Vu la procédure suivante :
La société Edenred France, anciennement dénommée Accor Services France, a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'ordonner la restitution de la somme de 1 460 052 euros, correspondant au montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002 à la suite de la prise en compte, pour le calcul du prorata de déduction de cette taxe, des intérêts recueillis à raison du placement financier des sommes résultant de l'encaissement de titres-restaurant. Par un jugement n° 0901614 du 2 décembre 2010, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 11VE00693 du 28 février 2013, la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir annulé le jugement du tribunal administratif de Montreuil, a rejeté la demande de restitution de la société Edenred France.
Par un pourvoi, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 juillet, 2 octobre et 11 octobre 2013 et le 15 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Edenred France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt du 28 février 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles, en tant qu'il a rejeté sa demande de première instance relative aux conséquences de la prise en compte, pour le calcul du prorata de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, des intérêts recueillis par elle, au titre de la période du 1er janvier 2001 au 31 décembre 2002, à la suite du placement dans un établissement bancaire des sommes résultant de l'encaissement de titres-restaurant, ainsi que le surplus de ses conclusions présentées en appel ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens au titre de l'article R. 761-1 du même code.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- l'ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 ;
- le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 septembre 2015, présentée pour la société Edenred France ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Romain Godet, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Edenred France ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Edenred France, anciennement dénommée Accor Services France, exerce une activité d'émission et de vente de titres-restaurant soumise à la taxe sur la valeur ajoutée ; que, sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 27 septembre 1967 relative à l'aménagement des conditions de travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant, désormais reprises aux articles L. 3262-1 à L. 3262-3 du code du travail, cette société, qui perçoit une rémunération sous forme de commissions à l'occasion de la vente des titres, encaisse l'intégralité des fonds correspondant à la valeur faciale des titres qu'elle cède aux employeurs et place ces sommes auprès d'un établissement financier teneur de comptes, pendant un délai maximal de treize semaines ; que les produits financiers qui en résultent sont exonérés de taxe sur la valeur ajoutée ; que les comptes ouverts par la société sont débités au profit des restaurateurs et commerçants adhérents, sur présentation des titres reçus en paiement des salariés ; que la contre-valeur des titres perdus ou périmés est répartie, dans les conditions prévues par les articles R. 3262-13 et R. 3262-14 du code du travail, entre les comités d'entreprise des entreprises qui ont acheté les titres ou, à défaut, entre les entreprises elles-mêmes ;
2. Considérant qu'il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société a présenté le 22 décembre 2006 une réclamation tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a acquittée au titre de la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 31 décembre 2006 au motif que, pour le calcul du prorata de déduction de taxe sur la valeur ajoutée, elle avait pris en compte ses produits financiers, en application des dispositions du 2 du b. de l'article 212 de l'annexe II au code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, dont la contrariété à la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977 a été révélée par l'arrêt du 29 avril 2004 (C-77/01) Empresa de Desenvolvimento Mineiro SGPS SA de la Cour de justice des Communautés européennes ; que l'administration fiscale a fait droit à cette réclamation pour la période de 2003 à 2006, mais l'a rejetée pour la période de 2001 à 2002, au motif qu'elle était tardive ; qu'après avoir annulé le jugement du 2 décembre 2010 du tribunal administratif de Montreuil en tant qu'il a rejeté pour tardiveté la demande de restitution au titre de la période de 2001 à 2002, la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté cette même demande au motif que les activités financières en cause ne présentaient pas un caractère accessoire permettant d'exclure le chiffre d'affaires en résultant du calcul du prorata de déduction de taxe sur la valeur ajoutée ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 : " (...) 2. Dans la mesure où les biens et services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable : a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti (...) 5. En ce qui concerne les biens et les services qui sont utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction (...) et des opérations n'ouvrant pas droit à déduction, la déduction n'est admise que pour la partie de la taxe sur la valeur ajoutée qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations (...) " ; qu'aux termes de l'article 19 de cette directive : " 1. Le prorata de déduction prévu par l'article 17.5, premier alinéa, résulte d'une fraction comportant : - au numérateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations ouvrant droit à déduction (...), - au dénominateur, le montant total, déterminé par année, du chiffre d'affaires, taxe sur la valeur ajoutée exclue, afférent aux opérations figurant au numérateur ainsi qu'aux opérations qui n'ouvrent pas droit à déduction (...) /(...) 2. Par dérogation au paragraphe 1, il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction, du montant du chiffre d'affaires afférent (...) aux opérations accessoires immobilières et financières (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il est fait abstraction, pour le calcul du prorata de déduction de taxe sur la valeur ajoutée, du montant du chiffre d'affaires afférent au produit des opérations financières accessoires ;
4. Considérant que, dès lors que la question de savoir si les opérations de placement financier en litige présentaient un caractère accessoire était soulevée devant les juges du fond, la cour administrative d'appel a pu, sans méconnaître ni le caractère contradictoire de la procédure ni les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, se prononcer sur les critères qui permettent de définir le caractère accessoire d'une opération économique ;
5. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 19, paragraphe 2, de la sixième directive telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts des 11 juillet 1996 (C-306/94) Régie dauphinoise, 29 avril 2004 (C-77/01) Empresa de Desenvolvimento Mineiro SGPS SA, 6 mars 2008 (C-98/07) Nordania Finans et BG Factoring et 29 octobre 2009 (C-174/08) NCC Construction Danmark A/S, qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire, au sens de ces dispositions, si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due ;
6. Considérant que, eu égard aux caractéristiques des opérations financières en cause, rappelées au point 1 ci-dessus, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ces opérations, indissociablement liées à l'activité d'émission et de cession de titres-restaurant et normalement pratiquées par les organismes qui exercent celle-ci conformément à la réglementation en vigueur, en constituent non seulement le prolongement direct et permanent, mais aussi le prolongement nécessaire, la double circonstance qu'elles ne sont pas rendues obligatoires par la réglementation et qu'elles ne conditionnent pas la rentabilité de la société émettrice étant à cette égard indifférente ; qu'en en déduisant, sans examiner si le critère tiré de l'utilisation limitée des moyens de la société requérante était satisfait, que ces opérations ne pouvaient être regardés comme accessoires au sens de l'article 19 de la sixième directive, la cour n'a pas davantage commis d'erreur de droit et a suffisamment motivé son arrêt ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Edenred France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; que, par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser la contribution pour l'aide juridique à la charge de la société requérante ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Edenred France est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Edenred France et au ministre des finances et des comptes publics.