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27/08/2015 | FRANCE | N°392814

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 août 2015, 392814


Vu la procédure suivante :

La SARL Texity a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 29 juillet 2015 par lequel le maire de Compiègne a ordonné la fermeture administrative de l'établissement sis 25, rue de la 8ème Division à Compiègne, exerçant sous l'enseigne " La Grange ". Par une ordonnance n° 1502487 du 17 août 2015, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Par une requête et

un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 et 24 août 2015 au secrétariat du ...

Vu la procédure suivante :

La SARL Texity a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 29 juillet 2015 par lequel le maire de Compiègne a ordonné la fermeture administrative de l'établissement sis 25, rue de la 8ème Division à Compiègne, exerçant sous l'enseigne " La Grange ". Par une ordonnance n° 1502487 du 17 août 2015, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 et 24 août 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SARL Texity demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Compiègne la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors que la fermeture ordonnée porte une atteinte grave et immédiate à ses intérêts, notamment en ce qu'elle menace son équilibre financier et compromet irrémédiablement sa pérennité ;

- l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie dès lors qu'il lui interdit d'exercer son activité.

- il est entaché d'un vice de procédure dès lors que, d'une part, la fermeture a été ordonnée, alors qu'elle s'était conformée aux conditions fixées par la mise en demeure de la commune de Compiègne du 6 juillet 2015, en déposant un dossier de régularisation de sa situation dans le délai qui lui était imparti et que, d'autre part, l'avis de la commission de sécurité compétente n'a pas été régulièrement recueilli préalablement à l'édiction de l'arrêté contesté ;

- il est entaché d'une erreur de fait dès lors qu'il n'existe aucun problème de sécurité mettant en danger la sécurité du public ;

- il méconnaît les dispositions de l'article R. 123-4 du code de la construction et de l'urbanisme dès lors que son établissement est conforme aux conditions imposées par les dispositions de cet article.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 août 2015, la commune de Compiègne conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL Texity la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que la société n'est pas fondée à se prévaloir d'une urgence qu'elle a elle-même créée et que les éléments fournis par la requérante ne permettent pas d'établir l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la construction et de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SARL Texity et, d'autre part, la commune de Compiègne ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du août 2015 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Haas, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la SARL Texity ;

- les représentants de la SARL Texity ;

- Me Odent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la commune de Compiègne ;

- le représentant de la commune de Compiègne ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;

2. Considérant que, par arrêté du 29 juillet 2015, le maire de Compiègne a ordonné, sur le fondement de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation, la fermeture de l'établissement exploité par la société requérante sous l'enseigne " La Grange ", situé 25 , rue de la 8ème Division à Compiègne, au motif que l'établissement exerçait depuis plusieurs semaines sans avoir accompli les formalités prévues en matière d'établissement recevant du public, qu'il ne disposait pas d'une autorisation d'ouverture et que cette situation justifiait l'application de toutes mesures pour garantir la sécurité du public ; que, saisi par la société d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande au motif que la société requérante ne justifiait pas de l'urgence à suspendre l'arrêté contesté ;

3. Considérant, d'une part, que la SARL Texity a produit, à l'appui de son mémoire complémentaire, des pièces desquelles il résulte que la fermeture de l'établissement " La Grange " l'a placée dans une situation financière telle que la position débitrice de son compte bancaire dépasse le montant du découvert autorisé par la banque et qu'elle se trouve dans l'impossibilité de payer son loyer, ses cotisations d'assurance et ses fournisseurs ; qu'elle est ainsi menacée à bref délai de devoir constater une cessation de paiements de nature à entraîner l'ouverture d'une procédure collective ; qu'il suit de là qu'en dépit de la circonstance, relevée par le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, que la société aurait dû connaître les délais d'instruction d'une demande d'autorisation d'aménager un établissement recevant du public, la société est fondée à invoquer une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ;

4. Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que la SARL Texity exploite depuis le 20 février 2015 un bar à vins sous l'enseigne " La Grange " ; que, par courrier daté du 6 juillet 2015, reçu par la société le 15 juillet 2015, le maire de Compiègne l'a mise en demeure de déposer un dossier de régularisation dans le cadre de la réglementation des établissements recevant du public, en ajoutant : " Si ce dossier n'est pas réceptionné dans les quinze jours qui suivent la réception de ce courrier, je me verrais dans l'obligation de procéder à la fermeture administrative de votre magasin " ; que, le 27 juillet 2015, la SARL Texity a déposé une " demande d'autorisation de construire, d'aménager ou de modifier un établissement recevant du public " auprès des services municipaux de Compiègne qui lui en ont délivré récépissé ; que, le lendemain, 28 juillet 2015, la commission communale de sécurité s'est rendue dans l'établissement " La Grange " pour effectuer une visite de contrôle ; qu'en conclusion de son rapport, la commission, sans relever explicitement aucun manquement aux dispositions destinées à assurer la sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, a indiqué " par manque de renseignements sur la conformité de l'ensemble des éléments techniques constituant ce bâtiment ", ne pas pouvoir se prononcer sur l'ouverture au public de cet établissement et a précisé que " L'exploitant devra[it] régulariser rapidement la situation administrative et technique de cet établissement " ; que, dès le lendemain de cette visite, le maire de Compiègne a ordonné la fermeture de l'établissement jusqu'à la délivrance, par arrêté municipal, d'une autorisation d'ouverture ;

5. Considérant qu'en vertu de l'article R. 123-52 du code de la construction et de l'habitation, le maire a le pouvoir d'ordonner la fermeture des établissements exploités en infraction aux dispositions des articles R. 123-1 à R. 123-51 du même code ; que toutefois, dans les circonstances de l'espèce et en l'absence de tout risque pour la sécurité du public relevé par la commission communale de sécurité, le maire de Compiègne ne pouvait légalement, dès lors que la société avait satisfait aux exigences posées dans la mise en demeure du 6 juillet 2015 en produisant la demande d'autorisation requise, prononcer par arrêté une mesure d'interdiction d'ouverture au public dont le terme, matérialisé par la délivrance d'une autorisation d'ouverture , était à la discrétion de l'auteur de cet arrêté ; qu'en procédant de la sorte, le maire de Compiègne a porté, dans l'exercice de ses pouvoirs, un atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue la liberté du commerce et de l'industrie ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SARL Texity est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;

7. Considérant qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ; qu'en l'espèce, il y a lieu de prononcer la suspension de l'arrêté municipal du 29 juillet 2015 jusqu'à ce que le maire se soit prononcé sur la demande d'autorisation d'aménager un établissement recevant du public qui lui a été présentée, aux fins de régularisation de sa situation, par la société Texity ;

7. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Compiègne une somme de 3 000 euros à verser à la SARL Texity au titre des frais exposés par elle tant en première instance qu'en appel ; que les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Texity qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens en date du 17 août 2015 est annulée.

Article 2 : L'exécution de l'arrêté du maire de Compiègne en date du 29 juillet 2015 est suspendue jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d'autorisation d'aménager un établissement recevant du public présentée le 27 juillet 2015 par la société Texity.

Article 3 : La commune de Compiègne versera à la SARL Texity la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées pour la commune de Compiègne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Texity et à la commune de Compiègne.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 392814
Date de la décision : 27/08/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 aoû. 2015, n° 392814
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET ; HAAS

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:392814.20150827
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