Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 3 février et 2 mai 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société SITA Ile-de-France, dont le siège est 19/21, rue Emile Duclaux à Suresnes (92150) ; la société SITA Ile-de-France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt nos 12VE00557, 12VE00558, 12VE00559, 12VE00560 du 21 novembre 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé, sur les requêtes de la commune de Saint-Escobille, de la commune de Merobert, de l'association de défense de la santé et de l'environnement et de la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France, d'une part, le jugement n° 0906625, 0906629, 0906636, 0908515 du 13 décembre 2011 du tribunal administratif de Versailles, d'autre part, l'arrêté du 13 mars 2009 du préfet de l'Essonne qualifiant de projet d'intérêt général la réalisation d'un centre de stockage de déchets ultimes non dangereux sur le territoire de la commune de Saint-Escobille ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les appels de la commune de Saint-Escobille et autres ;
3°) de mettre à la charge de chacun des défendeurs la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 mars 2015, présentée pour l'association de défense de la santé et de l'environnement ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyrille Beaufils, auditeur,
- les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boulloche, avocat de la société SITA Ile-de-France, à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de Saint-Escobille et de la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la commune de Merobert et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray, avocat de l'association de défense de la santé et de l'environnement ;
1. Considérant que, par un arrêté du 13 mars 2009, le préfet de l'Essonne a qualifié de projet d'intérêt général l'installation, sur 19 hectares de la commune de Saint-Escobille, d'un centre de stockage de déchets devant être exploité par la société SITA Ile-de-France et destiné à recevoir annuellement, sur une période d'exploitation de dix années, 150 000 tonnes de déchets ; que, par un jugement du 13 décembre 2011, le tribunal administratif de Versailles a rejeté la demande d'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté présentée par les communes de Saint-Escobille et de Merobert, l'association de défense de la santé et de l'environnement et la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France ; que la société SITA Ile-de-France demande l'annulation de l'arrêt du 21 novembre 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé ce jugement ainsi que l'arrêté préfectoral du 13 mars 2009 ;
2. Considérant, d'une part, qu'en vertu de l'article L. 121-9 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable, des décrets en Conseil d'Etat précisent la nature des projets d'intérêt général ; qu'aux termes de l'article R. 121-3 du même code, alors en vigueur : " Peut constituer un projet d'intérêt général au sens de l'article L. 121-9 tout projet d'ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d'utilité publique et répondant aux conditions suivantes : / 1° Etre destiné à la réalisation d'une opération d'aménagement ou d'équipement, au fonctionnement d'un service public, à l'accueil et au logement des personnes défavorisées ou de ressources modestes, à la protection du patrimoine naturel ou culturel, à la prévention des risques, à la mise en valeur des ressources naturelles ou à l'aménagement agricole et rural ; / 2° Avoir fait l'objet : / a) Soit d'une délibération ou d'une décision d'une personne ayant la capacité d'exproprier, arrêtant le principe et les conditions de réalisation du projet, et mise à la disposition du public ; / b) Soit d'une inscription dans un des documents de planification prévus par les lois et règlements, approuvé par l'autorité compétente et ayant fait l'objet d'une publication (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 121-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " Le projet mentionné à l'article R. 121-3 est qualifié de projet d'intérêt général par arrêté préfectoral en vue de sa prise en compte dans un document d'urbanisme. Cet arrêté est notifié à la personne publique qui élabore le document d'urbanisme. Pour l'application de l'article L. 123-14, le préfet précise les incidences du projet sur le document. (...) " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 541-14 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " I. - Chaque département est couvert par un plan départemental ou interdépartemental d'élimination des déchets ménagers et autres déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales. L'Ile-de-France est couverte par un plan régional. / II. - Pour atteindre les objectifs visés aux articles L. 541-1 et L. 541-24, le plan : / 1° Dresse l'inventaire des types, des quantités et des origines des déchets à éliminer, y compris par valorisation, et des installations existantes appropriées ; / 2° Recense les documents d'orientation et les programmes des personnes morales de droit public et de leurs concessionnaires dans le domaine des déchets ; / 3° Énonce les priorités à retenir compte tenu notamment des évolutions démographiques et économiques prévisibles : / a) Pour la création d'installations nouvelles, / et peut indiquer les secteurs géographiques qui paraissent les mieux adaptés à cet effet ; / b) Pour la collecte, le tri et le traitement des déchets afin de garantir un niveau élevé de protection de l'environnement compte tenu des moyens économiques et financiers nécessaires à leur mise en oeuvre. / III. - Le plan tient compte des besoins et des capacités des zones voisines hors de son périmètre d'application et des propositions de coopération intercommunale. / IV. - Il prévoit obligatoirement, parmi les priorités qu'il retient, des centres de stockage de déchets ultimes issus du traitement des déchets ménagers et assimilés. (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 541-15 du même code : " Dans les zones où les plans visés aux articles L. 541-11, L. 541-13 et L. 541-14 sont applicables, les décisions prises par les personnes morales de droit public et leurs concessionnaires dans le domaine de l'élimination des déchets et, notamment, les décisions prises en application du titre Ier du présent livre doivent être compatibles avec ces plans " ;
3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions citées au point précédent que peut constituer un projet d'intérêt général un projet ayant fait l'objet d'une délibération ou d'une décision émanant d'une personne ayant la capacité d'exproprier, que celle-ci ait ou non l'intention de recourir à l'expropriation pour la réalisation de ce projet ; que, par suite, en jugeant que l'arrêté du 13 mars 2009 méconnaissait les dispositions du 2° de l'article R. 121-3 du code de l'urbanisme au motif qu'aucune personne publique n'envisageait de recourir à l'expropriation pour la réalisation du projet, la cour a commis une erreur de droit ;
4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte également des dispositions citées au point 2 que la qualification d'un projet d'intérêt général en application des articles L. 121-9, R. 121-3 et R. 121-4 du code de l'urbanisme a pour seul objet sa prise en compte dans un document d'urbanisme et doit conduire à la révision ou la modification du document existant ; qu'eu égard à son objet, l'arrêté qualifiant un projet d'intérêt général ne constitue pas une décision prise dans le domaine de l'élimination des déchets au sens de l'article L. 541-15 du code de l'environnement ; que, par ailleurs, les dispositions de l'article L. 541-15 du code de l'environnement ni aucune autre disposition ne s'opposent à ce que l'Etat décide, au vu d'une évaluation des nécessités en matière d'élimination des déchets, d'un projet d'intérêt général concernant un centre de stockage de déchets alors même que le plan d'élimination des déchets prévu par l'article L. 541-14 précité n'aurait pas été édicté par l'autorité compétente ; que, par suite, en jugeant que le préfet ne pouvait, en l'absence d'adoption par la région d'Ile-de-France d'un plan d'élimination des déchets, et sur la base d'estimations réalisées par ses services, reconnaître à une installation de stockage de déchets le caractère d'un projet d'intérêt général, la cour a également entaché sa décision d'erreur de droit ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'une opération ne peut être déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ; qu'en jugeant que les inconvénients du projet contesté résultant de la diminution des terres agricoles et de son éloignement de l'agglomération la plus importante de l'Essonne étaient de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que le projet contesté entend répondre à l'insuffisance des capacités d'enfouissement des installations de stockage de déchets ultimes non dangereux en Ile-de-France, et plus spécifiquement en Essonne, d'autre part, que le choix du lieu d'implantation ne contrevient pas, en l'espèce, à l'objectif de limitation de la distance du transport des déchets prévu par l'article L. 541-1 du code de l'environnement, eu égard notamment à la pénurie d'installations de traitement pour les déchets produits dans le département de l'Essonne, et qu'enfin, le site du projet contesté occupera une part très limitée, de l'ordre de 1,6 %, des terres agricoles de la commune de Saint-Escobille, la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Escobille, de la commune de Merobert, de l'association de défense de la santé et de l'environnement et de la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France une somme de 750 euros chacune à verser à la société SITA Ile-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société SITA Ile-de-France, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 21 novembre 2013 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : La commune de Saint-Escobille, la commune de Merobert, l'association de défense de la santé et de l'environnement et la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France verseront chacune à la société SITA Ile-de-France une somme de 750 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par les communes de Saint-Escobille et Merobert, l'association de défense de la santé et de l'environnement et la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société SITA Ile-de-France, aux communes de Saint-Escobille et de Merobert, à l'association de défense de la santé et de l'environnement, à la chambre interdépartementale d'agriculture d'Ile-de-France, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et au ministre de l'intérieur.