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18/03/2015 | FRANCE | N°366006

France | France, Conseil d'État, 9ème et 10ème sous-sections réunies, 18 mars 2015, 366006


Vu la procédure suivante :

La société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (société APBP) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de la décharger, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000, 2001 et 2002, dans les rôles de la commune de Molsheim, d'autre part, de l'amende prévue à l'article 1768 du code général des impôts, qui lui a été réclamée au titre des exercices clos en 2003, 2004 et 2005 et, enfin,

du complément de retenue à la source, assortie de l'intérêt de retard, qui lui ...

Vu la procédure suivante :

La société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (société APBP) a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de la décharger, d'une part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2000, 2001 et 2002, dans les rôles de la commune de Molsheim, d'autre part, de l'amende prévue à l'article 1768 du code général des impôts, qui lui a été réclamée au titre des exercices clos en 2003, 2004 et 2005 et, enfin, du complément de retenue à la source, assortie de l'intérêt de retard, qui lui a été assignée au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 mars 2006. Elle a également demandé au tribunal administratif de prononcer la restitution de la retenue à la source qu'elle a versée, sur le fondement de l'article 182 B du code général des impôts, au titre de la période du 1er septembre 2006 au 31 août 2008, pour un montant total de 986 860 euros.

Par un jugement n° 0802405-0802406-0901958 du 23 décembre 2010, le tribunal administratif de Strasbourg a :

- prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de la somme de 3 474 150 euros, correspondant à l'amende réclamée à la société sur le fondement de l'article 1768 du code général des impôts au titre de la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2005 (art. 1er) ;

- déchargé la société APBP des suppléments de retenue à la source qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 mars 2006 (art. 2) ;

- rejeté le surplus des conclusions de ses demandes (art.3).

Par un arrêt n° 11NC00302-11NC00353 du 13 décembre 2012, la cour administrative d'appel de Nancy, statuant sur les appels formés par le ministre du budget et par la société APBP, a :

- annulé l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Strasbourg ;

- remis intégralement à la charge de la société la retenue à la source dont le tribunal administratif avait prononcé la décharge ;

- rejeté l'appel formé par la société APBP à l'encontre du jugement attaqué, ainsi que le surplus des conclusions du ministre chargé du budget.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 13 février et 13 mai 2013et le 31 octobre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société APBP demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 76-1234 du 29 décembre 1976 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Aladjidi, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Odent, Poulet, avocat de la société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied ;

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (société APBP) édite et diffuse en France les oeuvres d'artistes handicapés peignant de la bouche ou du pied, regroupés au sein de la " Vereinigung der Mund und Fussmalenden Künstler in aller Welt " (VDMFK), association dont le siège est au Liechtenstein et qui, en vertu de ses statuts, est seule titulaire des droits d'auteurs de ses membres ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité et d'un contrôle sur pièces, l'administration fiscale a, d'une part, estimé que la société était redevable de la retenue à la source prévue par les dispositions du b) de l'article 182 B du code général des impôts, à raison des redevances versées à l'association VDMFK entre le 1er janvier 2006 et le 31 mars 2006, d'autre part, réintégré les amortissements comptabilisés, à la clôture des exercices 2000, 2001 et 2002, au titre de la dépréciation de droits de reproduction inscrits au bilan de la société comme immobilisations incorporelles et, enfin, soumis la société à l'amende alors prévue à l'article 1768 du code général des impôts en cas d'absence d'acquittement de la retenue à la source prévue à l'article 182 B ; que la société a contesté ces impositions et pénalités et a, en outre, demandé la restitution des retenues à la source qu'elle avait spontanément versées entre le 1er septembre 2006 et le 31 août 2008 ; que, par un jugement du 23 décembre 2010, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un montant correspondant à l'amende réclamée à la société sur le fondement de l'article 1768 du code général des impôts, l'a déchargée des suppléments de retenue à la source mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2006 au 31 mars 2006 et a rejeté le surplus des conclusions de ses demandes ; que la société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 13 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a, d'une part, sur appel du ministre du budget, remis à sa charge la retenue à la source dont le tribunal administratif avait prononcé la décharge et, d'autre part, rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif ;

Sur la retenue à la source :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 182 B du code général des impôts : " I.- Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : (...) ; / b. Les produits définis à l'article 92 et perçus par les inventeurs ou au titre de droits d'auteur (...) ainsi que tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés (...) ; / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires des articles 6 et 10 de la loi du 29 décembre 1976 modifiant les règles de territorialité et les conditions d'imposition des Français de l'étranger ainsi que des autres personnes non domiciliées en France, dont elles sont issues, d'une part, que les produits mentionnés au b) au titre des droits d'auteur sont l'ensemble de ceux que les auteurs d'oeuvres de l'esprit ou leurs ayants droit tirent des droits patrimoniaux attachés à ces oeuvres et, d'autre part, que ne sont au nombre des sommes mentionnées au c) que celles qui ne relèvent pas des autres catégories de revenus mentionnés à cet article ;

3. Considérant qu'après avoir relevé que l'administration avait assujetti la société APBP à la retenue à la source prévue au b) de l'article 182 B du code général des impôts, à raison des versements qu'elle avait effectués pour le paiement des droits d'exploitation des oeuvres d'artistes membres de l'association VDMFK, la cour a jugé que les sommes soumises à cette retenue rémunéraient des "prestations utilisées en France " au sens du c) du même article et a substitué ce fondement légal à celui qui avait été initialement retenu par l'administration ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, notamment du contrat conclu le 22 mars 2000 entre la société APBP et l'association VDMFK, que ces sommes étaient la contrepartie de la cession par la seconde à la première, comme la cour l'a d'ailleurs elle-même relevé au point 9 de son arrêt, des droits incorporels de reproduction pour la France qui étaient attachés aux oeuvres en cause, lesquels relèvent du b) et non du c) de l'article 182 B du code général des impôts, la cour a donné aux faits qui lui étaient soumis une qualification juridique erronée ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi dirigés contre cette partie de l'arrêt attaqué, celui-ci doit, dans cette mesure, être annulé ;

Sur l'impôt sur les sociétés :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant notamment 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...). " ; qu'un élément d'actif incorporel ne peut, en vertu des dispositions précitées, donner lieu à une dotation annuelle à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée ;

5. Considérant que, pour confirmer le bien-fondé de la réintégration des amortissements pratiqués par la société APBP au titre des droits d'exploitation qu'elle avait acquis auprès de l'association VDMFK et qu'elle avait portés à l'actif de son bilan en tant qu'immobilisations incorporelles, la cour a jugé qu'il n'était pas établi que ces droits incorporels devaient impérativement prendre fin à une date déterminée normalement prévisible lors de leur acquisition ; qu'en se fondant ainsi sur la durée prévisible des droits eux-mêmes et non sur celle de leurs effets sur l'exploitation, la cour a commis une erreur de droit ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler son arrêt sur ce point également ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société APBP est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 13 décembre 2012 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Nancy.

Article 3 : L'Etat versera à la société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied et au ministre des finances et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 9ème et 10ème sous-sections réunies
Numéro d'arrêt : 366006
Date de la décision : 18/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 18 mar. 2015, n° 366006
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Séverine Larere
Rapporteur public ?: M. Frédéric Aladjidi
Avocat(s) : SCP ODENT, POULET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2015:366006.20150318
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