur le surplus des conclusions de la société Metro Holding France jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché cette question prioritaire de constitutionnalité ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 janvier 2013 est annulé.
Article 2 : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du b. ter du 6 de l'article 145 du code général des impôts est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 3 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions du pourvoi de la société Metro Holding France contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 29 janvier 2013 jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Metro Holding France et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.