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09/11/2015 | FRANCE | N°384673

France | France, Conseil d'État, 10ème / 9ème ssr, 09 novembre 2015, 384673


Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 septembre 2014, 22 décembre 2014 et 21 mai 2015, la société les éditions Néressis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2014-039 du 21 juillet 2014 de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en tant qu'elle la met en demeure de cesser de collecter et traiter les données à caractère personnel des personnes (prospects) ayant publié, sur un site internet co

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Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 septembre 2014, 22 décembre 2014 et 21 mai 2015, la société les éditions Néressis demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2014-039 du 21 juillet 2014 de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en tant qu'elle la met en demeure de cesser de collecter et traiter les données à caractère personnel des personnes (prospects) ayant publié, sur un site internet concurrent, une annonce immobilière mentionnant leur refus de tout démarchage commercial ;

2°) de mettre à la charge de la CNIL la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le code des postes et des communications électroniques ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Jolivet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la société les éditions Néressis ;

1. Considérant que suite à deux courriers de la société LBC, exploitant le site " www.leboncoin.fr ", relayant des plaintes adressées par ses utilisateurs, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a procédé le 17 février 2014 à une mission de contrôle auprès de la société les éditions Néressis, dont le nom commercial est " PAP de particulier à particulier - le journal des particuliers " ; que, postérieurement à ce contrôle, par décision du 21 juillet 2014, la présidente de la CNIL a mis en demeure la société les éditions Néressis de se conformer, sous un délai de trois mois, à diverses préconisations et notamment de " collecter et traiter des données de manière loyale, notamment en cessant de collecter et traiter les données à caractère personnel des personnes (prospects) ayant publié, sur un site internet concurrent, une annonce immobilière mentionnant leur refus de tout démarchage commercial " ; que la société les éditions Néressis demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision sur ce point ;

2. Considérant que les deux agents ayant procédé aux opérations de contrôle au sein de la société les éditions Néressis ont été habilités par deux délibérations du bureau de la CNIL en date des 11 avril et 19 septembre 2013, publiées au Journal officiel, à effectuer les visites et vérifications mentionnées à l'article 44 de la loi du 6 janvier 1978 ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'absence d'habilitation de ces agents manque en fait ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 : " Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : / 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ; (...) " ; qu'aux termes du III de l'article 32 de la même loi : " Lorsque les données à caractère personnel n'ont pas été recueillies auprès de la personne concernée, le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à cette dernière les informations énumérées au I dès l'enregistrement des données (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques : " Est interdite la prospection directe au moyen de système automatisé de communications électroniques au sens du 6° de l'article L. 32, d'un télécopieur ou de courriers électroniques utilisant les coordonnées d'une personne physique, abonné ou utilisateur, qui n'a pas exprimé préalablement son consentement à recevoir des prospections directes par ce moyen. / Pour l'application du présent article, on entend par consentement toute manifestation de volonté libre, spécifique et informée par laquelle une personne accepte que des données à caractère personnel la concernant soient utilisées à fin de prospection directe. / Constitue une prospection directe l'envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l'image d'une personne vendant des biens ou fournissant des services. (...) " ; qu'aux termes de l'article 38 de la même loi : " Toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement. / Elle a le droit de s'opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d'un traitement ultérieur " ;

4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu imposer aux responsables de traitement de données à caractère personnel la même obligation, que ces données aient été collectées directement ou indirectement ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société les éditions Néressis a démarché par téléphone, messages courts - dits " SMS " - et courriers électroniques des annonceurs potentiels identifiés sur des sites internet concurrents notamment le site " www.leboncoin.fr " ; qu'elle a pu procéder à ces opérations commerciales de prospection dans la mesure où elle avait au préalable recueilli, traité puis utilisé les données à caractère personnel figurant dans les annonces publiées par des particuliers sur le site " le bon coin " afin de leur proposer de diffuser leur annonce contre paiement ; qu'il est établi que cette collecte s'est faite à l'insu des annonceurs, sans information préalable et en violation de leur opposition à tout usage commercial manifesté lors du dépôt de leur annonce par le maintien du choix " je refuse tout démarchage commercial " sélectionné par défaut sur le formulaire de dépôt ;

6. Considérant que la circonstance, d'une part, que le droit d'opposition soit manifesté par un acte d'abstention plutôt que par un acte positif, d'autre part, qu'il soit exprimé d'une manière large en visant " tout démarchage commercial ", est sans incidence sur la validité de l'expression du refus de prospection ultérieure ; que le droit d'opposition, contrairement à l'acceptation d'un tel usage, qui doit être spécifique, informé et dénué de toute ambiguïté, doit être considéré comme valablement exprimé même s'il l'est de façon générale ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société les éditions Néressis ne saurait être regardée comme ayant respecté les principes énoncés au 1° de l'article 6, précité, qui imposent à l'auteur d'un traitement de collecter de manière loyale les données à caractère personnel sur lesquelles porte le traitement, dès lors qu'elle l'a constitué à partir des données recueillies sur un site concurrent et malgré l'opposition des annonceurs à l'utilisation de leurs données à des fins de prospection ; qu'elle n'est, par conséquent, pas fondée à soutenir que la mise en demeure adressée par la CNIL serait entachée d'erreur de droit, d'erreur de fait ou de disproportion ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision attaquée ;

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la CNIL, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la CNIL au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société les éditions Néressis est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société les éditions Néressis et à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.


Synthèse
Formation : 10ème / 9ème ssr
Numéro d'arrêt : 384673
Date de la décision : 09/11/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

26-07-04 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS. - OBLIGATION DE COLLECTER DE MANIÈRE LOYALE LES DONNÉES À CARACTÈRE PERSONNEL (1° DE L'ARTICLE 6 DE LA LOI DU 6 JANVIER 1978) - MÉCONNAISSANCE EN L'ESPÈCE.

26-07-04 Une société qui a constitué un traitement à partir de données recueillies sur un site internet concurrent et malgré l'opposition des personnes concernées à l'utilisation de leurs données à des fins de prospection commerciale ne saurait être regardée comme ayant respecté les principes énoncés au 1° de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, qui imposent à l'auteur d'un traitement de collecter de manière loyale les données à caractère personnel sur lesquelles porte le traitement.


Publications
Proposition de citation : CE, 09 nov. 2015, n° 384673
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Pauline Jolivet
Rapporteur public ?: Mme Aurélie Bretonneau
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:384673.20151109
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