Vu la procédure suivante :
La société Crédit Agricole a demandé au tribunal administratif de Montreuil la restitution d'une fraction de l'impôt sur les sociétés acquitté au titre de l'exercice 2013, correspondant, pour un montant de 2,32 milliards d'euros en base, à la déduction de la moins-value constatée lors de la cession, en 2013, des titres qu'elle avait reçus en contrepartie de l'augmentation du capital de la société Emporiki à laquelle elle avait souscrit le 19 juillet 2012. A l'appui de sa requête, elle a produit un mémoire, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, par lequel elle a soulevé la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 18 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012.
Par une ordonnance n° 1412392 du 6 février 2015, enregistrée le 10 février 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif de Montreuil a décidé, avant de statuer sur la requête de la société Crédit Agricole, de transmettre la question au Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.
Dans le mémoire transmis et dans un nouveau mémoire, enregistré le 3 mars 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société soutient que l'article 18 de la loi du 16 août 2012 méconnaît le principe de garantie des droits affirmé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de cette Déclaration ainsi que la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle, garanties par l'article 4 de la Déclaration ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, notamment son article 18 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Julien Anfruns, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mai 2015, présentée par la société Crédit Agricole SA ;
1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'État lui a transmis, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
2. Considérant que le 2 bis de l'article 39 quaterdecies, inséré dans le code général des impôts par le I de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, rend non déductible du résultat imposable la moins-value résultant de la cession, moins de deux ans après leur émission, de titres de participation reçus en contrepartie d'un apport réalisé dont la valeur réelle à la date de leur émission est inférieure à leur valeur d'inscription en comptabilité, dans la limite du montant correspondant à la différence entre la valeur d'inscription en comptabilité de ces titres et leur valeur réelle à la date de leur émission ; que le II de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 précise que ces dispositions s'appliquent aux cessions de titres reçus en contrepartie d'apports réalisés à compter du 19 juillet 2012 ;
3. Considérant que la société Crédit Agricole soutient que les modalités d'entrée en vigueur des dispositions du I de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 prévues par son II remettent en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus d'une opération d'apport et, ainsi, portent une atteinte injustifiée aux situations légalement acquises et méconnaissent le principe de garantie des droits affirmé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; qu'elle soutient également que ces dispositions méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et qu'elles portent atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle, garanties par l'article 4 de la même Déclaration ;
4. Considérant que les dispositions du II de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 sont applicables au litige dont est saisi le tribunal administratif de Montreuil ; qu'elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de garantie des droits affirmé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen soulève une question présentant un caractère sérieux ; qu'ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article 18 de la loi du 16 août 2012 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société SA Crédit Agricole et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Montreuil.